Histoire. En quoi la Commune est-elle actuelle ?

Rappel des faits Il y a cent cinquante ans, l’expérience politique, sociale et culturelle de la Commune de Paris de 1871 nous montrait encore une voie démocratique inédite.

La lutte des classes

Louis Albert Serrut Auteur

-

La Commune de Paris fut l’une des expériences les plus démocratiques qui ait existé dans l’époque moderne. Karl Marx écrit à son propos, dans la Guerre civile en France : « Son véritable secret, le voici : c’était un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail. » Cet événement considérable, encore méconnu et diversement considéré en France, peut être lu différemment.

Une comparaison peut s’inscrire dans le temps long de l’histoire. À penser 1870 et 1940, il ressort le même sentiment d’une déroute, l’impression d’un gâchis, de sabotage, à laquelle la société française serait habituée. Et la nécessité chaque fois de devoir refaire, réparer la société. C’est ce que voulurent les Parisiens de la Commune comme les Français de la France libre. La similitude prend plus de consistance à la lecture de la lettre du colonel du génie Louis Rossel, datée du 19 mars 1871 (Franz Van Der Motte. Mourir pour Paris insurgé. Le destin du colonel Rossel. L’Harmattan 2001) : «Instruit par une dépêche de Versailles rendue publique aujourd’hui qu’il y a deux parties en lutte dans le pays, je me range sans hésitation du côté de celui qui n’a pas signé la paix et qui ne compte pas dans ses rangs des généraux coupables de capitulation… »

La démarche de cet officier, sa motivation et son engagement sont ceux que de Gaulle reprendra, soixante-dix ans plus tard. Ils font suite, l’un et l’autre, à la même stratégie de déroute. Le 28 janvier 1871, après la défaite de Sedan, les Prussiens défilent sur les Champs-Élysées. Mai et juin 1940 ont répété le même air, avec les mêmes acteurs : l’armée en déroute, sans le peuple, ou l’armée contre le peuple, les élus qui pactisent et s’associent au vainqueur, celui-ci qui parade sur les Champs-Élysées et dans Paris.

Le 10 mars 1871, l’Assemblée nationale part à Bordeaux, le gouvernement défaitiste et collaborateur quitte Paris pour Versailles. Abandonnant toute velléité de combat ou de résistance, ils laissent la capitale cernée par l’occupant, qui va l’assiéger sous leurs yeux, avec leur complaisante complicité. Ce gouvernement était plus préoccupé à sauver les patrimoines et les affaires de ceux qui le composaient, capitalistes et affairistes, que de ses citoyens. Le 10 juillet 1940, le gouvernement de la France abandonne Paris à l’occupant et s’installe à Vichy. Les phrases précédentes sont à reprendre à l’identique, ou presque. En effet, après « l’étrange défaite », il n’y a pas de siège de Paris, le gouvernement a pactisé et ouvert toutes les portes, tandis que les insurgés se nomment résistants.

Louis Rossel a rejoint Paris résistant, de Gaulle est allé à Londres pour organiser la Résistance. La similitude éclaire bien la nature de l’intérêt que les gouvernements capitalistes portent aux affaires publiques et à l’intérêt général. Il leur importe d’abord de sauvegarder leurs biens, les préserver et les protéger, et continuer à les faire fructifier par l’économie de guerre.

Rossel a été nommé par l’Assemblée communale délégué à la guerre de la Commune de Paris, de Gaulle s’est proclamé chef de la France libre à Londres. Rossel échappa à la Semaine sanglante, réfugié dans un hôtel. Arrêté le 7 juin 1871, il fut interrogé le 13 par le Conseil de guerre, qui le soupçonnait d’avoir agi par ambition. À cette accusation, il a répondu : «J’avais l’espérance que le succès du mouvement de Paris procurerait à la France une organisation sociale plus appropriée à ses besoins que celle qu’elle possède depuis quarante ans et qui a abouti en définitive aux désastres de toute nature de la dernière guerre. »

Condamné, il est fusillé le 28 novembre 1871 au camp militaire de Satory, près de Versailles, quand de Gaulle, revenu dans les fourgons des Alliés, profita de l’engagement et de l’abnégation des résistants restés sur le territoire national pour affermir son autorité. Quand le bourgeois s’assoit sur les cadavres de ceux qui ont sacrifié leur vie.

