La dette d’état en croissance perpétuelle est la solution (nécessairement temporaire) aux contradictions internes du capitalisme. Par la dette et l’endettement généralisé, le capitalisme impérialiste financiarisé exporte sa contradiction sans la résoudre.
Il fût un temps où dans la France en voie d’industrialisation, les bretons et les auvergnats (entre autres) migraient de leur pays sous développé vers la capitale industrialisée. Chassés par l’exode rural, il venaient constituer une main d’oeuvre à bas prix pour les usines en plein développement de la capitale et pour tous les petits boulots qui entouraient le développement industriel. L’industriel de la capitale accumulait les surplus, en marchandises, et en capitaux et s’efforçaient de leur trouver le meilleur débouché.
Que fit on ? On élargit la base productive : on industrialisa la France rurale (on batit alors des dizaine de milliers de kilomètres de chemins de fer) et on conquit un vaste empire colonial qui servit à la fois de débouché et de ressources en matière première. On n’eut pas l’idée à ce moment d’endetter la Bretagne ni l’Auvergne en échange de la construction de ces voies ferrées. On ne pouvait pas non plus endetter les pays colonisés, puisque ces pays n’existaient pas réellement comme entités juridiques ni leurs habitants comme personnes reconnues juridiquement habilitées. On ne le fera qu’au moment de la décolonisation où on mettra sur le compte de ces pays nouvellement créés le remboursement d’une partie des infrastructures que la France avait construit pour les exploiter.
Mais l’endettement de l’état Français auprès de la grande bourgeoisie financière existait déjà, il existait même à la fin de l’époque féodale, comme arme de rapport de force entre l’état “absolutiste” fragilisé et cette grande bourgeoisie en phase ascendante.
En principe (juridique), l’état, qu’il fût “absolutiste” ou “démocratique” n’a aucunement besoin de s’endetter. Il dispose en effet du pouvoir absolu de lever l’impôt, donc de prendre sans rien devoir, à quelque classe sociale que ce soit, ce dont il a besoin.
Pourquoi emprunter ce que vous pouvez prendre ? Juridiquement, la dette d’état est un mystère.
La dette d’état est une reconnaissance par l’état de la puissance de classe dominante de la bourgeoisie. A elle, on ne prend pas tout ce dont on a besoin. On prend un peu et on emprunte l’essentiel, ce qui la place en position encore plus forte pour le futur (jusqu’à un certain point seulement, car dialectiquement, toute position dominante construit sa propre limite). La dette consentie à l’état par la grande bourgeoisie est comme le mors dans la bouche du cheval, un outil de contrôle et de concrétisation de la domination. Ce lien de dépendance est organisé pour être crucial, car la dette des états est “roulante” : une part significative de cette dette doit être remboursée chaque année et l’état concerné doit se réendetter pour pouvoir effectuer ce remboursement. Comme on l’a vu avec la crise grecque, il suffit aux banques de “serrer la bride” pour soumettre le cheval récalcitrant.
Mais la dette d’état a une autre dimension : elle équilibre le système capitaliste par la dépense d’état qui vient absorber une partie du surplus de la production, garantissant par avance la possibilité d’élargir la production. La dette d’état joue un rôle essentiel dans la préparation permanente d’un reproduction élargie de marchandises, notamment en période de crise, par l’acquisition de puissant matériel militaire. On peut observer ce phénomène dans l’extraordinaire budget militaire états-unien, budget impressionnant qui lui-même doit trouver à s’employer et se justifier dans l’entretien de conflits permanents sur plusieurs continents.
Enfin, dans la structure financiarisée du capital, la dette d’état joue un troisième rôle, celui de contrepartie ultime, de gage dans les processus aujourd’hui hautement complexes et contradictoires d’échanges financiers et de prêts. La bourgeoisie a besoin d’appuyer son édifice de prêt à une garantie solide, à un acteur réputé “ne jamais faire faillite”, et l’état joue ce rôle aujourd’hui. Pour cela, il faut un grand volume de dette d’état, afin que chaque grande banque puisse en avoir suffisamment dans ses comptes, afin de garantir (selon les normes obligatoires) sa solidité financière. Les USA joue à travers leur dette monumentale un rôle prépondérant dans l’économie mondiale actuelle.
La structure nationale propre à la bourgeoisie crée une autre limite : celle de l’état à travers son territoire, entre l’intérieur et l’extérieur, entre pays. Or, on a vu que, très rapidement, les forces productives du capitalisme ont besoin de s’étendre à l’extérieur des frontières nationales. Au début, dans la phase coloniale, cela ne pose pas de difficulté majeure. Les populations autochtones, non industrielles, n’ont pas les moyens techniques de résister. Il n’y a aucune barrière à l’appropriation. La frontière entre l’intérieur national et l’extérieur colonisé est aboli dans le sens favorable aux capitalistes.
Rapidement, les principaux états capitalistes vont coloniser ou soumettre l’ensemble du reste du monde et entrer en concurrence pour leur expansion. Ce sera la première puis la seconde guerre mondiale, la révolution soviétique, puis chinoise, l’établissement des premiers états socialistes et la conquête, par les pays colonisés de leur indépendance nationale.
