Les promesses du gouvernement sur les remplacements ou sur « un professeur devant chaque classe » passent par le pacte. Rejeté par une majorité de personnels, ce dispositif cache une attaque en règle du service public d’éducation.
Le pacte, c’est le cœur de la « révolution » voulue par Emmanuel Macron en matière scolaire. Ce dispositif, complexe pour des yeux peu habitués aux arcanes de l’éducation nationale, doit permettre à la fois de tenir les promesses faites aux enseignants français – parmi les plus mal payés d’Europe – pour améliorer leur rémunération et les performances de l’éducation nationale en matière de réussite scolaire, de lutte contre les inégalités et même d’insertion dans l’emploi. L’enjeu n’est donc pas mince. Pap Ndiaye, le prédécesseur de Gabriel Attal Rue de Grenelle, l’avait claironné au printemps : pour que cela fonctionne, il faudrait que 30 % des enseignants s’engagent dans la démarche. Aujourd’hui, le ministère se fait beaucoup plus discret sur le sujet. Et pour cause : à en croire les remontées de terrain parvenues aux principaux syndicats, c’est au pire un rejet clair et net, au mieux de gros doutes qui habitent les professeurs. Décryptage des principaux points de friction.
Voir aussi :Pourquoi les profs ne veulent pas signer
1. Le retour du fameux « travailler plus pour gagner plus »
Le principe général du pacte, vu du côté des personnels, est assez simple : il s’agit, pour celles et ceux qui s’y engageront, d’accepter des tâches supplémentaires en échange d’une rémunération spécifique. Chaque type de tâche, qu’on a déjà pris l’habitude d’appeler « briques », implique d’effectuer 18 ou 24 heures annuelles en plus. Chaque « brique », quel que soit son volume horaire, est rémunérée 1 250 euros brut par an, répartis sur neuf mois (d’octobre à juin). Chaque enseignant peut choisir de s’engager pour une seule « brique » ou pour plus – le maximum étant en lycée professionnel, où l’on peut cumuler jusqu’à six « briques », soit 7 500 euros brut annuels. On peut aussi prendre des « bouts de brique » dans certains cas, mais pas pour les missions jugées prioritaires comme les remplacements de courte durée dans le secondaire ou le soutien en mathématiques et en français au collège pour les professeurs des écoles. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une augmentation qui permettrait aux professeurs d’être payés plus pour le même travail, mais d’une nouvelle forme du « travailler plus pour gagner plus », visant à imposer des tâches supplémentaires à des professionnels qui travaillent déjà, selon les chiffres du ministère, entre 42 heures (secondaire) et 43 heures (primaire) hebdomadaires. On est donc loin de la revalorisation générale et inconditionnelle promise depuis plusieurs années. Sans compter l’aspect sexiste de la chose dans une profession très féminisée où les femmes auront encore moins de possibilités d’effectuer un surplus de travail – constat déjà vérifié pour ce qui est des heures supplémentaires, pour ne prendre que cet exemple.
2. Primaire et secondaire : boucher les trous
Impossible de dresser ici le catalogue des différentes « briques » proposées. Pour les professeurs des écoles, la mission prioritaire est d’aller effectuer du soutien en mathématiques et en français pour les élèves de 6e au collège. Dans le secondaire, la priorité est donnée aux remplacements de courte durée, conformément aux proclamations médiatiques du ministre. À rémunération égale, ces « briques » prioritaires portent sur 18 heures annuelles au lieu de 24. Des zones floues demeurent, par exemple pour savoir si, au cas où ces missions prioritaires ne seraient pas remplies, les enseignants ayant signé pour d’autres « briques » pourraient se voir contraints de les assurer. Ou si, dans le cas où un enseignant n’aurait pas eu l’opportunité d’effectuer ses 18 heures de remplacement, il doit rembourser leur rémunération… Mais les plus fortes critiques à l’encontre de ce dispositif sont d’ordre pédagogique. Remplacer un professeur de maths par un professeur d’anglais, qui fera une heure d’anglais, cela ne compensera pas l’heure de maths perdue. Aller faire du soutien en 6e ne compensera pas les inégalités sociales et scolaires qui, faute de moyens, posent problème en amont du collège. Bref, les syndicats martèlent que le pacte ne compensera pas les milliers de postes qui font défaut, que ce soit pour les remplacements, pour assurer les dispositifs de soutien, pour les heures de « découverte des métiers » au collège, pour aider à l’orientation, à conduire des projets… La conclusion est évidente : le pacte n’a pas pour but de remédier aux conséquences dévastatrices de décennies de manque d’investissement dans l’éducation nationale mais de laisser croire que la solution repose sur le seul volontarisme des enseignants.
