Le 2 septembre, 12 millions d’élèves et 1 million de salariés vont retrouver l’école, profondément déstabilisée par des années de réformes réactionnaires et antisociales. Alors que le flou règne sur les conditions d’application du « choc des savoirs », le futur gouvernement ne pourra pas esquiver ses responsabilités.
Cette rentrée s’annonce « encore plus chaotique que d’habitude », avertit Zoé Butzbach, de la CGT-Éduc’action de Seine-Saint-Denis. Aux données de base que sont le déficit d’enseignants dû à la crise de recrutement, le manque de moyens général, la vétusté du bâti dans les grandes métropoles comme l’Île-de-France ou Marseille, ou encore l’état d’épuisement et de découragement d’un personnel durement maltraité ces dernières années, s’ajoute une nouveauté imprévue. On pense bien entendu à la désorganisation du système scolaire qu’entraîne l’absence concrète de gouvernance depuis qu’Emmanuel Macron a accepté, le 16 juillet, la démission du gouvernement. Pour l’école, avec une période estivale signifiant la préparation de la rentrée, les effets sont d’autant plus lourds que ce lundi 2 septembre doit être le premier jour de mise en œuvre du « choc des savoirs », cette réforme aussi importante par ses ambitions affichées que contestée dans ses modalités et ses finalités.
Certes, les « affaires courantes » peuvent sembler avoir été expédiées par une ministre, Nicole Belloubet, qui fait tout pour donner le sentiment de rester opérationnelle malgré sa position démissionnaire. Comme chaque année en début d’été, la circulaire de rentrée a été publiée ; mais ce texte, censé mettre en musique les grandes orientations de la politique scolaire pour l’année à venir, ressemble plus à un catalogue d’intentions politiques déjà connues, et dépourvu des mesures concrètes et précises attendues par l’ensemble du personnel. Ainsi en primaire, parmi d’autres évolutions sensibles, la généralisation des évaluations nationales et la labellisation ministérielle des manuels scolaires sont confirmées, malgré l’opposition des syndicats et le fait, pour la seconde de ces dispositions, que moins d’un enseignant sur 20 choisit aujourd’hui les manuels labellisés.
Répartir les élèves selon leurs résultats
Surtout, la mesure phare du « choc des savoirs » est également confirmée : il y aura bien des groupes, en français et en mathématiques, pour les classes de 6e et de 5e. On parle désormais de « groupes de besoins » et non plus « de niveau »… mais il s’agit toujours de répartir les élèves selon leurs résultats – même si la circulaire précise, pour répondre à la principale critique formulée dès les premières annonces, que ce dispositif « ne saurait aboutir à la constitution de groupes pérennes d’élèves en difficulté ni constituer une forme de tri scolaire »…
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Sur le terrain, le flou règne. Céline1, CPE (conseillère principale d’éducation) dans un collège rural, raconte que, dans son établissement, « les groupes vont bien être mis en place, mais ce ne seront pas des groupes de niveau… sauf peut-être pour les élèves les plus faibles ». Du moins, laisse-t-elle entendre, c’est ce qui se dessinait avant les vacances, car cela peut encore changer. C’est que, sur le terrain, les oppositions sont restées vives. Secrétaire générale du Snes-FSU, Sophie Vénétitay le souligne : « Ce n’est pas le choc des savoirs voulu et annoncé qui va s’appliquer. » Ce qu’elle porte au crédit de l’action syndicale et « de la mobilisation des enseignants et des parents jusque dans les conseils d’administration des établissements ».
En Seine-Saint-Denis, département marqué, de février à fin juin, par un puissant mouvement social pour « un plan d’urgence pour l’éducation » qui portait en son cœur le refus du « choc des savoirs », c’est une « cacophonie totale » résume Zoé Butzbach : « Il y aura des établissements avec des groupes de niveaux, d’autres avec peu ou pas de tels groupes, d’autres avec de ”faux” groupes de niveaux où, en réalité, toutes les classes seront mélangées dans des groupes hétérogènes… » Selon elle, « ce qui décide, c’est le dialogue entre les équipes pédagogiques et les chefs d’établissement, et la capacité de résistance de ceux-ci aux pressions de la hiérarchie, voire aux craintes pour la suite de leur carrière ». Ambiance…
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Toujours un manque de remplaçants
Il existe aussi des établissements qui n’ont pas pu mettre en œuvre cette réforme, tout simplement parce que le manque de salles disponibles et/ou le manque d’enseignants l’empêchent. La syndicaliste prend un exemple : « Dans un collège à 10 classes qui disposerait de 15 salles, si on a deux 6e et deux 5e divisées chacune en trois groupes comme c’est prévu, cela mobilise 12 salles sur un créneau horaire »… et il reste seulement 3 salles pour toutes les autres classes ! Par ailleurs, alors que quelque 3 200 postes n’ont pas été pourvus à l’issue des concours, même le recrutement forcené de contractuels – les petites annonces ont fleuri ces derniers jours comme les pâquerettes au printemps – ne permettra pas de combler les besoins.
Avoir « un enseignant devant chaque classe » sera plus que jamais un fantasme, et le manque de remplaçants conduira cette année encore de longues semaines sans profs pour de trop nombreux élèves. Quant aux autres métiers – CPE, surveillants, infirmiers, psychologues, administratifs –, ils sont tout simplement laissés en friche, malgré les besoins d’une population scolaire que toutes les études décrivent comme de plus en plus en difficulté psycho-sociale, malgré les proclamations sur l’école inclusive ou la lutte contre les violences.
Les autres mesures du choc des savoirs sont, pour la plupart, tombées du camion : au collège, les évaluations nationales ne seraient plus obligatoires en 5e ; si la réforme de la notation du DNB (diplôme national du brevet) redonne bien la prééminence au contrôle terminal (60 %) sur le contrôle continu (40 %), son instauration en couperet pour accéder au lycée n’apparaît plus ; et les classes « prépa seconde », destinées aux redoublants, seront seulement expérimentées à raison d’une par département. Alors que, si rien ne change, l’Éducation nationale est sous la menace de nouvelles économies budgétaires, Sophie Vénétitay prévient : « Ce ne sera pas une rentrée normale.» Les syndicats FSU-Snuipp, CGT Éduc’Action et SUD Éducation ont d’ores et déjà lancé un appel à la grève pour le 10 septembre et au boycott des évaluations standardisées obligatoires en primaire. Et cela, quel que soit le gouvernement qui aura, peut-être, été nommé d’ici là…
- Le prénom a été modifié. ↩︎
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