Laïcité : la gauche riposte aux offensives de la droite et de l’extrême droite

Depuis une trentaine d’années, droite et extrême droite tentent de préempter la loi de 1905, mais le camp progressiste, bien que divisé, n’entend pas laisser cette offensive sans réponse.

Il lui reste un an et demi avant de célébrer son 120e anniversaire. Mais, malgré son âge avancé, la loi de 1905 continue, à son corps défendant, d’être au cœur d’un débat public souvent caricatural. Nul doute que, le 9 décembre 2025, tout le monde voudra sa part de l’héritage.

Bien que fille de la gauche, la laïcité n’a de cesse d’être récupérée, instrumentalisée et même bafouée par ceux qui voudraient en faire un outil de répression. Depuis trois décennies, l’OPA de la droite et de l’extrême droite sur le sujet a presque rendu inaudible le camp progressiste, régulièrement taxé d’« angélisme », de « laxisme », de « wokisme » ou d’« islamo-gauchisme ». Et la division de ce dernier n’aide pas à le crédibiliser face aux différentes attaques.

« Il ne faut pas tomber dans ce piège, alerte Pierre Dharréville, député communiste. La gauche a des choses à dire sur la laïcité. Mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle le fasse sur le même ton que la droite et l’extrême droite. » Et sa collègue écologiste Sandra Regol de compléter : « Nous sommes sommés de choisir un camp alors que nous voulons seulement faire vivre l’esprit de la loi de 1905, sans opposer les religions. Sauf qu’il n’y a pas de place pour cela dans le débat public d’aujourd’hui et nous sommes peu audibles… »

« Tensions logiques »

À gauche aussi, les échanges sur la question peuvent être vifs, y compris au sein des différentes formations politiques où plusieurs visions de la laïcité peuvent cohabiter. Les insoumis, les écologistes et une partie des communistes sont souvent ciblés. « Une partie de la gauche se fourvoie sur ce qu’est cette loi, en pensant qu’elle pourrait être une entrave à la liberté religieuse », pointe la sénatrice PS Corinne Narassiguin. Le vice-président PCF du Sénat, Pierre Ouzoulias, abonde : « Il est quasiment impossible d’en débattre sous peine de voir la discussion virer directement à l’anathème », regrette celui qui reproche à nombre de ses camarades de gauche leur aveuglement devant « l’offensive de l’islam politique », sur l’abaya par exemple.

« Ces gens relaient, peut-être sans s’en apercevoir, une vision animée par le racisme et l’islamophobie, y compris à gauche, rétorque le député FI Éric Coquerel. La laïcité n’a jamais été un athéisme d’État mobilisé contre une seule religion. Elle a été dévoyée par les tenants du “choc des civilisations”. » L’insoumis assure, par exemple, être toujours favorable à la loi de 2004 sur le port de signes religieux ostentatoires à l’école car « la République doit assurer à chacun de ses enfants une éducation émancipatrice en dehors de son cadre familial ou communautaire ».

« Qu’il y ait des tensions, c’est logique. La laïcité a toujours été soumise à de nombreuses conceptions intellectuelles mais, d’un point de vue juridique, il n’y en a qu’une seule. Ceux qui ont d’autres interprétations que la loi doivent assumer qu’ils veulent la changer », lance Nicolas Cadène, ex-secrétaire général de l’Observatoire de la laïcité, régulièrement ciblé pour un prétendu « laxisme » par le Printemps républicain, association laïcarde proche de Manuel Valls et dont l’ancien président a rejoint l’équipe de Valérie Pécresse.

Peut-on aller jusqu’à parler des « gauches irréconciliables » ? « Non, mais on doit aller au bout de ce débat et acter les désaccords, demande Corinne Narassiguin. Cela ne peut pas nous empêcher de construire un projet de société ensemble. » Et de contre-attaquer devant les usurpations des réactionnaires.

« Si la laïcité est en danger, c’est à cause du manque de moyens dans l’école et dans la formation des jeunes citoyens. C’est la politique néolibérale qui fragilise la République. »

Eric Coquerel, député du département Seine-Saint-Denis

« L’instrumentalisation qu’ils font de la laïcité comme outil de catholicisation de la France contre les musulmans est dangereuse », s’inquiète Sandra Regol. Interdiction du voile, et uniquement du voile (Marine Le Pen), inscription des « racines judéo-chrétiennes de la France dans la Constitution » (Éric Ciotti), crèche de Noël dans l’hôtel de ville de Béziers (Robert Ménard)… Les dévoiements sont nombreux, mais comment riposter face aux assauts identitaires contre les musulmans ?

Jaurès pour boussole

La gauche semble au moins d’accord sur un point : il faut faire vivre la République sociale pour donner corps à la République laïque, comme le souhaitait Jean Jaurès. « La laïcité n’est pas un outil d’interdiction. Elle suppose de mélanger la population, car elle est conçue pour organiser une société plurielle. Il faut donc une offre publique laïque de qualité sur tout le territoire et de la mixité sociale dans l’habitat, dans la culture, à l’école… » plaide Nicolas Cadène.

« L’école doit d’abord apprendre ce qu’est la laïcité aux enfants, qu’on ne doit pas traiter en délinquants », ajoute Pierre Dharréville. Et Éric Coquerel de confirmer : « Si la laïcité est en danger, c’est à cause du manque de moyens dans l’école et dans la formation des jeunes citoyens. C’est la politique néolibérale qui fragilise la République. »

« La gauche pourrait être plus offensive », appelle Nicolas Cadène. C’est pourquoi ce dernier n’est pas favorable à la création d’un Défenseur de la laïcité sur le modèle du Défenseur des droits, comme le proposent les socialistes. Trop « défensif ».

Ils préfèrent valoriser les initiatives favorisant la mixité, comme c’est le cas, en Haute-Garonne, avec une politique volontariste du conseil départemental pour lutter contre les inégalités sociales. Plus récemment, la présidente PS de la région Occitanie, Carole Delga, a aussi décidé de tenter de reprendre la main. Elle vient de lancer un conseil régional de la laïcité et des valeurs républicaines pour garantir le vivre-ensemble, organe consultatif composé d’intellectuels et d’associatifs (lire ci-contre).

Il faut aussi relever davantage les incohérences et les entorses à la loi de 1905, pensent tous les acteurs que l’Humanité a pu interroger, car « on n’a pas de leçon de République à recevoir de ceux qui l’abîment », estime Pierre Dharréville.

À l’occasion d’une agora organisée, début mars, par la droite sénatoriale, qui a débouché sur 38 propositions, Gérard Larcher, le président de la Chambre haute, a déclaré vouloir placer la laïcité « au-dessus de tout ». «On n’a pas avancé depuis 1905 et on ne peut accepter qu’il y ait des endroits où la loi ne s’applique pas comme en Alsace-Moselle, en Guyane ou dans l’école privée, répond Pierre Ouzoulias. Alors, je lui dis “chiche” !»

 

 


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