La mixité sociale à l’école est une urgence

Maintes fois annoncé par le ministre, le plan en faveur de la mixité scolaire se fait attendre. Il y a pourtant urgence à rebattre les cartes pour enrayer la ségrégation à l’école. Fuite vers le privé, ghettoïsation de l’enseignement public… la mixité sociale est en danger. Face aux logiques de marché, l’état doit imposer un cadre et mobiliser les moyens, maintenant.

Dans les quartiers populaires, des parents se battent pour que des moyens soient donnés aux écoles et collèges de secteur. Ici, à Villejuif (94). © Pierrick Villette

Dans les quartiers populaires, des parents se battent pour que des moyens soient donnés aux écoles et collèges de secteur. Ici, à Villejuif (94). © Pierrick Villette

On dirait le dernier gadget éducatif à la mode, surtout depuis que, fin février sur France Culture, Pap Ndiaye a prévenu qu’il allait bientôt faire des annonces « pour favoriser la mixité scolaire ». Un thème présenté comme prioritaire. Mais depuis, ces annonces ont été sans cesse repoussées, et sans doute reportées pour de bon, leur avenir suspendu – comme, peut-être, celui du ministre lui-même – à l’issue de la crise sociale et démocratique provoquée par la réforme des retraites.

Pourtant la mixité scolaire, c’est tout sauf un gadget. C’est même le cœur du problème dans une France où l’école républicaine peine à tenir ses promesses d’égalité, où un véritable séparatisme social s’exprime dans la fréquentation des établissements, et où l’origine sociale demeure un facteur déterminant de la réussite scolaire.

Un constat accablant

Ces réalités, souvent niées, éclatent depuis que le gouvernement a été contraint par la justice de rendre publics les IPS (indices de position sociale) des collèges, auparavant tenus secrets. Cet indicateur, créé au départ pour intégrer les algorithmes d’affectation comme Affelnet, attribue à chaque élève une note, essentiellement en fonction de la catégorie socioprofessionnelle de ses parents ; et la moyenne des notes de tous les élèves d’un collège établit le niveau social de celui-ci.

La méthode n’est pas parfaite, mais elle a permis de premières études aux résultats… accablants. Une note de la Depp (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation) a ainsi montré en 2022 que, dans le privé, 40,1 % des élèves sont issus de milieux sociaux très favorisés, et moitié moins (19,5 %) dans le public. La proportion s’inverse quand on regarde les élèves issus des milieux sociaux défavorisés : ils constituent 42,6 % des élèves du public, et seulement 18,3 % du privé. Un phénomène qui se remarque aussi – dans une moindre mesure – entre collèges publics, et qui est encore plus marqué dans les grandes métropoles, alors même que les établissements ne sont parfois séparés que de quelques centaines de mètres.

Icon Quote40 % DES COLLÉGIENS FRÉQUENTANT LE PRIVÉ SOUS CONTRAT SONT ISSUS DE MILIEUX TRÈS FAVORISÉS, ILS SONT MOITIÉ MOINS DANS LE PUBLIC (19,5 %).»

Tout cela montre que cette situation résulte bien de stratégies d’évitement basées sur la réputation des établissements, et que la carte scolaire ne parvient pas à endiguer. Quand elle ne se contente pas de traduire les phénomènes de ghettoïsation déjà à l’œuvre dans les territoires urbains, et que des politiques comme celle de l’éducation prioritaire ne parviennent pas, ou plus, à contrer, a fortiori depuis qu’on a décidé de tailler dans les moyens dont elles disposent…

La double sectorisation

Pourtant, quelques expérimentations menées ces dernières années ont permis de distinguer des stratégies efficaces pour remettre de la mixité scolaire dans les établissements – et aussi celles qui ne le sont pas, ou moins. Curieusement, ce sont ces dernières que le ministre de l’Éducation semblait s’apprêter à mettre en avant, comme l’implantation de « sections d’excellence » (notamment internationales) dans les collèges et lycées défavorisés. Certes, cela peut permettre de redresser l’IPS d’un établissement en convainquant les classes moyennes et supérieures d’y inscrire leurs enfants. Mais pour la réelle mixité, les élèves concernés restant concentrés dans les mêmes classes, on repassera.

La double sectorisation, consistant à remélanger les élèves de deux collèges géographiquement proches mais socialement opposés, donne plus de résultats ; mais elle impose pour cela des contraintes spatiales qui réduisent sa portée. Pap Ndiaye lui-même disait n’avoir identifié que « 200 binômes pouvant faire l’objet de rapprochements ». Soit 400 collèges… sur les 7 000 que compte la France.

Le taux des boursiers dans les écoles privées sous contrat est inférieur à 10%, « trop faible », reconnaît le ministère. © Jean-Michel Turpin/Divergence

Expérience pilote en Haute-Garonne

Pour que le travail sur la sectorisation (c’est-à-dire la zone de recrutement d’un établissement) porte ses fruits, il faut qu’il aille bien plus en profondeur. L’expérience menée depuis 2016 à Toulouse se montre à cet égard très instructive. Deux collèges du quartier très défavorisé du Mirail ont été progressivement fermés, et leurs élèves répartis dans onze autres établissements de l’agglomération toulousaine. Avec des résultats probants, puisque le taux de réussite au DNB (diplôme national du brevet) des élèves concernés est passé de 50 % à 63 %. Seulement, pour y parvenir, le département, à l’initiative de l’expérience, a mis sur la table ce qui fait défaut partout ailleurs : des moyens.

