Une note d’analyse de 14 pages qui paraît ce vendredi montre que le coût annuel de l’externalisation des missions de service public représente « l’équivalent du quart du budget de l’État ». Une politique qui revient, pour la puissance publique, à « saper sa capacité à agir », estiment une centaine de hauts fonctionnaires et d’agents publics. Ils critiquent ouvertement l’orientation austéritaire des gouvernements successifs qui ne cesse de faire la part belle au privé, au détriment de l’intérêt général.
Nos services publics : le nom du collectif se veut sobre et simple. En creux, il en dit pourtant long sur le hiatus qui existe entre ceux qui élaborent les politiques et ceux chargés de les mettre en œuvre.
Portée par une centaine de hauts fonctionnaires et d’agents publics issus de divers ministères et administrations, cette nouvelle entité livre une charge de l’intérieur particulièrement argumentée contre la logique de démantèlement du service public au profit du privé qui prévaut depuis une trentaine d’années.
Concessions et prestations
Dans une note d’analyse de 14 pages qui paraît aujourd’hui, les auteurs estiment à 160 milliards d’euros le coût annuel de l’externalisation des missions de service public, « soit l’équivalent du quart du budget de l’État ». Une politique qui revient, pour la puissance publique, à « saper sa capacité à agir », sans faire la preuve de son efficacité, même purement budgétaire.
Pour consulter cette note : nspublics_-_note_ndeg1_-_externalisation_vdef.pdf
Dans le détail, ce sont les délégations de service public (120 milliards d’euros), le plus souvent sous la forme de concessions, qui constituent le gros de ces externalisations. Auxquelles s’ajoutent au moins 43 milliards d’euros de marchés de prestations. « Ces 43 milliards d’euros sont dépensés pour un tiers par l’État et les hôpitaux (14 milliards d’euros), pour un tiers par les collectivités territoriales (13 milliards d’euros) et pour le dernier tiers par les entreprises publiques et opérateurs de réseau (16 milliards d’euros) », précise le document.
Une politique suicidaire
Pour donner la mesure de cette politique suicidaire, le collectif Nos services publics pointe que le dernier exemple médiatisé de cette logique – le recours à des cabinets de conseil sur la vaccination entre mars 2020 et février 2021 – s’élevait à 11 millions d’euros, « soit moins de 0,01 % du total ».
S’appuyant notamment sur l’exemple du Grand Paris et de son budget de 30 milliards d’euros annuels, deux fois supérieur à celui, similaire, de son voisin londonien, embauchant, lui, trois fois plus de fonctionnaires, les auteurs réfutent l’idée selon laquelle le recours au privé serait garant d’une meilleure efficience budgétaire. « Plutôt que de diminuer le coût du service, tout en maintenant sa qualité, on en réduit la qualité, tout en dégradant les finances publiques », concluent-ils.
Un débat verrouillé
Soulignant la continuité parfaite dans ces orientations entre les gouvernements de droite et de gauche, le collectif pointe les carcans budgétaires et juridiques construits par les majorités successives pour verrouiller le débat dans une seule direction possible : toujours moins de fonctionnaires pour toujours moins de dépenses publiques.
Plafonnement du nombre d’équivalents temps-plein introduit par la loi organique relative aux lois de finances (Lolfr – 2006), mais aussi mise en concurrence des opérateurs publics avec des acteurs privés et décentralisation de l’action publique sans moyens à la hauteur pour les collectivités locales expliquent que, de plus en plus, l’administration se retrouve contrainte à confier ses missions au privé.
Quand on voit qu’on a dû confier la prise de rendez-vous pour les vaccins à Doctolib parce qu’on n’était pas capables de faire ça en interne, cela pose problème.
Arnaud Bontemps, fonctionnaire à la Cour des comptes et membre du collectif
« On ne dit pas qu’il faut tout réinternaliser, mais on appelle à ce qu’il y ait un tri qui soit fait en fonction de critères comme, notamment, la souveraineté, la nécessité de conserver des savoir-faire, la qualité et l’ambition du service public », explique Arnaud Bontemps, fonctionnaire à la Cour des comptes et membre du collectif. « La question se pose en particulier dans le domaine du numérique : quand on voit qu’on a dû confier la prise de rendez-vous pour les vaccins à Doctolib, pas par choix mais parce qu’on n’était pas capables de faire ça en interne, cela pose problème », précise-t-il.
Le droit de réserve n’est pas un carcan
Avec cette première note d’analyse, le collectif Nos services publics espère faire réagir à la fois au sommet des administrations, où la réflexion politique semble verrouillée, mais aussi l’ensemble des fonctionnaires, pour qu’ils cessent d’envisager le devoir de réserve comme un carcan les empêchant de remettre en cause les orientations systématiquement austéritaires de l’exécutif.
Plus largement, les instigateurs de cette démarche espèrent remettre la question des services publics au centre du débat de société. « Il y a urgence à se saisir de ces enjeux, d’autant qu’on anticipe l’impact qu’aura la dette liée à la crise sanitaire sur les politiques publiques », ajoute Arnaud Bontemps.
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