Grèves pour les salaires : ces victoires qui redynamisent le mouvement social

Les conflits liés à l’inflation donnent un nouveau souffle au mouvement social, qui ne se contente plus de résister aux délocalisations et réformes libérales, mais arrache des augmentations salariales.

Le 17 octobre, blocage de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher. Nicolas Cleuet/Le Pictorium/ AFP

Le 17 octobre, blocage de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher. Nicolas Cleuet/Le Pictorium/ AFP

Personne, du sommet de l’État aux travailleurs en première ligne, ne peut nier l’urgence sociale, face à une inflation galopante. La hausse des prix à la consommation a décollé, en octobre, de 6,2 % sur un an, contre 5,6 % en septembre, et 2,6 % un an plus tôt. Depuis ce printemps, cette situation a poussé des travailleurs à se mobiliser pour réclamer des augmentations salariales.

De nouveaux paradigmes

« Ces mobilisations inaugurent une nouvelle phase, celle des conflits de l’inflation », qui n’ont plus cours en France depuis quarante ans, mesure Jean-Marie Pernot. « La question du salaire est un enjeu décisif face au risque de décrochage du reste-à-vivre pour un grand nombre de travailleurs », poursuit le politologue. Dans ce contexte social tendu, la CGT organise, ce jeudi 10 novembre, une quatrième journée d’action interprofessionnelle depuis la rentrée.

Ces conflits relèvent de nouveaux paradigmes. « Ces mobilisations se fondent sur des revendications offensives, ce qui engendre une dynamique intéressante, souligne l’historien du syndicalisme Stéphane Sirot. Car les grands conflits de ces dernières années étaient plutôt de nature défensive, contre une fermeture d’entreprise ou une réforme gouvernementale. » Depuis la rentrée, les victoires syndicales arrachées par les luttes sont concrètes. À l’image du récent accord de branche conclu dans les industries électriques et gazières, qui prévoit notamment une augmentation salariale de 3,3 %.

Des calendriers de NAO disparates

De nouveau conquérant, ce mouvement social voit aussi ses formes d’expression évoluer. L’heure n’est plus à la manifestation nationale d’antan avec son long cortège parisien. Car les problématiques ont elles aussi changé : les calendriers des négociations annuelles obligatoires (NAO) et les capacités de mobilisation des syndicats dans les filières sont disparates, rendant d’autant plus complexe une convergence des luttes dans les différentes entreprises.

La Samaritaine, à Paris, fournit un exemple de ce casse-tête. Le syndicat CGT du magasin de luxe a déclenché cette semaine un mouvement de grève, alors que les NAO, qui ont eu lieu en mars, avaient abouti à une hausse de 3 %, déjà engloutie par l’inflation. L’accord a été conclu sans la CGT, qui n’avait pas de représentants avant le mois de juin. Le syndicat réclame depuis une augmentation de 300 euros brut mensuels pour les salariés de cette filiale du groupe LVMH, qui a réalisé un bénéfice de 6,5 milliards d’euros au premier semestre, en hausse de 23 %. « Nous serons bien sûr en grève ce jeudi, insiste Jean-Michel Ramande, délégué syndical, mais la grosse journée de mobilisation sera pour nous ce samedi, le jour où les clients sont les plus nombreux, pour marquer le coup. »

Redonner confiance en l’action collective

Même son de cloche du côté de Sébastien Menesplier, secrétaire général de la FNME-CGT : « Les conflits dans les entreprises sont des points d’appui pour les journées de mobilisation interprofessionnelle. Si des victoires sont obtenues, il est ensuite plus difficile de mobiliser. » D’ailleurs, deux jours avant la journée du 10 novembre, les grévistes d’Enedis ont arraché une hausse des salaires d’au moins 200 euros. « Une augmentation de 10 % dans les industries électriques et gazières, c’est historique », mesure Karim Abed, le ­secrétaire général de la CGT énergie Ouest Île-de-France.

Dès lors, quel intérêt ont ces journées de mobilisation interprofessionnelle ? Celle du 18 octobre avait réuni 300 000 manifestants, en plein mouvement dans les raffineries, selon l’intersyndicale composée de la CGT, la FSU, FO et Solidaires. Ce jeudi, seule la CGT appelle à la grève au niveau national, rejointe localement par d’autres organisations . « Ces journées mettent en lumière des luttes dans les entreprises, pour inciter d’autres salariés à se mêler à la bataille des salaires », selon Serge Ragazzacci, responsable de l’union départementale (UD) CGT de l’Hérault. La Confédération compte s’appuyer sur ses structures locales pour « s’implanter dans des nouvelles entreprises, par le renfort de militants venus parfois d’autres secteurs professionnels », assure Céline Verzeletti, secrétaire confédérale. Dans l’Hérault, cette stratégie semble porter ses fruits.

La CGT a réalisé plus de 800 adhésions depuis le début de l’année. « Un niveau de syndicalisation extrêmement important, mesure Serge Ragazzacci, qui n’était pas atteint les années avant la pandémie. » Des mobilisations ont été victorieuses, notamment à Viia, un sous-traitant de la SNCF, avec une revalorisation « de l’ordre de 5 %, après que les élus du personnel ont brandi la menace de la grève ». Où encore à l’Ugecam, après vingt-quatre heures de grève il y a quinze jours, afin d’obtenir que l’ensemble des personnels de cette structure sanitaire et médico-sociale puissent bénéficier de la prime Ségur.

« En redonnant confiance en l’action collective » à ces salariés , « en brisant le plafond de verre de la victoire syndicale pour améliorer concrètement la vie des travailleurs », la CGT a pu se redéployer sur ce département, selon Serge Ragazzacci. Ainsi, à l’Institut du cancer de Montpellier Val d’Aurelle (plus de 1 000 salariés), un syndicat s’est recréé après avoir été absent aux dernières élections professionnelles. Au total, depuis le 1er janvier, plus d’une dizaine de bases syndicales ont vu le jour dans ce département de l’Occitanie.

De fait, le mouvement chez les raffineurs, qui a pris fin cette semaine à Feyzin (Rhône), le dernier site en grève, était « la partie émergée de l’iceberg », selon l’historien Stéphane Sirot. Le succès de ces conflits de l’inflation ne se mesure donc plus uniquement à la participation plus ou moins forte aux manifestations, mais aussi aux revalorisations salariales arrachées dans les entreprises. Un travail rendu plus difficile par la loi El Khomri. « Les négociations ne se font plus au niveau des branches, sauf à de rares exceptions, tout est renvoyé dans l’entreprise », rappelle Jean-Marie Pernot, bien que les grands groupes comme TotalEnergies aient recentralisé les discussions. Ce qui n’empêche pas des succès localement, afin de préparer au mieux les rapports de forces à venir, face aux réformes gouvernementales, notamment sur les retraites.


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