Absence de volets et de ventilation, bétonnisation qui retient la chaleur… Un tiers des logements en France sont inadaptés aux vagues de chaleur et qualifiés de « bouilloires thermiques ». Une catastrophe écologique et sociale, angle mort des politiques publiques, vouée à s’accélérer sous l’effet du dérèglement climatique. Un projet de loi transpartisane sera examiné en novembre.
Une glacière l’hiver, un four l’été. Si la notion de « passoire thermique » s’est imposée dans le langage courant pour désigner les logements qui laissent entrer le froid, celle de « bouilloire thermique » est en passe de la rattraper. Ces logements où la température grimpe jusqu’à devenir insoutenable en été sont légion, dans un contexte de dérèglement climatique et d’intensification des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes.
Cette réalité constitue un enjeu majeur, alors que la canicule frappe aujourd’hui une grande partie du pays, avec des températures pouvant dépasser localement les 40 °C. Lundi 30 juin, dans l’après-midi, 16 départements – de l’Île-de-France et du Centre – ont basculé en vigilance rouge, sans véritable répit attendu avant le milieu de la semaine.
« Mon ventilateur a rendu l’âme »
Une situation éprouvante pour de nombreuses personnes, quand un tiers des logements en France sont considérés comme des « bouilloires », selon l’indicateur de confort d’été des diagnostics de performance énergétique (DPE), d’après une étude de la Fondation pour le logement des défavorisés.
« Ces derniers jours, il fait 45 degrés dans mon appart, c’est invivable », témoigne Anthony, qui fait partie des centaines de milliers de personnes confrontées à la précarité énergétique estivale. « Mon ventilateur a rendu l’âme, des pièces ont littéralement fondu à l’intérieur. »
Installé depuis quatre ans à Villeurbanne (Rhône) dans un appartement sous les toits, le trentenaire n’a d’autre choix que de fuir son logement pendant l’été : « Je dois alterner entre loger chez des amis ou chez ma compagne. » En cause : un logement mal isolé, dépourvu de volets extérieurs, véritable passoire face à la chaleur. Résultat : il dort mal et peine à se concentrer quand il travaille chez lui.
« Ayant des troubles de l’attention, c’est devenu quasiment impossible d’effectuer une activité cognitive dans ces conditions », confie-t-il, désabusé. Même constat pour Célia, qui vit avec sa fille dans un logement surchauffé du 11e arrondissement de Paris. « Je suis constamment énervée car je ne supporte plus de vivre dans une telle chaleur », peste l’aide-soignante, installée depuis dix-sept ans dans un 22 m² vétuste et mal isolé.
Un « concentré d’injustices »
Des conséquences psychologiques mises en lumière par une étude publiée, mardi 1er juillet, par Oxfam et Ghett’up. « Dans 100 % des réponses reçues, les personnes interrogées nous disent que ces bouilloires thermiques pèsent énormément sur les relations sociales au sein du foyer : tout le monde est tendu, la santé mentale est directement touchée », explique Sarah-Maria Hammou, responsable du programme justice climatique de l’association Ghett’up. Les gens s’enferment dans leur chambre avec un ventilateur, la facture d’électricité grimpe et devient un sujet de tension… Cela plombe l’ambiance. »
La santé physique des habitants de ces logements est, elle aussi, mise en péril. Le rapport rappelle que « la chaleur aggrave les pathologies, perturbe le sommeil et augmente la surmortalité ». Ceux qui vivent cette réalité ont alors 3,5 fois plus de chances d’être exposés aux moisissures responsables de troubles respiratoires, et sont alors plus vulnérables aux maladies cardio-vasculaires et anxieuses.
Des risques bien connus des premiers concernés. « Si j’étais une personne âgée, avec les 45 degrés actuels dans mon logement, j’aurais certainement pu y passer », lance avec sarcasme Anthony. Cet enjeu de santé publique touche d’abord les classes populaires, pour qui ces logements mal isolés et énergivores sont les seuls accessibles. Ce qui amplifie les inégalités sociales et environnementales.
