Mort de Pepe Mujica, ancien président de l’Uruguay et figure politique emblématique du sous-continent

Engagé pour la justice sociale et l’intégration latino-américaine, l’ancien président de l’Uruguay est décédé mardi 13 mai à l’âge de 89 ans.

 

José Alberto Mujica Cordano, président de l’Uruguay entre 2010 et 2015, s’est éteint ce mardi, sept jours avant de pouvoir souffler ses quatre-vingt-dix bougies. Après avoir été Diagnostiqué avec une tumeur à l’œsophage l’année dernière, il avait annoncé en janvier que son cancer s’était propagé et qu’il ne se soumettait pas à d’autre traitement.

Après une vie de lutte et d’engagement politique et populaire, « Pepe » Mujica, comme l’appelaient affectueusement ses camarades, est parti vers l’au-delà des révolutionnaires, rejoindre ses anciens homologues et amis de l’époque de la marée rose latino-américaine. Des chefs d’État latino-américains tels que l’argentin Néstor Kirchner, le vénézuélien Hugo Chávez, le cubain Fidel Castro ou encore son compatriote l’écrivain Eduardo Galeano (respectivement décédés en 2010, 2013, 2016 et 2015), compañeros qui avaient croisé sa route durant cette période où des gouvernements osant enfin s’affirmer décidaient d’écrire eux-mêmes l’histoire, de la main gauche et à l’encre rouge, d’un sous-continent bien décidé à s’unir pour mieux s’émanciper de la tutelle de Washington.

Trop souvent réduit à une caricature forgée autour de sa personnalité « atypique » (refus des conventions, style de vie modeste, verbe spontané) – selon les critères de la presse dominante occidentale – et qui expliquerait sa popularité, Pepe Mujica était en réalité bien plus que cela. Il était de ces hommes et femmes qui se battent toute leur vie pour qu’advienne un autre monde, défiant avec radicalité l’ordre néolibéral, engagé pour la justice sociale, de ces personnes que Bertolt Brecht appelait « les indispensables ». Et, qui plus est, il menait ce combat avec l’arme la plus efficace : celle de l’exemple.

De la lutte armée à la présidence

Né en 1935 dans une famille modeste de Montevideo, Mujica grandit dans ce petit pays coincé entre l’Argentine et le Brésil, marqué par les inégalités. Jeune homme, il prend vite conscience de l’exploitation cruelle de la paysannerie, des petits éleveurs et des ouvriers du complexe agroalimentaire, rouages essentiels d’une économie dopée par l’exportation de viande. Il milite au sein du Parti national, puis fonde l’Union populaire avant de faire le choix des armes en rejoignant le Mouvement de libération nationale – Tupamaros, une guérilla urbaine inspirée par la révolution cubaine et les luttes anti-impérialistes.

Arrêté en 1972 et considéré comme un otage par la dictature civico-militaire (1973-1985), il passe treize ans en prison dont une longue période dans des conditions extrêmement dures, et subit la torture. Libéré après la chute du régime anti-communiste, il reprend le chemin du combat politique et intègre en 1989 le Front large (FA), une coalition de partis de gauche, tout en fondant avec d’autres ex-guérilleros le Mouvement de participation populaire. Élu député (1994) puis sénateur (1999), il parvient à faire du mouvement la première force politique au sein du FA en s’imposant peu à peu comme une de ses figures centrales. Il est ensuite nommé ministre de l’Agriculture, en 2005, lorsque ce parti parvient à propulser Tabaré Vázquez à la présidence (2005-2010 puis 2015-2020). Il est enfin élu président, en 2009, avec 52 % des suffrages et un mandat clair : approfondir les réformes sociales engagées par son prédécesseur.

Réduction de la pauvreté et répartition des richesses

C’est durant sa présidence que Pepe Mujica devient une icône mondiale. Refusant le palais présidentiel, il continue de vivre dans sa ferme modeste de Rincón del Cerro, en périphérie rurale de Montevideo, avec son épouse Lucía Topolansky, ancienne guérillera elle aussi. Il reverse 90 % de son salaire à des associations et se déplace dans une vieille Coccinelle, ce qui lui vaudra le surnom de « président le plus pauvre du monde ». « Je ne suis pas pauvre, je suis sobre », disait-il, en pourfendeur invétéré d’une société capitaliste « qui confond bonheur avec consommation ». Sous son mandat, l’Uruguay légalise le mariage homosexuel, dépénalise l’avortement et devient un des premiers pays au monde à encadrer la production et la vente de cannabis, ce qui détonne en Amérique latine et fait s’extasier la presse internationale. Mais pourquoi se limiter à ces quelques avancées ?

Quid de la réduction historique de la pauvreté, de la meilleure répartition des richesses et du développement de l’économie du pays, des avancées en matière de santé et d’éducation pour les plus démunis ? Sous son mandat et le premier de Tabaré Vázquez, la gauche a permis de faire chuter le taux de pauvreté de 40 à 12 % de la population, et de diviser par dix la pauvreté extrême. Durant la même décennie, l’économie a bondi de 75 % et les dépenses publiques de près de 50 %, avec notamment une large hausse des dépenses sociales, favorisant les plus pauvres et réduisant au passage le taux d’inégalité, au point d’atteindre le niveau le plus bas de l’histoire de l’Uruguay. Et ce en partie grâce à l’introduction du premier impôt sur le revenu, tout comme une augmentation de 50 % du salaire minimum.

Lutte des classes, salaires et droits syndicaux

C’est surtout ces avancées qu’il faudra retenir, ainsi que son entêtement sur le plan international pour dénoncer sans relâche la « financiarisation de notre société » ainsi que « la mondialisation qui enrichit une poignée et appauvrit des millions ». Et bien sûr son ardente promotion d’une intégration latino-américaine solidaire et combative, fier étendard d’un Sud affranchi d’un « Nord qui veut nous dominer ». En 2014, il confiait au Guardian croire toujours « en la lutte des classes » : une « guerre » qui n’a plus les traits révolutionnaires de sa jeunesse mais dont les champs de bataille sont désormais « les salaires et les droits syndicaux ». Un an plus tard, Mujica quittait le pouvoir avec une popularité intacte, prouvant qu’une politique sobre pouvait aussi parvenir à ses fins, sans besoin de fastes ni décorum.

Jusqu’à ses derniers jours, Pepe est resté une voix critique du système et engagée auprès de ses camarades, notamment lors de la campagne présidentielle de 2024 qui s’est conclue par le retour de son camp au pouvoir. « Pépé Mujica a consacré sa vie dans la lutte pour les droits de ceux qui ont le moins et a reçu pour cela le soutien des secteurs populaires, dans notre pays et dans le monde entier », a déclaré ce mardi le parti communiste uruguayen dans un communiqué qui se conclue par un « engagement à poursuivre la lutte ». Nul doute que la gauche de son pays saura prendre la relève, à commencer par le nouveau président Yamandú Orsi, issu du FA et épaulé par Carolina Cosse, première vice-présidente communiste de l’Uruguay. Quant à l’ex-guérillero, l’heure est enfin venue de se reposer. Peut-être aux côtés d’Eduardo Galeano, pour écrire avec lui un nouveau chapitre des Veines ouvertes de l’Amérique latine, celui où le Sud ne saigne plus ?


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