L’endettement des états se divise alors en deux catégories foncièrement différentes : l’endettement des états dominants continue d’exprimer le rapport de l’état à la bourgeoisie nationale, mais dans les états dominés, qui n’ont pas de classe bourgeoise développée, l’endettement a perpétué sous une autre forme le rapport de domination impérialiste : la reconnaissance par les nouveaux états de leur soumission prolongée aux anciennes puissances impérialistes.
Ce faisant, la dette internationale des états devient un levier majeur de puissance et de rapport de force au niveau mondial entre les grands états développés. Un état anciennement développé et même anciennement dominant comme la France n’échappe pas à une soumission au capital étranger par le biais de sa dette.
Il faut ici bien comprendre la nature du développement économique et industriel des sociétés modernes. Le developpement s’appuie sur l’accumulation répétée de forces productives concentrées, produisant à une échelle sans cesse élargie, et avec une complexité sans cesse approfondie, tant à l’intérieur du processus de production, que dans l’interaction et les échanges entre les différents processus de production. Cette complexité est nécessaire pour accroître la pertinence, l’usage et la portée des marchandises produites. On est en train d’en vivre un nouveau cycle particulièrement impressionnant pour l’automobile avec les méga-usines de voitures électriques de Tesla, BYD, …
Il n’y a pas de point d’équilibre actuellement atteignable, nous sommes probablement même au point de déséquilibre maximum du processus de développement mondial des forces productives. Une économie nationale qui ne se modernise pas, qui ne se renouvelle pas par l’injection de forces productives élargies et plus modernes est rapidement distancée et dévalorisée.
Chaque économie doit trouver sa place dans un processus mondial hautement contradictoire, qui n’est réellement régulé par par l’interaction des états et les rapports de forces qui évoluent constamment entre eux, et saisir la part de ressources (humaines, matérielles, en capital) disponibles qui lui sont nécessaires pour parvenir à développer son industrie au stade supérieur).
La finance moderne est l’arène de cette lutte pour les ressources nécessaires au développement, en tous cas, jusqu’à aujourd’hui. Marx expliquait que les hommes font leur propre histoire, mais qu’il doivent la faire dans des circonstances qu’ils n’ont pas choisies. Les pays doivent avoir recours aux “marchés financiers” pour accéder aux ressources nécessaires à leur développement, cela fait partie des circonstances qu’ils n’ont pas choisies, dans une économie globalement enchevêtrée.
Nous atteignons là un niveau de contradiction très très élevé. De ce point de vue, même si la dette des USA est la plus élevée au monde, elle n’est clairement pas la plus douloureuse. Le capital états-unien, malgré son vieillissement avancé, continue d’accumuler une large part des ressources mondiales et peut de ce fait, se tenir à flot pour quelque temps encore. A court terme, les USA accumulent du capital sur un rythme qui leur permet de soutenir cette dette. La situation est beaucoup plus difficile pour un grand nombre de pays, aujourd’hui au bord de la faillite.
Du fait des rapports mondiaux de domination, la monnaie de référence étant le dollar états-unien, la plupart des pays dominés doivent s’endetter non pas dans leur monnaie nationale, mais en dollars. Ils sont dès lors tributaires à la fois des taux de changes et des taux d’intérêt pratiqués par la banque centrale états-unienne, la Federal Reserve dite “la Fed”.
Pour ces pays, le schéma est le suivant : la plus-value, extraite et accumulée par la production dans leur pays est en large partie centralisée dans le système financier états-unien, et ils doivent s’endetter auprès de ce système pour récupérer des ressources permettant la reproduction de la produciton sur leur sol. Lorsque le centre états-unien entre en crise, il durcit l’accès au capital et ces pays, étranglés, font les frais de cette crise.
Pourtant, cette domination états-unienne se fragilise de manière visible et tangible. Elle est engagée pour la lutte la plus sérieuse pour son maintien en tant que structure dominante de l’économie mondiale. Elle même sent probablement qu’elle vit les dernières années de cette situation hautement privilégiée. Son raidissement, son refus d’avandonner le moindre appui de son pouvoir mondial sont d’autant plus forts et crispés. C’est la cause de toutes les guerres actuelles : refus de négocier et maintien de sa toute puissance à décider du sort du monde, tant en Palestine, en Ukraine ou en Mer de Chine.
Ce qui se dresse face à cette puissance états-unienne, ce n’est pas seulement un rival. C’est un nouveau système de relations internationales, de finance mondiale et de développement. C’est une nouvelle organisation du monde, certainement pas encore aboutie ni parfaite, pas encore un socialisme généralisé qui pourrait nous conduire vers un développement harmonieux à tous points de vue.
De cette organisation, on peut déjà entrevoir les caractéristiques suivantes :
1) la multipolarité, reconnue et assumée : des pays de cultures, d’histoires et de continents divers, représentant largement l’humanité dans ses composantes et sa diversité, construisant ensemble des règles communes,
2) l’accès au développement pour tous les pays, par la construction des infrastructures nécessaires (énergie, transport) et l’accès aux savoir-faire,
3) Une architecture financière mondiale transparente, plus efficace et mieux décentralisée, peut-être à terme la construction d’une monnaie mondiale neutre,
4) La possibilité (et la responsabilité) pour chaque pays de choisir sa propre voie de développement.
Cette voie d’avenir n’est pas la solution ultime, mais elle est le cadre dans lequel les solutions aux problèmes de l’humanité pourront être trouvées. Elle est la voie de la paix, du dialogue et du développement. Nous devons assumer de le dire clairement.
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