À France Inter, la direction balaie les voix de gauche

Journalistes et producteurs s’inquiètent de la convocation de Guillaume Meurice et de l’arrêt de plusieurs émissions de reportage. Ce mouvement croise un autre problème épineux : la constitution de la holding de l’audiovisuel publique, largement rejetée en interne. Une réunion de soutien à l’humoriste est prévue mardi, avant une assemblée générale le 14 mai. Ses collègues du « Grand dimanche soir » ont donné le ton de la contestation dès leur émission du 5 mai.

 

La colère couve à France Inter. Tous les corps de métiers confondus se sont doublement émus de la convocation, ce mardi 7 mai, de l’humoriste Guillaume Meurice par la direction, mais aussi de son éviction de l’antenne, malgré l’abandon par la justice des poursuites à son encontre, après sa plaisanterie sur le Premier ministre israélien Benjamin Natanyahou. Ses collègues du « Grand Dimanche soir » ont été fer de lance de cette mobilisation, lors de leur émission du 5 mai. « À force de passer plus de temps aux RH et à la PJ (police judiciaire) qu’à écrire des blagues, on va finir par donner raison aux gens qui disent que l’argent public est mal dépensé », a notamment lancé Charline Vanhoenacker, ironisant sur un Guillaume Meurice « envoyé en internat pour le remettre dans le droit chemin », avant que l’humoriste Djamil Le Schlag présente sa démission en direct.

En amont du rendez-vous hebdomadaire, d’autres annonces inquiétantes sont tombées : la suppression d’un tiers du budget de « Grand Dimanche soir », l’émission de Charline Vanhoenacker déjà rétrogradée le week-end l’an dernier, la refonte de « la Terre au carré », de Mathieu Vidard, l’arrêt des quatre émissions ou chroniques de reportage de Giv Anquetil, Antoine Chao, Charlotte Perry et Anaëlle Verzaux, anciens du rendez-vous phare de Daniel Mermet, « Là-bas si j’y suis », et auteurs, pour les trois premiers, de l’émission sociale du samedi « Comme un bruit qui court ». Serait également visée l’émission littéraire d’Emmanuel Khérad, « la Librairie francophone ».

« On n’a pas à ramper à la moindre critique de l’extrême droite »

La conférence de rédaction du jeudi 2 mai a été particulièrement houleuse, racontent les journalistes. En cause, le probable licenciement de l’humoriste Guillaume Meurice pour « faute grave ». « En ce moment, on a bien conscience que le service public audiovisuel est attaqué, par le JDD, par Hanouna ou Pascal Praud sur CNews… On doit être un rempart. France Inter, c’est l’impertinence, la différence, on y est très attachés. On n’a pas à ramper à la moindre critique de l’extrême droite, c’est un aveu de faiblesse », juge un membre de la société des journalistes.

La direction semblerait particulièrement réactive à un compte Twitter, @medias_citoyens, qui cumule les critiques sur la station jugée « trop militante » et à « l’extrême gauche »… Comme l’émission écologique « la Terre au Carré ». « Il faudrait qu’on soit là pour réconcilier tout le monde. Alors qu’on doit parler à tous et assumer quelques blagues. On peut être plus fort que ça. On est leader, on est la première radio de France, on peut assumer », s’insurge une journaliste.

Mais pour Adèle Van Reeth, actuelle directrice de France Inter, qui reste silencieuse depuis vendredi, les voix de gauche seraient de trop : les quatre anciens de Mermet ont tous été reçus dans son bureau cette semaine, en tête à tête sans DRH, avant qu’ils ne reçoivent leur lettre de licenciement. Lionel Thompson, membre CGT du conseil d’administration de Radio France, relate que pour Antoine Chao, l’entrevue s’est déroulée en « cinq minutes », et a été « violente ».

« Une reprise en main politique »

Le climat est d’autant plus tendu que l’ancien directeur des programmes, Yann Chouquet, vient de quitter ses fonctions, alors que son successeur, Xavier Curiel, venu de M6, n’arrive que cette semaine. Pour une représentante de la société des « producteurices » de France Inter (SDPI), « ce qui arrive est réfléchi ». Selon elle, « quand Adèle Van Reeth et Sibyle Veil parlent de pluralisme, c’est plus de place au libéralisme. On leur a reproché d’être trop à gauche, donc elles vont à droite ». Sans complexe. Et d’ajouter : « Les journalistes ne sont pas dupes et craignent que les restrictions sur les programmes touchent aussi la rédaction. Ce qui semble déjà être le cas sur la question Israël-Palestine. »

« L’éviction de Meurice, la communication piteuse à propos de Nassira El Moaddem, [une journaliste qui a travaillé pour la station, harcelée depuis mardi par l’extrême droite, N.D.L.R.], le remodelage de « la Tête au carré » et les suppressions de reportages qui touchent principalement les anciens de Mermet sont autant d’indicateurs d’une reprise en main politique, sous la pression du pouvoir et des droites extrêmes, au détriment de l’antenne et des auditeurs », abonde Lionel Thompson. « Adèle Van Reeth licencie ce qui constitue le pluralisme de cette antenne et ses voix dissonantes. En cédant aux pressions des médias de Bolloré, ça donne le sentiment qu’on leur donne raison », s’agace le cégétiste. Qui ajoute : « À force de dire qu’on est trop de gauche, on n’a jamais été si peu de gauche. »

Assemblée générale et appel à la grève

L’argument officiel avancé pour stopper les reportages est d’ordre budgétaire, dans le contexte de la holding de l’audiovisuel public relancé par la ministre de la Culture Rachida Dati. « Ils cherchent des économies partout pour anticiper la fusion. Ils cassent les modes de production de la radio et prévoient de redéployer les emplois », s’alarme Lionel Thompson. Une délégation de la CGT Spectacle a été reçue par la ministre, qui leur a annoncé une accélération du calendrier, avec la création de la holding en janvier 2025, et la fusion de Radio France et France Télévisions en janvier 2026.

Célia Quilleret, du SNJ, relate l’entrevue avec la délégation intersyndicale à l’Assemblée nationale, vendredi 3 mai. « Les rapporteurs du projet nous tiennent un discours contradictoire : ils veulent un audiovisuel public plus fort. Mais nous sommes déjà le premier groupe de France. Quand on leur dit que pour être meilleurs, il faudrait pérenniser notre budget, ils bottent en touche. On n’a pas besoin de cette nouvelle entité qui va nous affaiblir, d’autant qu’il faudra aligner les conventions collectives, ce qui va coûter très cher. »

L’intersyndicale de Radio France (CGT, CFDT, FO, SNJ, SUD et UNSA) appelle à une assemblée générale le 14 mai contre la holding, ainsi qu’à une grève des personnels de la Maison ronde le 22 mai. Le personnel de France Inter a prévu de se réunir en agora mardi 7 mai, jour de la convocation de Guillaume Meurice.


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