Comment la droite et l’extrême droite mènent leur croisade contre la culture 

Fragilisé par une politique agressive de la droite et de l’extrême droite au plan local, le monde de la culture est dans la tourmente. Au-delà de la question des moyens se pose celle de la défense et du renouvellement du service public.

A Lyon, le 5 mai 2023, devant le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, le monde de la culture manifeste contre les coupes budgétaires drastiques décidées par Laurent Wauquiez et sa majorité. © Stephane AUDRAS/REA

A Lyon, le 5 mai 2023, devant le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, le monde de la culture manifeste contre les coupes budgétaires drastiques décidées par Laurent Wauquiez et sa majorité. © Stephane AUDRAS/REA

Partout, les signaux sont au rouge. Certaines directrices et directeurs des théâtres publics éprouvent désormais de grandes difficultés pour assurer pleinement leurs missions sur le territoire faute de moyens.

Monter une saison s’avère un casse-tête, utiliser la marge artistique comme variable d’ajustement ne suffit plus à masquer la réalité : le spectacle vivant du service public est menacé économiquement, artistiquement et… politiquement.

«La destruction planifiée des politiques culturelles menée par plusieurs collectivités territoriales»

En février, la réaction est venue des organisations d’employeurs du secteur, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont rien d’agitateurs gauchistes. Ainsi les Forces musicales, le Profedim, le SNSP et le Syndéac, dans un communiqué publié le 21 février, alertaient sur «la destruction planifiée des politiques culturelles menée par plusieurs collectivités territoriales».

«Les attaques sont frontales, brutales et sans préavis. Elles ont toutes en commun de nier l’action culturelle effectuée au quotidien en ruralité comme en milieu urbain», écrivaient-ils.

La politique culturelle étant depuis la loi NOTRe (approuvée en 2015) une compétence partagée, ce sont les collectivités locales qui financent désormais majoritairement la culture. Or, le désengagement au fil des ans de l’État auprès de ces mêmes collectivités provoque des asphyxies en cascades et certains arbitrages relèvent désormais davantage d’une vision utilitaire et clientéliste que d’une visée politique partagée.

La culture est désormais considérée comme une dépense inutile, le spectacle vivant un art réservé à une certaine élite.

Le consensus républicain sur la politique culturelle qui prévalait jusqu’ici, quelle que soit la couleur politique, vole en éclats. La culture est désormais considérée comme une dépense inutile, le spectacle vivant un art réservé à une certaine élite. La culture doit être rentable et se doit de divertir.

L’extrême droite a donné le «la» dans les années 1990 dans les mairies FN

L’accès à la création et au savoir, l’éducation artistique, le soutien à la création tels que l’avait imaginé et pensé la génération issue du Conseil national de la Résistance (CNR) sont, dans une économie de marché, devenus obsolètes. Les «on en veut pour notre argent» et «cela n’est pas pour mon public» prononcés sans complexe sont devenus un refrain à la mode.

L’extrême droite a donné le «la». Lorsque, dans les années 1990, des maires FN sont élus, leur première mesure est de museler la culture. À Vitrolles (Bouches-du-Rhône), rebaptisée Vitrolles-en-Provence, Bruno Mégret fait murer le Sous-Marin, la salle municipale de concert rock, et inaugure une exposition de peintures vantant les paysages provençaux.

À Toulon (Var), Jean-Marie Le Chevallier licencie le fondateur du lieu culturel Châteauvallon mais augmente les effectifs de la police municipale, dont le recrutement indique une préférence pour les «Toulonnais de souche».

«Des dépenses pharaoniques pour faire venir du “ vu à la télé ” »

À Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), la municipalité lepéniste élue en 2014 a très rapidement mis la culture au pas. Bruno Lajara, qui fut directeur de 2017 à 2020 de l’Escapade, avant d’être démissionné, témoigne sur son compte Facebook ce qu’il a vécu comme pressions économiques et politiques, «les dépenses pharaoniques pour faire venir du “ vu à la télé ” lors des fêtes nationales (Jenifer, Shy’m) pour s’attirer ainsi les louanges de la population» et rappelle «la non-réouverture de l’espace Lumière, une des seules salles de cinéma d’art et essai du Pas-de-Calais».

