Extrême droite. Ces jeunes qui votent Rassemblement national

Des militants du RN, avec à gauche, Marie-Caroline Le Pen, le 20 juin. Thierry Stefanopoulos/réa

Des militants du RN, avec à gauche, Marie-Caroline Le Pen, le 20 juin. Thierry Stefanopoulos/réa

Même si son véritable poids électoral est à relativiser, le parti de Marine Le Pen séduit de plus en plus de jeunes. Décryptage des raisons qui poussent ces militants ou simples sympathisants vers le RN.

C’était le 5 avril, un titre comme une sirène d’alarme : « Le Rassemblement national, premier parti des 25-34 ans. » Un titre repris en boucle par tout un pan de la presse française. Quand le journal le Monde publie ces deux études (Ifop et Ipsos), Marine Le Pen est alors donnée au coude-à-coude au second tour de l’élection présidentielle de 2022 avec Emmanuel Macron et les 18-34 ans la placent en tête du premier tour avec 26 % des intentions de vote. L’affaire serait entendue : depuis dix ans de normalisation sous l’égide de Marine Le Pen, le RN constituerait la principale force ­d’attraction pour une jeunesse française reléguée et en colère. Si cette assertion est à relativiser, notamment en raison du poids de l’abstention, il semble irréfutable que le parti à la flamme séduit particulièrement au sein de cette catégorie d’âge qui, souvent, n’a connu ni le FN de Jean-Marie Le Pen, ni le 21 avril 2002 et qui se dit déçue de la gauche et de la droite après les quinquennats de François Hollande et Nicolas Sarkozy. Le RN apparaît comme le parti qui a le vent en poupe, fait de la place à des cadres jeunes et n’a jamais été au pouvoir. Si ce tableau est fortement à nuancer – surtout depuis la claque reçue par le RN aux élections régionales –, reste toutefois à comprendre les ressorts de ce vote.

Sentiment de déclassement et boucs émissaires

Pour Christèle Lagier, maîtresse de conférences en science politique à l’université d’Avignon et spécialiste du vote FN/RN, il convient de « distinguer le traitement ­médiatique et l’adhésion des jeunes au RN », auxquels la chercheuse « mettrai(t) un grand bémol ». Au reste, différentes études confirment la nécessité de ces précautions : la ­jeunesse française est d’abord abstentionniste, et dans les grandes largeurs. Au second tour des régionales, 83 % des 25-34 ans ne se sont pas rendus aux urnes, un pourcentage qui monte à 87 % pour les 18-24 ans. Cette désaffection ne touche pas que les élections dites « intermédiaires » : en 2017, alors que près de 30 % des moins de 35 ans n’ont pas voté au premier tour de la présidentielle, c’était le cas de ­seulement 16 % des 60-69 ans.

Un électorat donc volatil mais qui vote RN davantage par adhésion – ce qui n’est nullement contradictoire. C’est le cas de Jérémy Bonnaud. à 27 ans, il vote RN depuis qu’il est en âge de le faire, « sauf aux municipales, parce qu’il n’y avait pas de liste RN. Mais c’est un bon maire LR : je ne regrette pas mon vote ». S’il est encarté depuis ses 19 ans, il ne milite qu’occasionnellement, « surtout par manque de temps ». Ce fils et petit-fils d’électeurs socialistes est d’ailleurs venu au RN, « une évidence pour moi », par rejet des « années Mitterrand, qui n’ont fait que développer l’assistanat et détruire l’industrie – la droite aussi d’ailleurs ». Un point important pour ce technico­-commercial dans une entreprise de découpe d’acier qui correspond aux profils rencontrés par Christèle Lagier : « Souvent, ce sont des jeunes issus des classes moyennes, qui sont dans une logique de travail et d’études, mais ont le sentiment de ne pas être récompensés. » Elle prend comme exemple des étudiants dont les parents paient des impôts mais qui ne sont pas boursiers et qui s’en prennent alors à « des étudiants immigrés ou issus de l’immigration (qui) touchent des bourses ». Le bouc émissaire est tout trouvé.

