Police et pouvoir : pourquoi ces liaisons dangereuses

Les propos tenus par le directeur général de la police nationale en début de semaine, que refuse de condamner l’exécutif, relancent le débat sur les réponses à apporter au malaise dans la profession, loin des outrances très droitières d’une partie de ses syndicats.

Le directeur général de la police, Frédéric Veau, (à gauche) a estimé qu'« avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison ». Ici, avec son ministre de tutelle, Gérald Darmanin, qui, lui, garde le silence total sur le sujet. © AFP

Le directeur général de la police, Frédéric Veau, (à gauche) a estimé qu’« avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison ». Ici, avec son ministre de tutelle, Gérald Darmanin, qui, lui, garde le silence total sur le sujet. © AFP

Une interview en forme de coup de pression. Pour le directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux, un policier ne doit pas dormir en prison dans l’attente de son procès, « même s’il a commis une faute grave ». Une façon explicite de demander la libération de l’agent de la BAC détenu après des faits de violences policières commis à Marseille.

Des propos d’une extrême gravité qui ont suscité l’indignation et la colère de tous ceux qui, attachés à l’État de droit, considèrent qu’un policier est un justiciable comme un autre et que la police ne saurait exercer quelque pression que ce soit à l’endroit de l’institution judiciaire.

Des élus de gauche, le Syndicat de la magistrature, l’ancien procureur de la République François Molins se sont notamment élevés contre ce qu’ils considèrent être une dérive claire. Les principaux syndicats de policiers ont, de leur côté, applaudi la prise de position de leur chef.

Rappelons que les fonctionnaires concernés par l’affaire initiale, à Marseille, ont été applaudis par leurs collègues à la sortie de leur garde à vue. Plusieurs centaines d’entre eux se sont même mis en arrêt maladie pour montrer leur opposition aux décisions prises par la justice. Une initiative qui n’a pas déplu à Frédéric Veaux, qui dit « comprendre l’émotion et même la colère ».

En Macronie, surtout ne pas critiquer la police

Le pouvoir a-t-il peur de la police ? Depuis dimanche, le malaise est palpable en Macronie. Il n’y a qu’à écouter le député Renaissance Mathieu Lefèvre nous dire que « le président est dans le camp des policiers qui font un métier extraordinaire » ou le ministre Olivier Dussopt appeler à « ne pas faire le procès de la police » pour comprendre que la crainte de se mettre à dos la profession est réelle au sein de la majorité.

Ainsi, lundi midi à la télévision, Emmanuel Macron a expliqué que, « dans notre pays, les policiers servent la bonne application de la loi » , avant de reconnaître du bout des lèvres que « nul n’est au-dessus » de celle-ci. Des propos repris quasiment mot pour mot mardi par la première ministre, lors d’un déplacement au Havre.

Pour le sociologue Paul Rocher, cette tendance du gouvernement à ne pas vouloir se montrer trop critique à l’égard des agents en uniforme s’explique assez facilement. « L’État fonctionne soit par le consentement volontaire des masses, soit par la forceOr le néolibéralisme ne peut obtenir le consentement de tous puisque c’est une redistribution des richesses à l’envers, où une minorité d’ultrariches prend à la majorité. Cela ne peut passer que par le recours à la force, une gestion policière et autoritaire de la contestation », analyse-t-il.

Le parallèle avec la position de fermeté adoptée par François Mitterrand en 1983, quand un début de fronde commençait à naître dans les rangs de la police, est saisissant : le socialiste avait fini par limoger le directeur de la police. Aujourd’hui, un exécutif sans relais dans le pays, sans majorité à l’Assemblée, et confronté à une forte opposition sociale ne peut se permettre de se mettre ainsi sa police à dos.

Les syndicats font-ils la loi à Beauvau ?

C’est à se demander qui tient le manche du bâton. Si l’exécutif n’a pas désavoué la prise de position des deux hauts fonctionnaires pourtant sous ses ordres, comme il n’avait d’ailleurs pas réagi au tract incendiaire publié début juillet par les syndicats Alliance et Unsa police, c’est aussi en raison de la puissance des syndicats de police.

Élus par 70 à 80 % de leurs pairs, ils jouissent d’une légitimité qui rend crédible leurs menaces. Ils se vantent ainsi de pouvoir mettre « 1  000, 2  000, 10 000 flics dans la rue » , alors que les policiers n’ont pas le droit de grève.

Le taux de syndicalisation flirte avec les mêmes pourcentages, en raison du rôle des syndicats au sein du comité social d’administration ministériel, auquel ils siègent et où se décident les avancements de carrière comme les sanctions. Ils adoptent des positions d’autant plus radicales qu’ils se battent entre eux pour représenter la base, depuis l’éclatement au milieu des années 1990 de la Fédération autonome des syndicats de police, qui jouait le rôle de syndicat unique. Cette concurrence, alimentée aussi par l’émergence périodique de mouvement de protestation hors syndicats et souvent instrumentalisés par l’extrême droite, radicalise leurs positions.

Pour autant, la défense des collègues et les attaques contre la justice ne sont pas une nouveauté. Ce qui change, c’est la réponse du pouvoir. « Aujourd’hui, je pense que le gouvernement a peur. On le voit, l’équilibre du rapport de force est très précaire. Les syndicats de police ont le pouvoir qu’on leur donne et celui-ci dépend de la solidité du gouvernement », rappelle le politologue Sebastian Roché, dans Télérama.

