Alors que le gouvernement mise tout sur la régulation téléphonique, via le 15, pour éviter une surfréquentation des urgences cet été, les acteurs de terrain dénoncent un affichage, faute de moyens pour traiter les patients.
Un numéro de téléphone magique. Depuis deux ans, en période estivale, le ministère de la Santé dégaine la même mesure phare pour lutter contre l’engorgement des urgences : appeler le 15. Si l’ex-ministre François Braun estimait, jusqu’à son départ le 21 juillet, que les difficultés étaient « moindres » par rapport à l’été 2022, Aurélien Rousseau, son successeur, a, lui, reconnu dans un entretien au Monde que la « situation est extrêmement tendue ».
Sans toutefois remettre en cause cette stratégie, le nouveau ministre a tenté de calmer le jeu, arguant « qu’on ne peut se satisfaire d’avoir des endroits où les urgences restent portes closes la nuit ».
Partout en France, de nombreux services d’urgence ont déjà tiré le rideau
Car de nombreux services ont déjà tiré le rideau. À Redon (Ille-et-Vilaine), la fermeture nocturne est effective jusqu’à début septembre. À Meulan (Yvelines), les urgences resteront closes dès 17 h 30 jusqu’à la fin du mois d’août. Des fermetures ponctuelles d’une durée de douze à vingt-quatre heures ont été observées à Ambert (Puy-de-Dôme), Guebwiller (Haut-Rhin) ou encore Argentan (Orne).
En Mayenne, la crise atteint des proportions inédites. Pour la première fois, les trois services du département, ceux de Laval, de Mayenne et de Château-Gontier, sont fermés toutes les nuits de juillet, faute de médecins. Plus de 300 000 Mayennais et vacanciers devront passer par le 15 pour pouvoir s’y rendre. Ici, comme partout en France, le recours systématique à la régulation téléphonique atteint pourtant ses limites. En 2022, dans le département, 30 000 appels n’avaient pu être pris. Dans le pays, en 2021, 2 millions d’appels n’avaient pas obtenu de réponse.
« Ça me met hors de moi que le ministère de la Santé incite à tout bout de champ à joindre ce numéro, tacle Caroline Brémaud, cheffe du service des urgences du centre hospitalier de Laval. Il y a un manque de moyens au Centre 15. On l’a déjà constaté l’été dernier. Pourquoi François Braun a-t-il seulement proposé en mai de former de nouveaux assistants de régulation médicale (qui décrochent le téléphone en premier – NDLR) ? En ce qui me concerne, il m’est déjà arrivé plusieurs fois de remplacer le médecin régulateur (qui établit un diagnostic par téléphone – NDLR), parti en intervention. Je me suis retrouvée avec son micro-casque sur les oreilles pendant que j’étais en salle de déchocage. »
Dès les premières nuits de fermeture du service, elle constate que « des patients sont quand même venus spontanément » et ajoute que « l’offre de soins continue de se détériorer. Désormais, des véhicules Smur (Structures mobiles d’urgence et de réanimation) partent parfois sans médecin. Ces équipes paramédicales d’urgence sont là en renfort mais ne devraient pas se substituer au Smur ».
Pendant quinze jours, en août, la situation pourrait encore empirer. Selon les syndicats, les centres hospitaliers de Laval et de Château-Gontier n’auraient pas assez de praticiens pour faire partie de la régulation. Une seule équipe de Smur couvrirait tout le département…
Même si, selon des données livrées par François Braun au Figaro, le filtrage d’accès aux urgences n’a permis de faire baisser que de 5 % la fréquentation de ces dernières, l’été dernier, Aurélien Rousseau ne dévie pas de cap, misant tout sur le 15, censé résoudre les problèmes d’un système de santé délabré, et sur une de ses déclinaisons, le Service d’accès aux soins (SAS).
Au 15, « on n’arrive pas toujours à avoir un décroché en 60 secondes, ce qui doit être la règle ! »
Alors que le numéro est déjà au bord de la rupture, ce dispositif en phase de test depuis novembre 2020 doit être généralisé d’ici à la fin de l’année. Lorsque l’accès au médecin traitant n’est pas possible, ce qui est de plus en plus souvent le cas, un appel au 15 permettra, partout, d’obtenir une réponse ou un rendez-vous. En décrochant, l’assistant de régulation médicale (ARM) orientera ainsi la prise en charge vers un besoin urgent ou une régulation en médecine ambulatoire. Mais en réalité, cette coopération entre Samu et médecins libéraux s’annonce laborieuse.
Faute de moyens, le CHU de Strasbourg (Bas-Rhin) a ainsi repoussé la mise en place du SAS à l’automne. En l’état, Pierre Wach, secrétaire de la CGT, ne voit pas comment répondre à des appels supplémentaires : « Les conditions de travail des 44 ARM se sont dégradées au point où nous allons déclencher une alerte de danger grave et imminent. Avec la montée en charge du 15, certains sont déjà proches du craquage. Comment faire quand il y aura le SAS qui, selon le ministère, engendrera 30 % de charge de travail en plus ? Cela va faire exploser le système », dénonce le cégétiste qui avait appelé à se mobiliser début juillet, entre autres, contre ce dispositif.
