Pourquoi les femmes sont-elles plus exposées à la pauvreté ?
Dans son rapport annuel sur l’« État de la pauvreté », paru ce mardi 14 novembre, le Secours catholique alerte sur la précarité croissante des femmes, indissociable des charges qui pèsent sur elles de manière structurelle.
Le constat est sans appel : la pauvreté s’incarne de plus en plus au féminin. Alors qu’elles constituaient déjà la moitié des bénéficiaires du Secours catholique à la fin des années 1980, les femmes sont aujourd’hui largement surreprésentées avec près de 60 % des demandes, selon le rapport annuel de l’association basé sur les statistiques issues des 1 027 500 personnes qui l’ont sollicitée en 2022.
Ce chiffre s’inscrit dans un contexte d’aggravation de la pauvreté, puisque le niveau de vie médian constaté a baissé de 7,6 % en un an. Il s’établissait à 538 euros par mois en 2022 (contre 579 euros en 2021), soit 18 euros par jour pour subvenir à tous les besoins, dont le logement. Pire, trois quarts des bénéficiaires survivent très en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 40 % de cette somme – par comparaison, ils étaient 65 % en 2017.
Cette tendance s’explique notamment par la forte inflation des prix de l’alimentation (+ 6,8 % en 2022) et de l’énergie (+ 23,1 %). Selon les auteurs du rapport, « tout porte à croire que cette dégradation se poursuit en 2023, comme en atteste la forte hausse du nombre de personnes faisant appel à l’aide alimentaire des associations ».
23,6 % des ménages rencontrés n’ont aucune ressource financière
Parmi les personnes qui poussent la porte du Secours catholique, 24 % touchent le RSA, mais plus d’un tiers qui y sont éligibles ne l’ont pas perçu en 2022. Le phénomène de non-recours s’est encore amplifié par rapport à l’année précédente (+ 4 points). Chez les personnes actives que rencontre le Secours catholique, 63 % travaillent en CDD à temps partiel, contre 28 % au niveau national.
« Cela suggère que beaucoup d’emplois précaires ne permettent pas de s’en sortir, surtout en période d’inflation », pointe Véronique Devise, la présidente de l’ONG. La part des personnes dites inactives continue en outre d’augmenter : elle atteint 61 % en 2022 (contre 44 % en 2012) et 40 % de ces « inactifs » n’ont tout simplement pas accès au marché du travail car sans titre de séjour, au point que 23,6 % des ménages rencontrés n’ont aucune ressource financière (+ 2 points en un an).
« Des femmes étrangères, souvent d’âge actif, sont maintenues dans la misère, ainsi que leurs enfants, tant que leur statut administratif précaire ne leur permet pas de travailler, alors même qu’elles le souhaiteraient et que c’est une des meilleures manières de s’intégrer et de préparer l’avenir », dénonce le Secours catholique.
« Les hommes sont spécialisés dans le travail rémunéré ; les femmes, dans le travail gratuit » Sibylle Gollac, sociologue
Mais ces « inactifs » et a fortiori « inactives », ce sont aussi des chômeurs et des chômeuses qui ont renoncé à chercher un emploi. Une situation qui, comme l’emploi à temps partiel, concerne majoritairement les femmes. « Si les femmes font davantage appel au Secours catholique, c’est aussi parce que, neuf fois sur dix, ce sont elles qui assument la charge des enfants quand les couples se séparent. Elles assument seules la charge mentale quotidienne des courses, des conduites, des repas, des papiers, des soins, etc. Le tout avec un budget impossible à boucler, qui est source d’angoisse permanente », précise la présidente du Secours catholique.
Ainsi, les mères isolées représentent un quart des ménages qui sollicitent le Secours catholique, tandis que les femmes seules comptent pour 21 % des demandes. Ces dernières sont de nationalité française à 72 % et âgées majoritairement de plus de 56 ans. « Les ruptures conjugales, les traumatismes sont une des raisons majeures pour lesquelles des personnes se tournent vers les associations. 22 % des femmes seules et des mères isolées rencontrées au Secours catholique mentionnent ainsi une séparation, un abandon ou un divorce récents », indique le rapport.
Faibles retraites et difficultés pour les femmes d’âge plus mûr
On peut noter une « continuité » entre ces deux types de demandeuses. Les femmes jeunes sont empêchées d’avoir une activité rémunérée pour des raisons de mobilité et de charges familiales, tandis que celles qui travaillent sont moins bien payées, plus souvent à temps partiel subi.
Leurs carrières sont donc hachées, voire inexistantes, ce qui induit de faibles retraites et des difficultés pour les femmes d’âge plus mûr. « Les femmes seules à la retraite ont effectivement des pensions bien inférieures à l’ensemble des retraités, confirme Julie Tréguier, économiste à l’institut de recherche DIW de Berlin. Même si elles participent de plus en plus au marché de l’emploi, elles restent cantonnées majoritairement à des métiers moins bien rémunérés, qu’elles exercent souvent à temps partiel, et dont la pénibilité n’est pas forcément reconnue, comme c’est le cas des aides-soignantes, par exemple, qui portent fréquemment des malades. De fait, même si davantage de femmes touchent une pension de retraite de droits propres, celle-ci reste en moyenne inférieure à celle des hommes. »
Une inégalité qui est de moins en moins compensée par des dispositifs de correction, comme la pension de réversion liée au fait d’avoir été mariée. « Les couples se marient moins et les divorces augmentent, avec pour conséquence, chez les femmes veuves ou divorcées, une perte de niveau de vie, d’autant que, lors d’une séparation, elles sont souvent perdantes », précise l’économiste.
La pauvreté des femmes à tous les âges de leur vie a donc des causes structurelles. Et tant que le rôle qui leur est assigné dans la société ne change pas, les perspectives d’évolution positive restent limitées. « L’accès à l’emploi ne peut pas être un horizon de court terme pour un nombre significatif de personnes, que la vie les ait trop abîmées, qu’elles soient privées d’accès au travail ou qu’elles soient déjà trop occupées à prendre soin de leurs proches », détaille le rapport.
Ses auteurs taclent du même coup les annonces qui ont accompagné la création de France Travail, dont le « retour à l’emploi » des allocataires du RSA via une obligation de 15 heures d’activités hebdomadaires. Une piste pourrait être de rémunérer celles qui sont trop souvent stigmatisées par la terminologie, statistique et inadaptée, d’« inactives ».
« Ces femmes mènent souvent des activités domestiques, de garde d’enfants ou de petits-enfants, d’aidant familial, de bénévole, essentielles à la société, constate le Secours catholique. Il revient aux responsables politiques de reconnaître et de valoriser pleinement ces activités invisibles et pourtant vitales. »
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