La déroute dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19 actualise, en 2020, ce même processus récurrent. 1870, 1940, 2020, l’intervalle de quatre générations de l’un à l’autre garantirait-il l’oubli ?

Dans le monde interdépendant du XXIe siècle, où les sociétés démocratiques sont institutionnalisées, où la guerre économique s’est substituée à la guerre militaire, c’est la guerre globale par d’autres moyens, antisociale, sécuritaire, répressive, du contrôle et de la surveillance qui continue à être organisée. Quand le président de la République déclare :  « Nous sommes en guerre », ne faut-il pas entendre toujours et encore le même discours : « Nous, potentats, oligarques, capitalistes, sommes en guerre contre les citoyens, le peuple, la classe ouvrière. »

Les réponses de Macron et ses gouvernements à l’épidémie de Covid-19 – erreurs, manquements, impréparation, impéritie, dissimulations, mensonges – lui ont permis de créer dans la confusion un ordre juridique autonome qui déroge à toutes les législations.

L’état d’urgence sanitaire est un état de guerre où les troupes, celles de la santé, ne sont pas mobilisées, les lits supprimés, les effectifs diminués, les armes pour se protéger et se défendre – masques, tests, vaccins – sont indisponibles. Comment expliquer le risque pris d’une crise économique de grande ampleur, d’une considérable accumulation de dette publique, d’un chômage de masse ? Une réponse est de considérer la pandémie comme une opportunité, une aubaine pour la prospérité capitaliste.

La crise épidémique serait l’occasion de faire place à un nouvel ordre et alors la défaillance du pouvoir politique n’est pas le juste argument. Les aides accordées « quoi qu’il en coûte » sans compter ni contrepartie aux entreprises, l’exécution des plans préexistants de licenciement de salariés par dizaines de milliers sans condition, la répression brutale des contestations syndicales ou sociales, tout cela préfigure-t-il – ou est-ce déjà – le nouvel ordre qui s’installe ? Ne faut-il pas voir là une nouvelle fois une entreprise de sabotage de la République ? Voilà ce que la pandémie rend évident : l’organisation de la défaillance des services publics au bénéfice d’une logique capitaliste antisociale et antidémocratique. Et pour dissimuler le sabotage de l’État rendu impuissant, le renforcement du contrôle, de la surveillance et de la répression des résistants, les insurgés à l’ordre capitaliste.

Une économie sociale

Jean-Philippe Milesy Responsable des Rencontres sociales

-

Il y a cent cinquante ans, la première forme de République démocratique et sociale émergeait de la résistance à l’occupant et à la politique de collaboration, de répression démocratique et de régression sociale des versaillais.

On ne retient de la Commune que la Semaine sanglante. Pour Thiers et les siens, des monarchistes à Jules Ferry, il s’est agi, dans un délire de balles et de mots, de faire un exemple pour tous ceux qui voudraient défier le pouvoir.

Mais, ce qui est tu le plus souvent, c’est l’œuvre, à proprement extraordinaire compte tenu des circonstances de guerre, de la Commune en matière économique, sociale et sociétale. En nos temps de révoltes féministes pour de nouveaux droits ou pour des droits conquis et contestés, la Commune est un exemple qui rétablit le divorce treize ans avant Naquet, créa l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, décréta l’égalité des traitements des institutrices et instituteurs, développa l’enseignement professionnel féminin…

En nos temps de disputes sur l’enseignement, la Commune, trois lustres avant Goblet et Ferry, décréta l’école laïque, gratuite et obligatoire, générale et professionnelle. La première aussi, elle crée l’embryon d’un service public de l’emploi.

