in Vie de la Brochure
Marx a su analyser les contradictions du capitalisme sauf qu’il en est une qui lui est apparu négligeable. Le capitalisme a à la fois besoin de faire disparaître des paysans tout en ayant besoin d’eux pour nourrir la société et en partie aussi ses industries (pour le textile par exemple).
Or Marx était bien placé en Angleterre pour découvrir le résultat des conséquences des contradictions du capitalisme, sur l’agriculture, à savoir la disparition des paysans cultivateurs au bénéfice des paysans industriels.
Mais au cours du XIXème siècle le capitalisme n’était encore qu’un embryon et la paysannerie dominait la vie humaine pour la simple et bonne raison qu’avant d’accumuler du capital, il faut avoir de quoi manger, un abri et faire ainsi société.
L’enfant capitalisme grandissant, dans les pays le plus sous son influence il trouva de quoi suggérer l’exode rural. Oui, j’écris suggérer car contrairement à une idée reçue le capitalisme a toujours tenu à se présenter sous les caractères d’un progrès bénéfique pour tous.
Là aussi, si Marx a mesuré le côté révolutionnaire du capitalisme, il a moins mesuré la nature contradictoire du progrès. Il serait mal placé de négliger les avancées sociales qui ont été permises pendant des décennies d’autant que les luttes sociales, héritières des vertus du passé, imposèrent leur calendrier. Mais ce progrès ne pouvait que se changer en son contraire, et là Marx dirait qu’en effet les contradictions du capitalisme conduisent par le fameux calendrier des lutes sociales, à son dépassement par le socialisme.
Lire aussi: Marx et la paysannerie, une relation ambiguë
Mais il n’imaginait pas le capitalisme si fort que, de mutations en mutations, les vertus sociales du passé disparaitraient, une disparition se produisant au rythme de la disparition des paysans.
L’exode rural qui court sur la planète depuis le début du XXème siècle est un acte douloureux mais volontaire car il est habité par un espoir en un mieux, devenu portant de plus en plus difficile.
Au bout d’un moment, contre toute attente, des paysans ont décidé de rester chez eux. Que faire ?
La solution est double pour le capitalisme : créer un fossé entre le capital investi et les gains obtenus, ce fossé s’alimentant aux évolutions techniques inévitables en matière de matériel, de type de culture etc. Ou pousser le paysan à s’étrangler lui-même pour que seuls ceux dont les reins sont solides survivent. Que la mort des uns fasse le bonheur des autres.
Quelle est la différence entre une agriculture paysanne et une agriculture industrielle ?
La première refuse de se soumettre à l’accumulation. Elle travaille pour vivre.
La deuxième ne vit que pas l’accumulation : accumulation de terres, de tracteurs, de produits pour cultiver tant de terre etc. Et celle-ci ne peut vivre que par l’accumulation de subventions dans un monde où l’industrie veut occuper toute la place. Elle travaille pour travailler.
Il est de bon ton aujourd’hui de parler de la valeur travail au moment où le capitalisme a vidé de sens tout travail !
Avant que la philosophie du capitalisme (la course à l’accumulation) ne devienne dominante le travail était source de vie réelle. C’est vrai la noblesse d’avant la Révolution française a déjà accumulé (ouvrant la voie au capitalisme) mais socialement le travail n’était pas pour elle. A travers les siècles, le plaisir du travail bien fait, est devenu une vertu populaire chez des artisans comme chez des paysans. Là, le peuple a puisé son élan révolutionnaire, élan que le capitalisme a détourné à son profit, comme aujourd’hui il veut détourner au profit de l’agriculture industrielle, la colère de l’agriculture paysanne.
Sauf que ce faisant ce n’est pas seulement la qualité de l’alimentation humaine qui devient problématique, mais tout simplement la qualité de vie humaine. Comment sortir de l’auto-étranglement des paysans ?
Au cours de la séquence que nous venons de vivre nous avons assisté à un autre fossé : d’un côté 90% de la population était nous dit-on favorable à la révolte paysanne, de l’autre toute la lutte sociale n’a été que corporatiste, or sauf à s’aveugler ce fossé ne fera qu’aggraver la situation !
La comparaison avec les gilets jaunes a souvent été évoquée mais elle ne me parait juste que sur un seul point. Le barrage de Carbone a été le point de départ d’un autre type de lutte paysanne, repris des gilets jaunes sur les ronds-points, et qui fait penser aux grèves avec occupation d’usine. Un autre point est venu s’ajouter : la montée sur Paris. Pour le reste les deux mouvements sont à l’inverse l’un de l’autre !
Avec un point spécial pour les paysans : les organisations syndicales dépassées au départ, puis en concurrence ensuite.
Chez les gilets jaunes la révolte fut sociale mais le refus général de toute organisation a permis aux médias, diverses manipulations.
Pour sortir des corporatismes, l’invocation classique de la convergence des luttes est relancée. Les taxis par exemple ont essayé de se placer dans l’ombre des tracteurs.
Toutes les professions n’ont pas un tracteur mais toutes peuvent occuper les écoles, les usines, les grandes surfaces sauf qu’il faut pour ça un objectif commun et c’est lui que le capitalisme s’acharne à éviter.
Jean-Paul Damaggio
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