
« Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité », avait pontifié Neil Armstrong alors qu’il posait le pied sur la Lune le 21 juillet 1969. Cinquante-cinq ans plus tard, le temps des pionniers semble bien loin tant la conquête spatiale est désormais l’affaire de businessmen. « Un petit pas pour la Nasa, un grand pas pour mon compte en banque », pourrait s’enorgueillir Elon Musk à chaque décollage de son lanceur Falcon 9 comme à chaque utilisation de son cargo automatique Dragon vers la Station spatiale internationale.
Depuis le lancement sous la présidence de George W. Bush dans les années 2000 du « New Space », cet espace nouveau est devenu la nouvelle frontière du capitalisme financiarisé pompeur d’argent public. Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin parlent même d’« astrocapitalisme » dans leur dernier ouvrage. Pour les deux chercheurs, « la représentation d’un milieu spatial propulsé par la coopération scientifique et l’exploration désintéressée » a cédé la place à « la notion de “solution spatiale”, qui décrit les stratégies d’expansion géographique du capitalisme, à la recherche de nouveaux marchés et de débouchés plus ou moins spéculatifs ».
Le New Space, quésaco ?
Fini le temps d’une Nasa ordonnatrice de A à Z de l’aventure extraterrestre. Traumatisée et décrédibilisée par l’explosion de Challenger le 28 janvier 1986, l’agence fédérale américaine a mis fin en 2003 à ses programmes de navette spatiale. Son rôle depuis vingt ans ? Ordonnancer des stratégies inspirées des rêves des transhumanistes extropiens de la Silicon Valley, en passant des contrats commerciaux avec des sociétés prestataires qui font leur beurre des marchés publics, en attendant d’entreprendre elles-mêmes leurs propres programmes privés vers la Lune ou Mars.
Externalisation, réduction des coûts, recours aux start-up : les principes de ce spatial entrepreneurial made in USA se sont imposés sur tous les marchés spatiaux porteurs. La Lune en est un. Dans les dix prochaines années, 155 missions autour ou sur le satellite de la Terre sont prévues afin d’y installer des activités humaines pérennes. Pour ce faire, 34 milliards de dollars ont déjà été budgétés par les États-Unis (65 % du montant avec le programme Artemis), la Chine (19 %), l’Europe (6 %), le Japon (2 %) et la Russie (1,5 %). L’Agence spatiale américaine contractualise à plein avec ses partenaires privés. Ses homologues prennent exemple et commencent à faire de même.
Les lanceurs, clé des étoiles
Ce qui permet aux sociétés spatiales de verrouiller petit à petit la porte des étoiles en installant leur monopole sur les lanceurs. Sur ce secteur, Space X, la société d’Elon Musk, règne en maître. En 2023, sa fusée Falcon 9 a réalisé 96 des 107 vols orbitaux opérés des États-Unis, loin devant ses concurrents Vulcan et Centaur de ULA (United Launch Alliance, alliance des historiques Boeing et Lokheed Martin) ; New Glenn et New Shepard de Blue Origin, société de Jeff Bezos ; ou Virgin Galactic de cet autre milliardaire Richard Branson.
Space X domine car elle a su casser les coûts : sa Falcon 9 est en partie réutilisable et son pas de tir parvient désormais à récupérer le premier étage de son lanceur super lourd Starship. Ces avancées ne visent qu’un but : diminuer le prix du kilo placé en orbite. C’était 100 000 dollars le kilo avec Challenger. Falcon 9 le propose autour de 3 000 dollars.
En Chine, les Longue Marche étatiques demeurent centrales (47 lancements l’an dernier). Mais le gouvernement soutient l’émergence de start-up comme Deep Blue, qui vise à concurrencer Space X en proposant des coûts de lancement jusqu’à 30 % moins cher que la Falcon Heavy. En Europe aussi, l’appel au privé se déploie. Certes, les vols inauguraux réussis d’Ariane 6 en juillet et de Vega-C assurent à nouveau un accès à l’espace au Vieux Continent. Mais Arianespace va voir les concurrents débouler.
Vega va sortir de son giron pour être commercialisée par sa société conceptrice italienne Avio. Et, dans l’accord sur la politique spatiale de l’Europe signé en novembre, la France, l’Allemagne et l’Italie « actent un changement de modèle. Le choix des futurs lanceurs se fera désormais sur la base d’une compétition entre lanceurs ». Une nouvelle stratégie qui « ouvre le marché (des minilanceurs – NDLR) à des TPE et PME », comme « Maia (filiale d’ArianeGroup), Zephyr (de Latitude), Sirius, HyPrSpace, Dark et Opus Aerospace », que les subsides publics se proposent d’arroser.
Haro sur les satellites
Qui détient les lanceurs possède la clé d’un autre marché porteur : la mise en orbite des satellites. Les programmes subventionnés par la Nasa ont aidé Space X à mettre en place une stratégie intégrée. Ses lanceurs lui ont déjà permis de déployer autour du globe les 7 000 satellites pour haut débit Internet de sa constellation Starlink, en attendant d’utiliser les fusées pour son grand programme Polaris de balades d’ultrariches dans les étoiles. Jeff Bezos a recours à sa société Blue Origin, mais aussi à Arianespace et ULA, pour installer en orbite basse sa constellation Kuiper de 3 236 satellites.
En Chine, en parallèle à l’entreprise publique SSSST, qui vient d’installer les premiers des 15 000 satellites de sa constellation Qianfan, la filiale du constructeur auto Geely, Geespace, escompte envoyer 6 000 satellites pour haut débit. Quant à la Commission européenne et l’Agence spatiale européenne, elles viennent de s’engager avec un consortium pour lancer le programme Iris2 et ses 300 satellites de connectivité sécurisée.
Les intérêts privés aux commandes de la Nasa
L’astrocapitalisme s’apprête à franchir une nouvelle étape lors de l’entrée en fonction de Donald Trump mi-janvier. Le président élu a en effet choisi Jared Isaacman pour succéder à Bill Nelson à la tête de l’Agence spatiale américaine. Soit un milliardaire associé à Space X, commandant de la première mission civile privée à bord de Crew Dragon en février 2021, à la place d’un ancien astronaute du programme Columbia de la Nasa.
Le symbole est fort : les intérêts privés prennent les rênes de la commande publique. D’autant qu’au côté de Jared Isaacman son ami et partenaire de business Elon Musk va prendre la tête d’un ministère chargé de « l’efficacité gouvernementale ». Le patron de Space X chargé de tailler dans les effectifs des agences gouvernementales ? La Nasa a du souci à se faire.
« Une histoire de la conquête spatiale. Des fusées nazies aux astrocapitalistes du New Space », d’Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin, la Fabrique, 282 pages, 20 euros
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