Allocation de solidarité spécifique : comment le gouvernement va plonger les chômeurs dans la pauvreté

En s’attaquant à l’allocation de solidarité spécifique, le filet de sécurité destiné aux chômeurs en fin de droits, pour la remplacer par le revenu de solidarité active, l’exécutif poursuit sa politique délibérée de précarisation des chômeurs et de démantèlement de l’assurance-chômage. Leur horizon : le contre-modèle allemand.

Selon les derniers chiffres de la Drees, le service statistique ministériel, datant de fin 2022, 322 000 personnes sont bénéficiaires de l’ASS, une allocation créée en 1984 et destinée à des privés d’emploi ayant épuisé leurs droits au régime d’assurance-chômage (dix-huit mois d’indemnisation au maximum pour les moins de 53 ans).
© Bruno Levesque / IP3 Paris

On peut reprocher beaucoup de choses à Emmanuel Macron, mais pas de manquer de constance : après avoir entamé son premier quinquennat en expliquant aux chômeurs qu’ils n’avaient qu’à « traverser la rue » pour retrouver du boulot et poursuivi en menant les réformes les plus régressives de l’histoire de l’assurance-chômage, le voici qui relance son second mandat en rouvrant le chantier de démolition.

Lors de son discours de politique générale du 30 janvier, le premier ministre Gabriel Attal a annoncé qu’il comptait supprimer l’allocation de solidarité spécifique (ASS), filet de sécurité destiné aux chômeurs en fin de droits, pour la remplacer par le revenu de solidarité active (RSA).

Vu de loin, cette mesure peut paraître purement technique. Il n’en est rien : les quelques phrases prononcées à l’Assemblée nationale par le premier ministre, assorties du couplet de rigueur sur la nécessité de « chercher un modèle social plus efficace et moins coûteux », ont dû faire trembler environ 322 000 personnes.

L’allocation de solidarité spécifique, c’est 18 euros par jour, soit environ 540 euros par mois

Selon les derniers chiffres de la Drees (le service statistique ministériel), datant de fin 2022, c’est le nombre de bénéficiaires de l’ASS, une allocation créée en 1984 et destinée à des privés d’emploi ayant épuisé leurs droits au régime d’assurance-chômage (dix-huit mois d’indemnisation au maximum pour les moins de 53 ans). Le montant de l’ASS n’a rien de somptuaire : 18 euros par jour, soit environ 540 euros par mois ; 58 % des bénéficiaires ont 50 ans et plus. « Les chômeurs de longue durée qui perçoivent l’ASS sont souvent des seniors, confirme la sociologue Claire Vivès. Le gouvernement part d’un problème réel (le chômage des plus de 50 ans), mais rend les personnes qui le subissent responsables de leur situation, plutôt que de remettre en cause, par exemple, le comportement des employeurs. »

Le basculement programmé de ces personnes au RSA risque de faire des dégâts pour au moins deux raisons. La première, c’est que les personnes à l’ASS cotisent automatiquement pour leur retraite, contrairement aux bénéficiaires du RSA. La seconde, c’est qu’il est plus facile pour une personne en couple de percevoir l’ASS, même si son conjoint travaille. Pour le dire autrement, un chômeur vivant avec une personne payée au Smic peut toucher l’ASS, mais n’aura pas le droit au RSA si l’ASS vient à être supprimée. Selon les calculs de l’économiste Michaël Zemmour, la décision de Gabriel Attal pourrait faire perdre entre 100 et 150 euros par mois à un ménage dont un des conjoints travaille au Smic, soit 5 à 10 % de ses revenus.

Au fond, cette décision s’inscrit dans le droit-fil de la politique macroniste de démantèlement de l’assurance-chômage menée tambour battant depuis 2017. Cette politique s’appuie à la fois sur un présupposé idéologique (le mythe du chômage « volontaire » ), un objectif financier de réduction de la dépense publique et un mot d’ordre implicite, selon lequel un travailleur précaire vaut mieux qu’un chômeur indemnisé. « Il s’agit de rendre la situation des salariés plus enviable que celles des chômeurs, mais sans augmenter les salariés, résume la sociologue Claire Vivès. Ce qui revient en fait à dégrader les conditions de vie des chômeurs, tout en mobilisant un discours glorifiant la dignitédu travail. »

« Mais qu’est-ce que les chômeurs ont fait à Macron ? »

Dans l’histoire de la Ve République, aucun pouvoir ne s’était attaqué à l’assurance-chômage avec un tel systématisme. Les gouvernements macronistes ont joué sur tous les paramètres : dégressivité des allocations pour les cadres (entrée en vigueur en juillet 2021) ; modification du calcul de l’allocation (octobre 2021) ; durcissement des conditions d’accès (décembre 2021) ; réduction de 25 % de la durée maximale d’indemnisation pour les nouveaux inscrits (février 2023). Avec un double objectif : faire baisser le nombre d’inscrits et réaliser des économies.

La dernière réforme, entrée en vigueur en février 2023, va faire « économiser » 4,5 milliards d’euros par an à l’assurance-chômage. Selon les estimations de l’Unédic, le nombre d’allocataires indemnisés chuterait mécaniquement de 12 % à horizon 2027, soit environ 300 000 personnes en moins. Sans indemnités, des milliers de chômeurs seront poussés à accepter n’importe quel boulot, ce qui n’est peut-être pas pour déplaire à l’Élysée : après tout, Emmanuel Macron s’est fixé pour objectif d’atteindre le plein-emploi en 2027, mais sans préciser les modalités pour y parvenir.

Le chef de l’État n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. Lors du récent sommet de Davos, il a redit son intention d’ouvrir « un deuxième temps sur la réforme de notre marché du travail en durcissant les règles de l’assurance-chômage ». De quoi susciter une levée de boucliers généralisée parmi les syndicats. « Mais qu’est-ce que les chômeurs ont fait à Macron ? » fait mine de s’interroger la dirigeante de la CFDT, Marylise Léon, tandis que Sophie Binet, son homologue de la CGT, prévient l’Élysée que « si, encore une fois, il s’agit de remettre en cause les droits des travailleurs », ce serait « un casus belli ».

Emmanuel Macron a souvent vanté les mérites de la « flexisécurité » danoise, mais le « modèle » allemand l’inspire au moins autant. C’est probablement un hasard, mais Gabriel Attal a annoncé le prochain tour de vis en moquant « le droit à la paresse » devant les députés : c’est en dénonçant ce même « droit à la paresse » que le chancelier Gerhard Schröder préparait les esprits, dès 2001, aux réformes du marché du travail. En 2005, la loi Hartz IV (du nom de l’ex- DRH, Peter Hartz) prévoit que les chômeurs ne seront plus indemnisés que pendant douze mois (contre trente-six mois au maximum auparavant), pour basculer ensuite sur une indemnité forfaitaire très faible. Par ailleurs, les contrôles sont durcis.

Il est difficile de ne pas percevoir l’écho de cette politique (au moins dans son esprit), dans les récentes mesures macronistes : réduction de la durée d’indemnisation, remplacement de l’ASS par le RSA, renforcement du contrôle des chômeurs. Reste que la comparaison avec l’Allemagne est cruelle. C’est précisément au moment où la France s’engage dans cette voie pied au plancher que le voisin allemand fait prudemment machine arrière : il y a quelques semaines, Hartz IV a été édulcorée par la coalition au pouvoir.

 


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