Icon QuoteLANCÉ AU MIRAIL À TOULOUSE IL Y A 4 ANS, UN TRAVAIL AMBITIEUX DE SECTORISATION POUR MÉLANGER DES COLLÉGIENS DE MILIEUX DIFFÉRENTS PORTE CLAIREMENT SES FRUITS.»

En amont, des réunions ont permis d’apaiser les craintes et d’expliquer aux familles tous les bénéfices qu’elles pouvaient en attendre. Des bus gratuits ont été mis en place pour assurer les déplacements des élèves vers les collèges, forcément moins accessibles, et des accompagnateurs ont été recrutés. L’éducation nationale elle-même a fait un effort notable : les classes concernées par l’accueil des élèves du Mirail ont vu leurs effectifs limités à 25 élèves, ce qui a impliqué le déploiement de 17 postes d’enseignant en plus.

Urgence républicaine

D’autres prônent des solutions plus radicales. Ainsi le département de la Seine-Saint-Denis (académie de Créteil), où ghettoïsation et évitement se cumulent plus qu’ailleurs, a-t-il décidé de demander, tout simplement, son rattachement à l’académie de Paris. Simple coup de com pour mettre en lumière l’énormité et l’injustice du décalage entre la capitale et ses périphéries ? Pas du tout, plaide Emmanuel Constant, vice-président chargé de l’éducation au conseil départemental de Seine-Saint-Denis, qui met en avant un double constat : « Beaucoup de plans pour lutter contre les inégalités scolaires qui n’ont donné aucun résultat significatif ; et une “gentrification” de nos territoires dont on ne voit pas les effets dans nos collèges en raison de l’évitement vers le privé et vers Paris. » Il s’agirait donc ainsi de « mixer socialement et démographiquement » non seulement les élèves, mais aussi les personnels – puisqu’on sait qu’à l’est du bassin de la Villette débutants et contractuels se concentrent.

Ainsi, la demande s’assortit de la proposition de créer des « collèges d’application » où des enseignants plus aguerris soutiendraient leurs plus jeunes collègues. Après tout, l’idée n’est pas si extravagante. Mais elle n’échappe pas au même constat que les autres pistes : sa mise en œuvre réclame des moyens que l’on refuse aujourd’hui à l’école publique. Non, la mixité n’est pas un gadget : c’est une urgence républicaine qui nécessite des choix politiques à rebours de ceux faits depuis des décennies.


Focus  La guerre est déclarée, et le public doit la gagner

Toujours plus élitiste alors qu’il reçoit d’importants fonds publics, le privé sous contrat refuse de jouer le jeu. Une proposition de loi communiste vise à conditionner les dotations à des efforts de mixité.

La fuite des élèves, ou « l’évitement », vers le privé atteint des dimensions caricaturales à Paris et en région parisienne, mais n’épargne aucun territoire. En concentrant les élèves issus de familles aisées dans les établissements privés, et donc en concentrant dans le public ceux des familles défavorisées, ce phénomène agit comme un démultiplicateur de ségrégation.

Bonus-malus

Or, l’enseignement privé sous contrat, qui choisit ses élèves (ce qui permet à certains établissements d’afficher des taux de réussite aux examens faramineux…) et se détourne de ceux qui sont en difficulté – il n’accueille par exemple que 5 % des unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) –, est tout de même financé à 73 % par des fonds publics, la plus grosse part étant les salaires des enseignants, versés par l’État, le reste constitué des contributions des collectivités locales.

Comment donc faire prendre au privé sa part de mixité sociale et scolaire ? En négociant, répond Pap Ndiaye. Sans succès, l’échec des tractations menées depuis des mois pesant visiblement dans le report des annonces ministérielles sur la mixité. Certains sont déjà allés plus loin, comme le conseil départemental de Haute-Garonne, qui, depuis 2016, applique aux crédits pédagogiques qu’il verse aux collèges un système de bonus-malus selon des critères de mixité sociale. Résultat : 13 établissements privés ont vu leurs crédits baisser.

Ce raisonnement, le sénateur des Hauts-de-Seine Pierre Ouzoulias (PCF) veut l’étendre aux financements d’État : crédits de fonctionnement et surtout crédits affectés à la rémunération des personnels. Soit l’essentiel des ressources des établissements. C’est le sens de la proposition de loi qu’il a déposée dernièrement : « On ne peut plus verser de l’argent sans contrepartie sociale ni engagements structurels, explique-t-il. Nous devons prendre conscience que quelque chose de déterminant pour la République se joue là. »

« Non-concurrence »

Le privé brandit chaque fois l’argument du « caractère propre » qui lui est reconnu par la loi Debré de 1959. Mais, rappellent certains comme le sociologue Choukri Ben Ayed, « il ne faut pas oublier que cette loi pose aussi le principe du besoin scolaire reconnu » pour ouvrir des écoles privées, ce que l’on peut interpréter comme un principe de non-concurrence du privé envers le public. Un rappel à ce principe fondamental, alors que tout se passe de plus en plus comme si l’éducation était un marché où règne la concurrence, ne serait sans doute pas de trop. Pour commencer…


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