À Perpignan (Pyrénées-Orientales), fin 2021, Borja Sitja, directeur de l’Archipel (scène nationale), qui avait eu l’outrecuidance d’appeler à voter Macron pour faire barrage à Le Pen, est congédié par la municipalité RN dirigée par Louis Aliot. Les conditions de la nomination, fin avril 2023, de la nouvelle directrice, Jackie Surjus-Collet, provoquent de vives réactions.

Serge Regourd, vice-président de l’Archipel et président de gauche de la commission culture de la région Occitanie, démissionne à l’issue de la procédure et dénonce le «mépris des règles juridiques et éthiques» dont tous les candidats auditionnés ont été victimes.

Le Syndéac lui aussi réagit vivement : «Le RN montre son vrai visage et impose sa candidate», et demande expressément à la ministre de la Culture de ne pas «agréer cette désignation».

L’Auvergne-Rhône-Alpes, laboratoire d’une politique de destruction massive de la politique culturelle publique

Un cap est franchi avec le cas de la région Auvergne-Rhône-Alpes. On quitte l’échelle municipale pour la régionale. Les enjeux n’en sont pas plus importants, mais tout cela indique une porosité de pensée entre l’extrême droite et une droite qui penche vers ses extrêmes.

La politique mise en place par Laurent Wauquiez témoigne de toutes ces inflexions possibles et d’une dérive dangereuse qui permettent à un élu de distribuer ses subsides selon son bon vouloir. La tentative de mise au pas du Théâtre Nouvelle Génération (TNG), en supprimant l’entièreté de sa subvention, n’est que la partie visible de l’iceberg.

La région, dirigée par un futur candidat à la présidentielle, ressemble à un laboratoire, celui d’une politique de destruction massive de la politique culturelle publique. Une politique idéologique, libérale et populiste, qui consiste à dénigrer la culture, l’art et les artistes, à opposer un public dit éloigné à un public de privilégiés.

Il existe bel et bien une fracture culturelle dans notre pays

De fait, cela correspond à une réalité que pointe l’Observatoire des inégalités dans son rapport paru le 8 juin dernier : il existe bel et bien une fracture culturelle dans notre pays, au même titre qu’une fracture sociale.

Si 71 % des cadres supérieurs vont au moins une fois dans l’année au théâtre ou à un concert, ils ne sont que 38 % d’ouvriers et d’employés. Brandir l’exception culturelle comme seule réponse à cette réalité ne suffit plus.

Car si la droite et l’extrême droite se sentent les coudées franches pour décider de faire table rase d’une ambition culturelle mise en place il y a plus de soixante ans, la dérégulation de tous les services publics, celui de la culture comme ceux de l’éducation ou de la santé, validée par des années de renoncement, y compris par la gauche au pouvoir, participent de cet éclatement. «L’art est nécessaire à la vie sensible et sociale des êtres humains», estime Nathalie Garraud, codirectrice du centre dramatique de Montpellier.

«Nous sommes à un endroit de guerre culturelle et il nous faut tenir, sur le fond comme sur la forme. À force de ne plus rien historiciser, on oublie l’histoire de la décentralisation, on oublie comment cette exception culturelle s’est construite et comment elle a permis de l’invention politique et artistique», avance-t-elle.

Jean-François Marguerin, auteur avec Bernard Latarjet de Pour une politique culturelle renouvelée, paru en 2022, estime, dans un entretien accordé à Artcena (Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre), au contraire de la tendance actuelle, qu’il faut «massivement investir dans la culture», en particulier dans l’éducation artistique.

Et, à rebours de «la doxa ambiante, il faut plus que jamais de l’État, surtout quand la société se déglingue, poursuit-il. Un État partenaire, qui n’oublie pas la décentralisation. (…) C’est l’État qui doit avoir au premier chef la responsabilité de conduire une politique culturelle, quand bien même les collectivités territoriales sont les premiers financeurs de la dépense culturelle publique».


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