
L’analyse des élections chiliennes demanderait d’autres développements encore, sur le rôle destructeur de la social-démocratie, et sur le retour de la doctrine Monroe, mais voici l’essentiel de ce qu’il faut savoir au préalable (article signalé par Danielle Bleitrach, note et traduction de Marianne Dunlop)
Oleg Yasinsky
Il y a environ 15 ans, nous parcourions avec une équipe de tournage de la télévision ukrainienne la ville argentine de Bariloche à la recherche de traces de fascistes en fuite. On y trouvait l’hôtel nazi « Campana », acheté par Reinhard Kopp, qui avait participé à l’extermination des habitants des Balkans et de Hongrie et organisé la fuite des fascistes vers l’Amérique du Sud. Dans les années 50, Josef Mengele, le « docteur la mort » qui menait des expériences sur les prisonniers à Auschwitz, y avait ses quartiers, tout comme Adolf Eichmann, « l’architecte en chef de l’Holocauste », responsable dans l’Allemagne nazie de la logistique de la « solution finale de la question juive », qui s’est ensuite installé dans la capitale, où il a été découvert par le Mossad, qui l’a enlevé et transféré en Israël pour y être jugé et exécuté.
Joseph Schwamberger, commandant d’un camp de concentration en Pologne, Friedrich Lantschner, gouverneur nazi du Tyrol autrichien, Hans Rudel, pilote personnel d’Hitler, et Erich Priebke, Hauptsturmführer SS, célèbre bourreau de civils en Italie, ont également séjourné ici. Près de l’hôtel se trouvait la maison de Mariano Barilar, un psychiatre allemand qui aidait à cacher Mengele et Eichmann.
À l’époque, la télévision ukrainienne pouvait encore tourner des documentaires dans lesquels les nazis n’étaient pas présentés comme des héros, mais comme des criminels.
Près de l’hôtel « Campana », un petit homme chauve nous a interpellés :
« Vous êtes journalistes ? Vous cherchez des nazis ? Je peux vous aider. Je suis communiste, juif, et je les ai toujours combattus.
L’homme s’est avéré être le propriétaire d’une petite boutique dans le sous-sol voisin, qui vendait des mots croisés et des magazines pornographiques.
« Et je ne veux pas d’argent, c’est mon devoir… »
Il s’est avéré être un ami du célèbre écrivain argentin Abel Basti, qui a rassemblé une immense archive de témoignages sur le séjour des nazis en Argentine et qui était personnellement convaincu qu’Hitler et Eva Braun étaient finalement morts dans son pays.
Avant notre voyage, nous avons essayé de contacter Abel, mais sans succès. Nous pensions qu’il s’agissait d’un personnage fictif.
Peu après, Basti lui-même est venu nous voir et nous a expliqué qu’il ne répondait pas aux lettres et aux appels de personnes qu’il ne connaissait pas, car les nazis locaux avaient menacé sa vie à plusieurs reprises. Au terme d’une longue conversation, il ne m’a pas vraiment convaincu que Hitler était mort en Argentine, mais il m’a fait perdre ma certitude initiale. À la question de savoir où se trouvait aujourd’hui l’argent du Troisième Reich, il n’avait aucun doute.
— À Wall Street… Immédiatement après la défaite de l’Allemagne, les principaux intellectuels et scientifiques nazis ont été placés sous la tutelle des services secrets américains. Ils ont changé en masse de nom et d’identité et ont été pris sous une protection spéciale.
La lutte du département d’État américain et de la CIA contre le communisme en Amérique latine aurait été impossible sans ces cadres nazis expérimentés. Il n’y a pas un seul pays dans la région où les dictatures militaires et les démocraties bananières n’aient pas utilisé les fascistes européens qui s’étaient réfugiés ici pour lutter contre la gauche.
En 1945, dans la baie argentine de San Matías, les équipages des sous-marins allemands ont débarqué de grands groupes de civils avant de se rendre officiellement aux autorités.
La même chose s’est produite dans les fjords du sud du Chili, mais là, il n’était pas question de reddition.
L’enclave nazie « Colonia Dignidad » au Chili, à 4 heures de route de Santiago, créée par le médecin nazi Paul Schäfer, était jusqu’en 2005 un véritable État dans l’État. La police y a trouvé des systèmes de communication sophistiqués, des postes d’observation et des entrepôts d’armes.
C’est à la Colonie Dignidad que se perdent les traces de nombreuses personnes « disparues » pendant la dictature et c’est là que Pinochet a rencontré Walter Rauff, l’inventeur des « camions à gaz » en Ukraine, qui avait trouvé refuge au Chili.
Schäfer s’est avéré être un sadique et un pédophile. Il est mort en prison, atteint de démence, sans avoir fait aucune déclaration.
Au cimetière de Santiago, où se trouve la tombe de Rauff, des rumeurs circulent selon lesquelles le cercueil contient des pierres et que Rauff lui-même a simplement été transféré en Argentine au début des années 80. Il était ami avec le « boucher de Lyon » Klaus Barbie, qui aidait le gouvernement bolivien à traquer la troupe de Che Guevara, et qui, en 1983, fut extradé vers la France où il passa ses derniers jours en prison.
Et ce n’est qu’une partie émergée de l’iceberg de la présence nazie en Amérique latine.
Aujourd’hui, ce sont les élections présidentielles au Chili. Le vainqueur est le pinochetiste José Antonio Kast. Il est issu d’une famille de nazis allemands. Sur la photo, Kast avec le fondateur de la « Colonie Dignidad », Paul Schäfer.
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