L’hebdomadaire Marianne a redécouvert ce qui faisait les délices de tout étudiant de sociologie de première année et que je me suis bien des fois répété devant l’insondable nullité de nos “élites” politico-médiatiques : la loi de Peter… Malheureusement je crains que cela ne ruisselle… Parfois il suffit d’un détail, un rien et la machine s’emballe comme dans cet invraisemblable engouement pour le schtroumpf devenu le symbole des vertus d’impertinence française… J’ai même eu un individu pas complètement idiot qui m’a expliqué que c’était “dada”, je lui ai fait remarqué que dada c’était l’horreur de la boucherie, l’absurdité de cette saignée alors que le schtroumph était du plus pur style “pompier” des croutes Napoléon III. Ramener à ce machin toute la rébellion française était digne de la gauche néocoloniale actuelle… Et on se dit stupéfait à voir ce qui se diffuse dans les réseaux sociaux que le peuple français n’a que ce qu’il mérite et les dirigeants qui lui ressemblent… Fort heureusement au sortir de tout ça il y la vie… Celle dans laquelle chacun constate que ces gens-là mentent effrontément parce que ce qu’ils ont à dire est indéfendable… (note de Danielle Bleitrach histoireetsociete)
“Nous serions dans une situation paradoxale où les élites seraient par définition médiocres.”© FABRICE COFFRINI / AFP
Emmanuel Macron, président de la République, Cyril Hanouna, roi du PAF, Éric Zemmour, comète politique, Bruno Roger-Petit, conseiller du roi… Sommes-nous aujourd’hui gouvernés par des médiocres ? Selon le principe de Peter théorisé en 1969, « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence ». Corollaire : « Avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité. »
Si le principe de Peter a d’abord pour objectif de décrire l’organisation des entreprises, il est possible de l’élargir à d’autres sphères. De manière générale, occuper le sommet d’une pyramide impliquerait donc nécessairement une forme d’illégitimité. En politique, par exemple, celui qui gouverne serait celui qui ne sait pas gouverner. Une telle théorie relativise par ailleurs les conclusions du darwinisme social qui prétend que seuls les meilleurs tirent leur épingle du jeu dans la compétition entre les individus.
Cette alliance entre le darwinisme et le capitalisme est d’ailleurs mise en cause par Daniel S. Milo dans La Survie des médiocres (Gallimard). Pour le philosophe israélien, « le rôle de la compétition dans l’existence des non-humains est surestimé, tout comme son rôle dans l’histoire des espèces depuis la stabilisation de la nature providence. La tolérance naturelle qu’on rencontre dans les vastes gammes de valeurs biologiques est si grande que l’optimisation ne s’impose que dans de très rares cas. Le filet de sécurité de la nature permet le gaspillage et la médiocrité ; celui de l’humanité les produit en quantités industrielles ».
La nature ne sélectionne pas seulement les meilleurs spécimens et la société ne sélectionne pas seulement les meilleurs individus. Au contraire, l’une et l’autre tolèrent la médiocrité et lui permettent de s’épanouir. « Il y a, dans le monde des humains, de la place, une place large et presque illimitée, pour le brillant et pour l’ennuyeux, pour l’expert et pour le dilettante, pour le besogneux et pour l’oisif, pour le champion et pour l’archinul », estime-t-il. Le médiocre a donc parfaitement droit de cité au sein de nos sociétés hyper-compétitives. Au point d’accéder finalement aux postes à responsabilité ?
Déclin des élites ?
Pour le philosophe Patrice Guillamaud qui publie Le Médiocre et le génie (Cerf), la réussite des médiocres s’explique d’abord par leur rapport au monde : « La médiocrité, c’est la vanité, l’amour de la réussite, l’amour de l’image, l’amour des apparences… C’est la fuite vers l’extériorité du monde. La médiocrité renvoie à l’inauthenticité, au sens heideggérien, mais, en un sens nietzschéen, elle renvoie aussi au ressentiment, à l’incapacité de satisfaire sa propre volonté, l’impossibilité d’être spontané, d’être fort… Il en résulte une grande souffrance et un phénomène de réactivité. »
Contrairement au génie, qui est tourné vers l’intériorité et qui se satisfait de l’accomplissement discret de son œuvre, le médiocre a besoin de briller socialement, il entretient une quête de reconnaissance, ce qui peut expliquer sa volonté de réussir à tout prix.
