Alors que le gouvernement s’apprête à doubler la mise austéritaire pour 2025, des spécialistes ont cherché à estimer les effets sur l’emploi dans la fonction publique des 10 milliards d’euros d’économies imposées cette année. L’exécutif dément toute baisse d’effectifs.
Même pas mal. À en croire le gouvernement, les 10 milliards d’euros de baisse de dépenses publiques annoncée pour l’année 2024 et qui pourrait être doublée en 2025 n’auront pas le moindre effet, ni sur le quotidien des Français, ni sur les politiques menées, ni sur l’effectif de fonctionnaires. Un peu comme s’il ne s’agissait que d’un jeu d’écriture comptable, un exercice d’arithmétique indolore destiné à alléger le poids des déficits publics.
Une nouvelle attaque contre 5 millions d’agents
Dans un récent entretien au Monde, Bruno Le Maire annonce même 12 milliards d’euros d’économies pour l’année prochaine, tout en campant sur ses positions : « Je vous rassure, on est très loin de l’austérité quand on est à 58 % de dépenses publiques dans le PIB ! Il y a 496 milliards d’euros de dépenses de l’État par an, nous faisons une économie de 10 milliards : on va s’en remettre. »
Pourtant, ce coup de rabot qui ne dit pas son nom (le ministre de l’Économie préfère parler de « refroidissement » de la politique gouvernementale) aura bel et bien des effets sur l’État, comme n’ont pas manqué de le signaler les syndicats. « Ces 10 milliards de coupes constituent aussi une nouvelle attaque contre la fonction publique dont les plus de 5 millions d’agents subissent déjà une politique d’austérité ravageuse et une dégradation continue des conditions de travail », déclare la CGT.
Ces dernières ne vont probablement pas s’améliorer. Des spécialistes ont sorti leur calculette : selon eux, entre 15 000 et quelque 20 000 postes pourraient être supprimés dans la fonction publique d’État (FPE), cette année, en raison des économies annoncées par l’exécutif. Pour aboutir à ces estimations, ils ont passé au crible le décret n° 2024-124 publié au Journal officiel le 21 février. Le document décline les effets des 10 milliards d’euros de coupe, ministère par ministère. La colonne « Titre 2 » désigne, dans la nomenclature de l’État, les crédits de masse salariale.
Sabrer 781 millions dans le coût salarial
Le gouvernement a l’intention d’amputer ces derniers de quelque 781 millions d’euros. En partant du « coût salarial » moyen d’un agent de la FPE (c’est-à-dire environ 27 000 euros de rémunération annuelle brut, à laquelle il faut rajouter les cotisations « patronales », soit quelque 40 000 euros par an en tout), il est possible de chiffrer les suppressions de postes.
Arnaud Bontemps, cofondateur de « Nos services publics », en anticipe 19 100, dont 8 000 dans l’enseignement scolaire, 7 500 dans la recherche, 1 700 dans la défense ou 1 200 dans l’agriculture. « Il ne s’agit ici que d’un ordre de grandeur, nous indique-t-il. Lorsque vous supprimez des crédits de masse salariale, je ne vois que deux solutions : supprimer des postes ou réduire les salaires. »
Ancien rapporteur général de la Cour des comptes et fondateur du site Fipeco, François Ecalle aboutit pour sa part à une estimation un peu moins élevée, de l’ordre de 15 000 postes en moins. « Je suis parti du principe qu’une partie des économies de masse salariale seraient probablement réalisées par le décalage du versement de mesures catégorielles (primes – NDLR), explique-t-il. Cela réduit légèrement le volume de suppressions. »
Annulations d’embauches et non remplacements
Ces suppressions d’emplois se feraient de deux manières : annulation des embauches programmées cette année (7 000) et non-remplacement des départs (8 000). Chaque année, quelque 60 000 fonctionnaires partent en retraite, souligne le spécialiste. Au-delà du chiffre, ce qui interpelle, c’est la « discrétion » du gouvernement sur le sujet, qui refuse catégoriquement de parler de baisse d’effectifs : contactés, les services du premier ministre ne nous ont d’ailleurs pas répondu.
Un revirement spectaculaire, quand on songe à l’élection présidentielle de 2017, au cours de laquelle les prétendants de droite s’étaient lancés dans une sorte de concours à la plus grosse baisse de l’emploi public. François Fillon, le candidat LR, promettait par exemple 500 000 suppressions de postes en cinq ans, un chiffre tellement faramineux que même les libéraux les plus exaltés s’interrogeaient sur sa crédibilité. Plus modeste, Emmanuel Macron en annonçait tout de même 120 000, avant de faire machine arrière.
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« Il y a plusieurs raisons qui expliquent la difficulté à tenir ce genre d’engagement, résume François Ecalle. D’abord, je rappelle que 120 000 emplois avaient déjà été supprimés dans la FPE sous Nicolas Sarkozy : plus on supprime de postes, plus il est difficile de retirer ceux qui restent. Ensuite, bien des choses ont changé depuis 2017 : entre la pandémie de Covid et le mouvement des gilets jaunes, le climat politique sur cette question a évolué. » Gageons qu’appeler au démantèlement de l’État sera moins « tendance » lors de la prochaine présidentielle…
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