« Les bouilloires thermiques sont des concentrés d’injustices sociales, de genre et territoriales », résume le rapport. À commencer par l’accès au soin, illustré par l’exemple de la Seine-Saint-Denis : « C’est le quatrième contributeur à la Sécurité sociale mais aussi le premier désert médical en France, avec 92,8 % du territoire insuffisamment couvert », note Sarah-Maria Hammou. « Tu sais que ton logement nuit à ta santé, mais tu n’as même pas les moyens de te soigner. »
Chaleur étouffante et factures explosives
Les conséquences économiques se font également sentir à mesure que le thermomètre s’emballe. « Vivre dans une bouilloire thermique, c’est dépendre de climatiseurs qui font grimper la facture d’électricité de 15 à 25 % en été », précisent les auteurs de l’étude.
Une charge difficile à supporter pour Célia, mère célibataire, qui paie 736 euros de loyer pour un logement insalubre et mal isolé. « Je me retrouve à payer des factures d’électricité qui me reviennent parfois à 1 000 euros. Vous vous rendez compte ? »
À cela s’ajoute une atteinte profonde à la dignité. « Il ne faut surtout pas négliger l’impact sur l’estime de soi », alerte Sarah-Maria Hammou. « C’est une honte pour moi de vivre dans un tel logement, à tel point que ma famille ne le sait pas, confie Célia. Je ne peux faire venir personne chez moi, ce serait humiliant de montrer dans quoi je vis. »
Impuissance des locataires et absence de politiques publiques
La trentenaire s’est longtemps murée dans le silence, par crainte de perdre son logement. « Sortant d’un foyer, je voulais à tout prix un logement, donc j’ai préféré souffrir en silence que d’affronter un propriétaire dont je redoutais la réaction. » Rééquilibrer le rapport de force entre locataires et bailleurs sociaux : tel est le combat du syndicat Locataires ensemble, qui a fait des logements bouilloires son cheval de bataille.
« Le propriétaire bailleur, souvent multipropriétaire, est dans une logique de capitalisme immobilier qui consiste à avoir le plus d’argent possible en dépensant le moins possible. De fait, il se tient à l’écart des logiques de rénovation », analyse Salim Poussin, porte-parole du syndicat à Lyon. « C’est aberrant de vivre dans un pays où le capitalisme immobilier donne autant de pouvoir aux propriétaires, tandis que les locataires se retrouvent impuissants. »
Le syndicat a déposé une pétition à la Mairie de Lyon pour l’adoption d’un arrêté contraignant les bailleurs à équiper les logements surchauffés de volets extérieurs et brasseurs d’air, « deux équipements qui vont améliorer radicalement le quotidien ».
Contrairement aux fausses bonnes solutions, comme la climatisation « qui exacerbe les îlots de chaleur à l’intérieur des villes ». L’adoption d’un tel arrêté constituerait « une première en France », souligne Salim Poussin, qui évoque toutefois « un minimum syndical » qui ne doit pas masquer le véritable enjeu « des rénovations thermiques de grande ampleur ».
MaPrimeRénov’ : un dispositif utile mais méconnu
Un objectif d’autant plus urgent que MaPrimeRénov’, principal levier public en matière de rénovation énergétique, a été suspendue… pour l’été. Un timing particulièrement inapproprié, comme le pointe le rapport d’Oxfam et Ghett’up : « En 2024, seules une cinquantaine de rénovations contre la chaleur ont été financées sur l’ensemble du territoire français. »
Selon l’étude, 65 000 ménages pourraient ainsi renoncer à des travaux de rénovation énergétique cet été. Et, parmi les bénéficiaires potentiels, beaucoup ignorent même l’existence du dispositif, faute de communication efficace. « Avant que Ghett’up m’en parle, je ne savais même pas que cela existait, concède Youcef 1, habitant d’un logement bouilloire à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). « Il y a une vraie asymétrie d’accès à l’information sur un dispositif qui pourrait pourtant vraiment nous aider. »
Face à l’inaction gouvernementale, des initiatives émergent. Le 25 juin, à l’initiative de la Fondation pour le logement des défavorisés, des députés de tous horizons ont déposé une proposition de loi transpartisane visant à accélérer la rénovation des logements bouilloires.
Le texte, qui sera examiné en fin d’année, prévoit d’intégrer la surchauffe des logements dans la définition de la précarité énergétique, et de fixer un calendrier de rénovation des logements locatifs à partir de 2030. Le temps presse : « De plus en plus de syndicats d’habitants se mobilisent car ils n’en peuvent plus, soutient Sarah-Maria Hammou. Il est temps d’écouter enfin leur cri d’alerte. »
- Le prénom a été modifié. ↩︎
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