« Le médiocre a conscience d’être médiocre et se repaît de sa médiocrité. C’est pour cela qu’il a besoin de réussir dans l’extériorité du monde social. Pour se rassurer, il essaie de se convaincre que tout le monde est médiocre et qu’il n’y a pas de génie. Nous vivons dans un totalitarisme de la médiocrité : tout le monde est moyen, tout le monde vit dans la moyenne », soutient le philosophe. Cette présence des médiocres à des postes élevés entretient aussi une confusion entre médiocrité et élitisme.
Plus encore, nous serions dans une situation paradoxale où les élites seraient par définition médiocres. Pour Patrice Guillamaud, cette omniprésence des médiocres au pouvoir est dangereuse : « La médiocrité, c’est aussi la barbarie. Le fait de mettre sur le même plan tous les individus, toutes les œuvres, toutes les civilisations, toutes les cultures… C’est le règne de l’indifférenciation et du n’importe quoi. »
Le romancier russe Fedor Dostoïevski (1821-1881) était hanté par une angoisse similaire lorsqu’il décrivait dans Les Démons (1872) l’essor du nihilisme. Il faisait dire à un de ses personnages : « Tout le malentendu ne tient qu’en cela, savoir ce qui est le plus beau : Shakespeare ou une paire de bottes, Raphaël ou le pétrole. »
Mais sommes-nous confrontés à un phénomène nouveau ? Les élites n’ont-elles pas toujours été médiocres ? Certains commentateurs, lorsqu’ils regardent l’évolution de la Ve République, se plaisent à constater une forme de déclin : de Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande et… Macron. Et d’ajouter cette question rhétorique en forme d’hommage : « Imaginerait-on le général de Gaulle faire cela ? » Mais c’est oublier au passage que la IIIe et la IVe Républiques étaient des régimes instables, voire ingouvernables, qui laissaient libre cours aux opportunistes les plus débridés. « C’est cyclique. Il y a toujours eu des médiocres au pouvoir, mais notre époque se caractérise par le fait qu’il n’y a plus que cela », lâche Patrice Guillamaud.
Hitler, continuum de la médiocrité
Max Picard (1888-1965) ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit dans L’Homme et le néant (1946, réédité cette année par La Baconnière) : « Sans doute on vit de tous temps des médiocres tenus pour grands ; mais autrefois, dans le monde de la continuité, on sentait toujours, derrière l’insignifiant ou le médiocre, quelque chose de grand, d’essentiel, momentanément recouvert mais vivant ; alors qu’à l’époque hitlérienne et préhitlerienne, il semblait n’y avoir absolument rien d’autre que le néant ; ce néant dominait tout, remplissait tout, si bien qu’on éprouvait même plus comme un vide la place d’où l’essentiel avait été expulsé. »
Le philosophe suisse n’explique pas l’ascension de Hitler par son habileté politique ou par le sentiment d’humiliation qui avait frappé le peuple allemand après la Première Guerre mondiale et la signature du Traité de Versailles.
Bien plutôt, il voit dans son avènement la conséquence de la maturation d’un terreau de médiocrité : « On avait déjà vu avant Hitler, dans le monde de la discontinuité, un néant, ou une quelconque médiocrité, s’élever à la hauteur d’un absolu et devenir l’objet de conversations, d’articles, de photos, qui en faisaient le centre illusoire de l’attention collective. C’était tantôt une star de cinéma, tantôt l’inventeur d’un moteur propulsé par le vent, le président d’une société ou un aviateur stratosphérique ou un quelconque recordman. Et ce fut plus tard, exactement selon les mêmes procédés, Adolf Hitler. »
Il est donc temps de lever un malentendu : la médiocrité des élites n’est pas paradoxale, l’aristocratie (étymologiquement « le gouvernement par les meilleurs ») est un trompe-l’œil. La médiocrité fait partie de l’ADN des élites et la volonté de réussir apparaît comme leur marque de fabrique. Voilà pourquoi les médiocres tiennent le haut du pavé contrairement aux génies. Pour Patrice Guillamaud, « dans notre monde, la valeur et la vraie culture existent toujours mais sont de plus en plus clandestines. Il y a une “monasterisaton” du génie, c’est-à-dire qu’il est de plus en plus secret et caché. La médiocrité est en revanche parfaitement visible. »
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