NDLR de MAC: Le docteur Eric May n,ous avait fait le plaisir de venir à Castelsarrasin lors de la réunion publique de lancement de l’association 3CSP82 qui a impulsé la création de Centre de santé sur notre département (3 bientôt 4) et sur la Région (Plus d’une trentaine) avec des médecins salariés-es (200 pour l’ensemble de la région).
Pour Eric May, médecin généraliste et directeur du Centre Municipal de Santé de Malakoff, les deux propositions de lois qui viennent d’être adoptées pour lutter contre les déserts médicaux ne répondent pas aux besoins réels des populations et du maillage du territoire.

© Durand T/ANDBZ/ABACAPRESS.COM
Pour lutter contre les déserts médicaux, deux lois ont été votées en première lecture à quelques jours d’intervalles. La première, la loi Garot, défendue par la gauche, adoptée le 7 mai à l’Assemblée nationale, porte le principe de régulation de médecins. La seconde, dite loi Mouiller présentée par la droite, votée le 13 mai au Sénat, défend la notion d’encadrement. Cette dernière est soutenue par le gouvernement, qui a déclenché son examen en lecture accélérée. Membre de l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé (USMCS), Eric May propose une autre voie pour garantir l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire.
Quelle est votre position par rapport à la proposition de loi du sénateur Les Républicains Philippe Mouiller ?
Ce projet de loi porte la notion d’encadrement et non pas de régulation de l’installation des médecins. Elle ne répond pas aux enjeux et nous amènerait droit dans le mur. Les propositions qu’elle comporte reprennent des éléments du plan d’action élaborée à la hâte par François Bayrou et y ajoutent du flou. Le nombre d’interventions d’un médecin qui s’installerait dans une zone surdotée et qui devrait compenser par une présence chronique dans une zone sous-dotée n’est plus renseigné.
Le premier ministre l’avait fixée à deux jours, ce qui ne répondait déjà en rien aux besoins réels mais au moins une indication était donnée. Cependant, dans tous les scénarios, une présence hachée ne peut répondre ni à la qualité ni à la continuité des soins. Ce projet de loi porte la notion d’organiser la « solidarité » des médecins. Moi, j’appelle cela de la charité. Ce n’est pas ce dont la population a besoin.
Soutenez-vous davantage la proposition de loi transpartisane portée par le député socialiste Guillaume Garot ?
La régulation de l’installation des médecins est un passage nécessaire. Il faut arrêter de rester arc bouté sur le principe de la liberté de l’installation dont nous allons fêter les cent ans l’année prochaine. Cette charte des médecins libéraux est datée et a montré les limites de son efficacité, aggravée notamment par le numerus clausus. Au moment où justement les ressources sont rares, la question de leur bonne répartition se pose logiquement et pour une raison simple : l’égalité d’accès aux soins pour les patients sur l’ensemble du territoire.
Mais cette régulation doit aller de pair avec l’organisation des soins de premiers recours sans quoi on continuera de créer des déserts médicaux. En cela dans les deux propositions de loi, il reste un impensé : l’avenir du secteur 2. Ces médecins, le plus souvent spécialisés, pratiquent des dépassements d’honoraire. Ils sont aussi mal répartis sur le territoire : des zones se retrouvent surdotées en secteur 2 et sous-dotées en secteur 1. En réalité, il est question d’un choix de société : celui de développer un réel service public de la santé.
En tant que directeur du Centre Municipal de Santé de Malakoff, vous défendez le maillage du territoire par une offre de soin publique. Selon vous, la simple régulation ne peut être suffisante ?
Non, elle est une étape. La solution doit passer par la création de centres de santé public, qui sont des structures pluriprofessionnelles avec obligation de pratiquer le tiers payant et de respecter les tarifs opposables. Il faut que les politiques publiques investissent dans la création d’un service public de santé de proximité pour mailler l’ensemble du territoire. Il ne s’agit pas de s’opposer à la médecine libérale mais de venir compléter ou palier les besoins de la population qui se trouve dans une situation d’urgence.
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Le coût de leur création et de leur maintien est un choix. Sans remettre en cause le droit des professionnels de santé à un exercice libéral, il faut dans chaque territoire un centre de santé public en lien avec un hôpital public et des services publics de santé préventive tels que la santé scolaire ou la PMI… Soigner, éduquer, garantir l’accès aux services de santé de qualité : ce sont là les missions de la République. La santé ne peut plus dépendre des choix individuels d’installation ou d’exercice de professionnels de santé. Elle doit faire l’objet d’une organisation fondée sur l’intérêt général, au service de tous, lisible et garantie sur tout le territoire. De par mon expérience, je sais que ce modèle de travail en équipe dans des centres pluridisciplinaires et équipés en conséquence peut séduire de nombreux médecins.
Lire aussi: Élus locaux et santé, ce qu’il faut changer
Une étude récente indique que les difficultés d’accès aux soins et le vieillissement sont les deux préoccupations les plus partagées par la population auprès des élus locaux. Les communes interviennent en matière d’action sociale et sanitaire grâce à ce qu’on appelle la clause de compétence générale, alors que la loi prévoit peu de compétences spécifiques dans ce domaine. Le constat est accablant pour l’État, qui a la responsabilité de l’organisation du système de santé dans le cadre du principe constitutionnel d’égalité de traitement de tout citoyen quel que soit son lieu de résidence.
Cette situation a poussé certains élus, notamment de droite, à demander que la responsabilité de la santé soit confiée aux régions. Fausse solution : sans péréquation de la part de l’État, l’hétérogénéité des territoires et de leurs ressources aggraverait les inégalités. Par ailleurs, le contexte budgétaire fait que les collectivités locales manquent déjà de moyens pour assurer leurs missions obligatoires.
Il apparaît donc très dangereux de demander la responsabilité d’un secteur en grande difficulté financière et qui cumule des dettes, notamment au niveau des hôpitaux et des Ehpad. D’ailleurs, les communes qui gèrent aujourd’hui des Ehpad doivent compenser leur sous-financement par des subventions d’équilibre qui grèvent leur budget.
La question est donc hautement politique et va s’inviter lors des prochaines élections municipales. Les élus locaux ont un rôle majeur pour définir, avec les habitants, les besoins de santé dans leur commune et y répondre. De plus en plus émergent des demandes de création de centres de santé afin d’offrir une réponse de proximité, dans des structures avec des médecins et professionnels salariés. Les collectivités locales doivent-elles se substituer à l’État, tant en termes de gestion que de financement ?
La réponse est clairement non. La bonne solution, c’est une juste répartition des rôles entre la collectivité, qui propose des locaux mais confie la gestion du centre à un hôpital ou à un acteur de l’économie sociale et solidaire (mutuelle ou association). Financièrement, c’est une opération blanche pour la collectivité locale, qui équilibre son investissement immobilier par le biais du loyer versé par le gestionnaire.
L’émergence de tels projets dans les programmes municipaux ne pourra se faire qu’avec une mobilisation citoyenne. Il s’agit de faire comprendre à l’État que les meilleurs experts pour définir les besoins de santé et les réponses à y apporter, ce sont avant tout les citoyens. Ils ont légitimement leur mot à dire, avant les professionnels, car ce sont eux qui financent le système par leurs cotisations à la Sécurité sociale.
Christophe Prudhomme
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