Élections européennes : extrême droite, droite, gauche… qui vote quoi au Parlement européen ?

Les eurodéputés français votent très différemment selon qu’ils sont de gauche ou de droite au Parlement européen. À quelques mois des prochaines élections, prévues le 9 juin, l’analyse des scrutins clés permet aussi de dévoiler un double discours, dont le RN est spécialiste.

Début mars, la cheffe de file des macronistes pour les élections européennes, Valérie Hayer, a lancé que son concurrent de la liste socialiste, Raphaël Glucksmann, votait « à 90 % » comme les eurodéputés Renaissance. « Le chiffre exact, c’est 80 %. Je vote aussi à 86 % avec Marie Toussaint et les Verts, et même à 76 % avec Manon Aubry et la France insoumise », lui a répondu le fondateur de Place publique. Mais alors, les députés européens voteraient-ils en grande partie de la même façon, quelle que soit leur appartenance politique ?

D’un point de vue statistique, on pourrait en avoir l’impression. La diversité et la masse des sujets abordés à Strasbourg expliquent cette large part de votes en commun. Mais la quantité ne fait pas la qualité. Et c’est en examinant les grands dossiers, forcément les plus clivants, que des différences très nettes apparaissent entre les différentes familles politiques.

C’est bien sûr le cas sur les traités de libre-échange. Si la droite, la Macronie et l’extrême droite se sont prétendues les défenseurs des paysans lors de leur lutte, fin janvier, l’examen de leur vote au Parlement européen révèle un double langage… Dernier exemple en date, le scrutin sur l’accord de libre-échange avec le Chili, en janvier 2024. Ce jour-là, l’élu RN Thierry Mariani ne participe pas au vote. L’eurodéputé LR Arnaud Danjean s’abstient. La macroniste Marie-Pierre Vedrenne vote pour, avec les autres élus de son groupe Renew. Les socialistes européens alliés à Raphaël Glucksmann votent également pour. Seul Emmanuel Maurel, membre du groupe La Gauche et candidat sur la liste conduite par Léon Deffontaines, s’y oppose avec les élus écologistes et insoumis.

Jordan Bardella, qui se présente en défenseur de la cause agricole, vote finalement pour la PAC

Mais où sont passées les déclamations en faveur de la « souveraineté » des agriculteurs français affichées par l’ensemble des forces politiques ? « À chaque fois, le groupe La Gauche est le seul à s’opposer » à ces traités de libre-échange, rappelle ainsi la tête de liste insoumise Manon Aubry. À gauche, elle n’est pas la seule à faire campagne sur ce clivage majeur : « Nous sommes une force politique qui conteste l’ensemble des accords de libre-échange », insiste également le communiste Léon Deffontaines dans sa campagne.

La politique agricole commune (PAC), premier budget de l’Union européenne (UE), révèle elle aussi les clivages à l’œuvre et le double langage du RN. En novembre 2021, l’eurodéputé et patron du RN, Jordan Bardella, qui ne cesse de fustiger les écologistes et « les dirigeants politiques qui se sont succédé à la tête du pays comme à la tête de l’UE » comme responsables de la crise agricole, vote finalement pour la PAC actuellement en vigueur.

Les eurodéputés Renaissance en font autant, tout comme les élus LR. Plus hypocrites encore, ils s’opposent au plafonnement des aides à 60 000 euros par exploitation : cette mesure aurait permis de redistribuer une partie du budget de la PAC vers les petites exploitations, le système actuel privilégiant les plus grandes. À l’inverse, la gauche française a voté contre la PAC, des écologistes aux insoumis, en passant par les socialistes, et bien sûr Emmanuel Maurel.

Gauche et droite françaises s’opposent également sur la réforme des règles budgétaires européennes. Les gouvernements de l’UE se sont mis d’accord, début février, sur un retour aux règles de 3 % du PIB de déficit public, et de 60 % de dette, après la pause décidée durant la crise du Covid. Une véritable cure d’austérité est donc prévue en Europe. Les annonces du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, prévoyant de nouvelles coupes budgétaires de 10 milliards d’euros en 2024, puis de 20 milliards supplémentaires en 2025 en France, découlent de cet accord. Et au Parlement européen, qui doit en discuter ce printemps, les eurodéputés de gauche français sont les seuls à s’insurger contre le retour de cette règle.

François-Xavier Bellamy contre l’application du principe de l’égalité salariale entre hommes et femmes

Même son de cloche concernant les politiques écologiques. Le mouvement Bloom a écrit un rapport sur les votes des eurodéputés. Les groupes politiques du Parlement s’y retrouvent classés en trois catégories : « les bâtisseurs » pour la gauche, les « hypocrites » au centre droit, et les « casseurs » à droite et à l’extrême droite. Les sociodémocrates y sont notés 16,6 sur 20. Les écologistes, 19,8 et les députés de La Gauche, 19. Mais c’est en regardant les notes par délégations nationales qu’apparaissent des différences au sein des groupes eux-mêmes. Les écologistes français y sont notés 19,92 sur 20, les insoumis 19,71, tandis que les socialistes français font mieux que leurs collègues européens avec une moyenne de 19,03 sur 20…

Les eurodéputés RN, eux, obtiennent la note de 3,8. Les LR, de 5,5. Et la Macronie, 14,63, soit « une note honorable », selon le coordinateur de l’étude Alessandro Manzotti, mais qui masque mal plusieurs ambiguïtés. Valérie Hayer a, par exemple, voté contre la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un fonds social pour le climat, du 8 juin 2023.

D’autres votes marquent clairement le positionnement des têtes de listes françaises. Le LR François-Xavier Bellamy a ainsi voté contre la résolution visant à renforcer l’application du principe de l’égalité de rémunération, pour un travail égal ou de valeur égale, entre hommes et femmes, le 30 mars 2023. En dépit de ses grands discours contre les régimes antidémocratiques, Raphaël Glucksmann s’est, lui, prononcé contre la résolution du 24 novembre 2022 déplorant la situation des droits de l’Homme au Qatar. Jordan Bardella, enfin, s’est abstenu lors d’une résolution visant à combattre le harcèlement sexuel dans l’Union européenne et appelant à l’évaluation de MeToo, en juin 2023. Il a également voté contre un texte rappelant les droits des femmes, adopté en novembre 2021, un an après l’interdiction de l’avortement en Pologne.

Le « détail » a donc son importance derrière les pourcentages annoncés en bloc par les uns et les autres. Et il apparaît indéniable que sur les sujets fondamentaux pour les politiques européennes, avec des retombées nationales conséquentes, les électeurs auront un vrai choix à faire, le 9 juin.


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