De son côté, François Braun assurait qu’avec cette régulation accrue, les appels n’avaient augmenté que de 10 % au niveau national (durant l’été 2022), et affirmait n’avoir reçu « aucune alerte sur une détérioration des délais de réponse ». Des déclarations contredites sur le terrain. « On n’arrive pas toujours à avoir un décroché en 60 secondes, ce qui doit être la règle ! assène Édouard (1), ARM dans le Bas-Rhin. Il y a quatre à huit minutes d’attente en pic d’activité, sachant que des personnes appellent pour des problèmes cardiaques. On joue avec la vie des gens. »
Si, sur le papier, les acteurs de santé n’ont rien contre ce service d’accès aux soins qui permettrait de mieux aiguiller les malades et d’éviter que les pathologies bénignes ne passent trop souvent par les urgences, Pierre Wach constate que, « pour l’instant, c’est une coquille vide. Il ne suffit pas d’avoir des individus qui répondent au téléphone pour dire que ça existe ».
Un taux d’occupation de 150% aux urgences
Car, en aval, la prise en charge des patients ne peut pas suivre. « Nous n’avons pas assez d’ambulances : 8 pour 900 000 habitants, détaille le cégétiste. Les gens attendent des heures dans les véhicules avant d’arriver dans le service. Nous avons un taux d’occupation de 150 % aux urgences et 300 lits fermés dans le CHU. Quant aux médecins libéraux, ils ne sont pas en nombre suffisant pour répondre au besoin de soins non programmés. »
Parmi les premiers à collaborer au SAS, SOS Médecins vient provisoirement de jeter l’éponge. Depuis le 1er juillet, l’interconnexion est suspendue de jour avec ses praticiens, mais reste valable de nuit et le week-end. En cause : la suppression de la majoration de consultation que les médecins touchaient pour y participer. « Nous percevions 15 euros de plus sur les visites à domicile déclenchées par des appels du SAS, explique Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins. C’était censé nous inciter à caler des rendez-vous en plus dans notre planning déjà bien rempli. La majoration était limitée à 20 visites par semaine. Mais la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) a décidé de s’y opposer. »
Si SOS Médecins espère obtenir gain de cause rapidement, son retrait ajoute de la tension à la tension estivale. « En Savoie, 80 % des débouchés du SAS sont pour SOS Médecins, précise-t-il. Nous allions aussi faire des “levées de doutes”, notamment pour des internements en psychiatrie. Vu le nombre de cabinets libéraux fermés cet été, il est un peu dangereux de vouloir se passer de nous… »
Le praticien ne remet pas en cause la philosophie de ce système, mais il remarque que « la plateforme nationale du SAS, sorte de super-agenda partagé entre le Samu, les médecins libéraux et nous pour flécher les patients, ne fonctionne pas très bien ».
Alors que 34 SAS sont aujourd’hui opérationnels, couvrant 50 % de la population selon le ministère de la Santé, les retours sont mitigés. Expérimenté depuis plus de deux années au CHU de Bordeaux (Gironde), « le SAS et la régulation des urgences n’ont rien changé, constate Gilbert Mouden, secrétaire de SUD santé. Pour les appels du SAS, certains malades peuvent attendre 1h30 avant de joindre un professionnel. On reçoit 2 000 à 3 000 appels en 24 heures, mais on n’a pas les personnels pour les prendre en charge. Au final, il y a toujours autant de patients dans le service des urgences, de médecins qui partent à cause de la pénibilité et d’autres qui réduisent leur temps de travail ».
Depuis le 18 juillet, compte tenu du peu de praticiens présents, les passages des adultes aux urgences sont même limités à une quarantaine par jour (pour les polytraumatisés, les cas neurovasculaires et les patients hémophiles), contre 150 à 170 en temps normal. « Nous sommes l’hôpital de référence en Gironde. Les autres établissements du département, publics comme privés, ne vont jamais pouvoir tout absorber ! » assène le syndicaliste.
(1) Le prénom a été changé.
Dans les hôpitaux, des lits évaporés
Alors que moult services d’urgences sont saturés, fermés ou en accès restreint, le Collectif Inter-Hôpitaux rappelle que, contrairement au discours qui assure que la France a plus de lits que d’autres pays et que les difficultés ne résulteraient que de problèmes « d’organisation », elle est en réalité plus mal lotie que certains de ses voisins. Le pays ne se situe qu’à la 14 e place de l’OCDE en termes de nombre de lits d’hospitalisation pour 1 000 habitants. Après 100 000 suppressions en vingt ans, pour le collectif, le nombre de places ne peut être encore restreint : « Il faut plutôt fidéliser le personnel en lui permettant de travailler selon les valeurs humaines qui garantissent la dignité des patients. »
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