3. Lycée professionnel : faire passer la réforme en contrebande
En lycée professionnel, le pacte revêt une dimension toute particulière. Quantitativement pour commencer : avec 15 « briques » différentes, les professeurs de lycée professionnel (PLP) ont droit au plus large éventail de possibilités. Comme en lycée général, la priorité est donnée aux remplacements de courte durée. Mais avec le pacte, le diable est dans les détails : parmi les autres « briques », apparaissent des propositions qui consistent à rien de moins que la mise en pratique de la réforme du lycée professionnel (LP), présentée l’an dernier par le gouvernement et rejetée par les personnels avec une force qui a débouché sur des journées de grève massivement suivies. Exemples : assurer des cours en effectif réduit pour des élèves en difficulté… à la place – et non en plus – des heures de cours normales ; transformer les PLP en promoteurs de l’apprentissage en assurant des heures de « découverte des métiers » en collège ; assurer le suivi d’élèves en grande difficulté (« décrocheurs »)… à la place des dispositifs actuels, insuffisants et sous-financés ; proposer des suivis postbac et en insertion professionnelle ; développer des « certificats de spécialisation » à bac + 1 en remplacement des mentions complémentaires actuelles, mais sans les financements dont celles-ci disposent aujourd’hui.
4. Un contrat mis sur l’école et sa mission de service public
Vu ainsi, le pacte peut faire penser à un vaste bricolage, un de plus, qui ne résoudra en rien les problèmes connus de l’éducation nationale. Ce serait gravement sous-estimer la profonde transformation qu’il opère, à petite dose pour commencer, et la menace qu’il fait ainsi peser sur tout notre système scolaire. Car, à la mission de service public, portée par des personnels formés, exercée dans un cadre d’emploi sécurisé assurant la liberté pédagogique de celles et ceux qui l’assurent, le pacte et ses « briques » ne substituent rien de moins qu’un paiement à la tâche (ou à la mission), annualisé, où la commande l’emporte sur toute autre considération, où l’enseignant n’est plus le concepteur de ses cours mais une sorte particulière de personnel contractuel. Des emplois bien réels – de coordination et de suivi de projet, d’orientation, soutien ou remédiation, théoriquement assurés aujourd’hui par des conseillers d’orientation, des conseillers principaux d’éducation, des enseignants spécialisés, des directeurs de formation professionnelle en LP… – risquent se trouver rapidement menacés. Au passage, en choisissant parmi les demandeurs qui aura sa ou ses « briques »… et la rémunération qui va avec, les supérieurs hiérarchiques (personnel de direction en lycée et collège, inspecteurs en primaire) acquerront un pouvoir direct sur le salaire des professeurs.
Il ne faut donc pas s’y tromper : ce que le pacte porte en lui comme la nuée l’orage, c’est l’éclatement du cadre de travail du service public de l’éducation nationale. C’est le germe de la contractualisation généralisée dans l’éducation, aujourd’hui limitée à une partie de l’enseignement privé, celle qui est dite « sous contrat ». Un vieux fantasme porté depuis des lustres par les idéologues ultralibéraux – et que le Grenelle de l’éducation, organisé en 2021 par Jean-Michel Blanquer, avait remis en avant, pour arracher l’éducation des mains de ceux qui en sont aujourd’hui les derniers garants : le personnel, en général, et les enseignants en particulier.
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