Pour une bonne part composée de militants mutualistes, coopérateurs et associatifs, la Commune eut aussi une action importante dans le champ de l’économie sociale. La première action de la Commune, c’est la reprise coopérative des entreprises abandonnées par leurs propriétaires ayant fui à Versailles. En cela, la Commune préfigure les entreprises récupérées, libérées, que l’on a connues récemment tant en Argentine, en Grèce, les coopératives de lutte chez nous. La seconde action est l’impressionnant élan d’éducation populaire qui marqua les soixante-douze jours de la Commune qui, dans l’esprit de la Ligue de Jean Macé, de Hetzel et… Louis Rossel, qui fut général de la Commune, préfigura bien des universités populaires de la fin du siècle. En outre, la Fédération des artistes fut la première organisation non-académique des peintres, sculpteurs, musiciens…

Je veux ici évoquer deux portraits. D’abord, la figure d’Eugène Varlin, qui est sans doute une des plus brillantes et attachantes de la Commune. Sa fin, assommé, brisé, énucléé et finalement fusillé est un exemple du martyrologe communard. Sous l’Empire, Eugène Varlin est un militant socialiste libertaire, engagé au sein de l’Internationale ouvrière.

Relieur, il est un des animateurs de la mutuelle ouvrière de sa profession, car toutes les mutuelles du temps ne se plient pas à l’approbation impériale. Habitant le 5e arrondissement de Paris, quartier alors partagé entre population ouvrière et étudiante, après avoir participé à la création de la coopérative de consommation La Ménagère (1867), il est un des cofondateurs de La Marmite, cuisine coopérative. Cette dernière, parmi les toutes premières préfigurations de la restauration sociale collective, étonne par les innovations qu’elle présente alors : souci de l’hygiène et de la diététique, création d’une centrale d’achat auprès des maraîchers des faubourgs de la ville…

« Travailleurs ! Consommateurs ! Ne cherchons pas ailleurs que dans la liberté les moyens d’améliorer notre existence ! » Y a-t-il plus beau manifeste que ce tract appelant à l’adhésion à la coopérative. Elle connaîtra un grand succès, essaimera et comptera à la chute de l’Empire jusqu’à huit mille adhérents.

À la même époque, s’engage en économie sociale Élie Reclus. Il est le frère d’Élisée, qui sera le plus grand géographe de son temps. Comme lui, il est un militant « communiste anarchiste », ami de Bakounine. Féru d’innovation, il fréquente les frères Péreire, qui, saint-simoniens, seront parmi les principaux artisans du chemin de fer et de l’industrialisation de la France. C’est à partir de leur expérience du Crédit mobilier qu’Élie Reclus participe, avec le gendre de Cabet, à la fondation du Crédit au travail, banque coopérative dédiée aux associations ouvrières de production, ancêtre de notre Crédit coopératif. Si la banque dépérit, notamment du fait des malversations d’un de ses caissiers, Élie Reclus est aussi le gérant de l’Association, bulletin international des sociétés coopératives (ce qui illustre bien l’unicité du tronc « associationniste » de notre économie sociale et solidaire).

Pendant la Commune, Élie Reclus se voit confier la direction de la Bibliothèque nationale, où, malgré les réticences des bibliothécaires, il engagera un travail de modernisation remarqué, mais où, surtout, il procédera à la protection des toits pour faire échapper ce patrimoine national aux obus incendiaires de l’artillerie de siège versaillaise. Ayant échappé à la Semaine sanglante, il retrouvera en exil son frère Élisée, pris les armes à la main mais qui échappera à la mort par une impressionnante mobilisation de géographes du monde entier et des milieux universitaires américains. En exil, Élie Reclus devient l’ami et le traducteur de Pierre Kropotkine et poursuit avec Élisée son œuvre anarchiste. Élie et Élisée furent les oncles d’Élie Faure. Celui-ci médecin et militant, se passionna pour l’art et donna à partir de 1905 des cours à la Fraternelle, coopérative et université populaire du 3e arrondissement. Signalons enfin que c’est un communard de la fraction modéré, Jean Barberet, militant mutualiste et coopérateur, qui sera, auprès de Pierre Waldeck-Rousseau, l’artisan des statuts mutualistes, coopératifs et de la loi de 1901.


En savoir plus sur Moissac Au Coeur

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Donnez votre avis

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.