Cette adhésion aux valeurs portées par le RN, on la retrouve chez Julie Rechagneux, qui présente un profil différent. À 25 ans, engagée au FN/RN depuis ses 17 ans, elle en est aujourd’hui une cadre locale. Déjà conseillère municipale à Lormont, en Gironde, elle est nouvellement élue conseillère régionale. Elle axe son engagement sur trois des thèmes de prédilection du parti d’extrême droite : « L’insécurité et l’immigration, qui est directement liée, mais aussi la ­justice », précise cette étudiante en droit qui veut devenir avocate. Des ­valeurs qu’elle prétend fondées sur « le réel et le bon sens, car on voit l’insécurité tous les jours ». Mais son engagement tient également à des sujets plus hétéroclites : « Le recul des droits ­sociaux, le matraquage fiscal, la répartition des ­richesses ». Sur la justice, Julie ­Rechagneux déplore autant « le manque de moyens par la faute de l’État » que le fait que l’institution soit « idéologisée et donc laxiste », en raison également du « manque de places en prison qui fait que des auteurs d’agression sont en liberté ».

Pour autant, ces jeunes qui votent souvent par attrait pour des mesures ou certains discours n’adhèrent pas à tout ce que ­développe le RN. « Les personnes interrogées n’ont souvent qu’une connaissance très ­limitée du programme », précise Christèle Lagier. La chercheuse relate ces témoignages de jeunes adultes qui disent leur adhésion à « l’idée de renverser la table. On entend souvent dire que “Marine le Pen a un discours compréhensible, et qu’elle peut faire une révolution ». Un côté subversif qui précisément attire Maxime (le prénom a été modifié), qui préfère témoigner anonymement. À 23 ans, cet électricien de chantier dans le Val-d’Oise qui enchaîne des missions d’intérim n’est pas allé voter les 20 et 27 juin : « Je n’en voyais pas l’utilité, Pécresse (Valérie Pécresse, présidente LR sortante – NDLR) allait gagner. » Maxime a voté Marine Le Pen en 2017 aux deux tours, et compte réitérer en 2022 : « C’est la seule qui puisse donner un coup de pied dans la fourmilière. » Il estime qu’il y a beaucoup trop de « gens qui ne font rien en France, y compris des politiques », alors que lui « travaille dur ». Mais il n’adhère pas à tout : « Sortir de l’Europe, tout ça, c’est des mensonges. C’est impossible de toute façon. Mais au moins elle fera quelque chose contre l’insécurité. » Une adhésion partielle que l’on retrouve souvent, selon Christèle Lagier : « Il y a l’idée d’“essayer” Marine Le Pen, en estimant que si elle va trop loin il y a aura des contre-pouvoirs car “on est en démocratie”. »

La fachosphère très influente sur les réseaux sociaux

Pour ces jeunes gens qui n’ont pas connu le FN de Jean-Marie Le Pen, la question du racisme est contournée. La « dédiabolisation » fonctionne à plein. Julie rappelle que « Jean-Marie Le Pen était encore au FN quand j’ai adhéré, mais beaucoup de gens ont évolué et n’ont pas la même perception ». Lorsque Jérémy est allé aux premières ­réunions, il était « méfiant, avec tout ce qu’on entend sur le FN. Mais je n’y ai jamais vu de racisme ». Pourtant, tous trois font de l’immigration –  « trop nombreuse », selon Maxime – le ­problème principal en France et la lient à l’insécurité. L’influence de la fachosphère est également importante pour cette génération : « La présence de l’extrême droite sur les réseaux sociaux est énorme », analyse Christèle Lagier, qui voit en tant qu’universitaire une « égalisation de l’information très préjudiciable à la ­jeunesse ». Une référence à la « bataille pour l’hégémonie culturelle », thème gramscien aujourd’hui ouvertement revendiqué par l’extrême droite. À commencer par Marion Maréchal – en retrait du RN mais toujours très active et populaire – ou Jordan Bardella, numéro 2 du RN et par ailleurs président de Génération nation, le mouvement de jeunesse du RN. Le symbole d’un parti qui se veut moderne et jeune, mais qui n’échappe pas, comme les autres, à la désaffection d’une grande partie de la jeunesse française.


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