Un ministre de l’Intérieur aux abonnés absents

Où est Gérald Darmanin ? Sur la photo du nouveau gouvernement publiée par Élisabeth Borne lundi, son absence a été remarquée par de nombreux internautes. Où est Gérald Darmanin quand il s’agit de défendre l’État de droit, réaffirmer la séparation des pouvoirs et fermer la porte à la création d’un régime d’exception dont bénéficieraient les policiers, exempts de séjourner en prison dans l’attente de leur procès, comme le propose Frédéric Veaux ?

Il brille, là encore, par son absence. Sa dernière expression publique remonte au 21 juin. Le ministre de l’Intérieur participe au voyage en Océanie jusqu’à vendredi aux côtés du président. Le décalage horaire et les 17 000 kilomètres qui le séparent de la métropole l’empêchent peut-être de prendre la parole…

Pourtant, selon le Parisien, son directeur de cabinet a bien relu et validé l’interview de Frédéric Veaux avant publication. Sans juger bon d’en avertir ni Matignon ni l’Élysée. Le patron de la DGPN rejoint par le préfet de police peuvent donc dénoncer un prétendu acharnement judiciaire contre leurs agents sans que Gérald Darmanin n’y trouve rien à redire. Le député écologiste Benjamin Lucas demande sa démission, expliquant que « la place Beauvau a besoin d’un ministre de l’Intérieur, pas d’un laquais d’Alliance ».

Derrière la fronde, un malaise plus profond

Et si le problème était plus profond ? Le mouvement de protestation, qui essaime sur tout le territoire, dépasse le sujet de la détention provisoire du policier marseillais. Il révèle aussi les difficultés auxquelles sont confrontés les agents pour exercer leurs missions. Manque de moyens, de personnels, politiques du chiffre, missions recentrées sur le seul « maintien de l’ordre »

En juin, des centaines de policiers ont ainsi manifesté, de Champigny-sur-Marne à Roubaix, pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail, qui mène, entre autres, à l’empilement des dossiers. Et c’est sans compter le racisme, la violence, internes ou externes à l’institution.

Ceux qui en parlent sont malheureusement souvent mis au ban de l’institution, après avoir voulu les dénoncer. Fabien Bilheran, ex-officier de police judiciaire, et Agnès Naudin, capitaine de police et porte-parole de la FSU intérieur (tous deux auteurs d’un livre, Police : la loi de l’omerta), peuvent ainsi en témoigner . Et la réforme de la police judiciaire, qui risque de se traduire par une réduction de moyens et une dilution des compétences, n’améliorera en rien le malaise grandissant dans les rangs.

À Marseille, il s’appelait Mohammed

Passé à tabac, tué par un tir de LBD, éborgné… de jeunes hommes sont dans le viseur de la police.

Hedi, Mohammed Bendriss et Abdelkarim Y. Depuis les révoltes urbaines survenues après la mort de Nahel, 17 ans, tué le 27 juin à Nanterre, la police marseillaise est pointée du doigt pour ses pratiques. Le 24 juillet, le parquet a ouvert une enquête pour des faits de violences policières : Abdelkarim Y., 22 ans, a été éborgné dans la nuit du 30 juin au 1er juillet à Marseille.

Hedi, passé à tabac par la BAC

Pendant la nuit du 1er au 2 juillet, Hedi, un Marseillais de 22 ans, raconte avoir été tabassé, laissé pour mort avec un tir de LBD dans la tempe par un groupe de quatre personne identifiées comme des policiers de la brigade anticriminalité (BAC). Le jeune homme avait assuré qu’il regagnait son domicile après avoir donné un coup de main dans le restaurant familial quand des policiers s’en seraient pris à lui. Les quatre policiers ont été mis en examen et l’un d’entre eux a été placé en détention provisoire.

Mohammed Bendriss, tué par un tir de LBD

Selon une enquête de Mediapart, Mohammed Bendriss est décédé dans la nuit du 1er au 2 juillet à la suite d’un tir de LBD. « Les médecins constatent tout de suite deux impacts “en cocarde” de 4,5 centimètres de diamètre, évocateurs d’un Flash-Ball », explique la journaliste. Le premier est situé à l’intérieur de la cuisse droite, le second sur le thorax, côté cœur.

Selon l’autopsie, le choc sur le cœur « a probablement causé la crise cardiaque qui a emporté ce jeune homme sans antécédents médicaux ». Le 4 juillet, le parquet de Marseille a ouvert une information judiciaire pour « coups mortels » avec arme, confiée à la police judiciaire et l’Inspection générale de la police nationale.

Abdelkarim Y., éborgné

Selon les informations du quotidien local la Provence, une troisième enquête vient d’être confiée à l’Inspection générale de la police nationale pour de nouveaux soupçons de violences policières. Les faits se seraient déroulés dans la nuit du 30 juin au 1er juillet à Marseille. Abdelkarim, Y., 22 ans, raconte qu’il se tenait à l’écart des événements quand il a été atteint de plein fouet au visage par un tir de LBD ou de munitions appelés « bean bags ». La Provence explique que « son avocat, Arié Alimi, annonce avoir déposé plainte pour “tentative de meurtre” et dénonce sans prendre de gants des policiers qui ont “fait un carnage en tirant à vue pour blesser et mutiler” ».

Une enquête a été ouverte lundi 24 juillet pour « violences en réunion ayant entraîné une mutilation ou infirmité permanente par personne dépositaire de l’autorité publique et avec arme ».

Théo Bourrieau


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