Renforcement des restrictions, extension du passe sanitaire… Le nouveau projet de loi du gouvernement doit être examiné ce lundi par le Conseil d’État, puis en Conseil des ministres. Le professeur de droit public de l’université Grenoble-Alpes, Serge Slama, détaille les problématiques que posent le texte. Entretien.
Face au variant Delta et à un relâchement dans la vaccination, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé un renforcement des contraintes sanitaires notamment à travers un passe sanitaire pour accéder aux activités en public… Ce passe comporte-t-il un risque de rupture d’égalité, donc d’inconstitutionnalité ?
Serge Slama L’élargissement du passe sanitaire pose plusieurs difficultés. D’abord, le premier élargissement prévu fin juillet se fait dans le cadre de la loi du 31 mai qui ne prévoyait un passe sanitaire que pour les grands rassemblements de personnes dans le domaine des loisirs. Or, l’extension aux discothèques et aux activités culturelles de plus de 50 personnes ne rentre pas dans ce cadre légal.
Ensuite, la seconde extension, celle dans le projet de loi soumis au Conseil d’État, qui une fois adopté pourrait être soumis au Conseil constitutionnel. Elle pose des enjeux d’égal accès aux activités de la vie courante, tout comme la question de la proportionnalité des mesures. Tout dépend du risque sanitaire et de la balance bénéfice/risque face au variant Delta. C’est donc compliqué d’affirmer que le passe est conforme ou non à la Constitution, mais les 15 ou 20 millions de personnes qu’il reste à vacciner d’ici août n’auront pas tous accès au vaccin et leur vie en sera rendue très compliquée.
Covid-19. Projet de loi sanitaire : l’analyse de Serge Slama, professeur de droit public
Plus largement, parmi les annonces d’Emmanuel Macron, quelles sont les mesures susceptibles d’avoir un avis négatif par le Conseil d’État ?
Serge Slama Le Conseil d’État est conseiller du gouvernement et l’aide à réaliser ses politiques en conformité avec le droit. Il va sans doute améliorer le texte soumis car il comporte pas mal de difficultés.
Il y a un problème de calendrier. On pourrait très bien envisager l’extension du passe sanitaire sans le précipiter. S’il entre en vigueur en août, il y aura un phénomène d’éviction de millions de Français dans les activités du quotidien, et c’est problématique. Outre la vaccination obligatoire des personnels de santé, avec un test toutes les 72 heures ou, de facto, une obligation vaccinale, beaucoup de salariés des centres commerciaux, des bars, des restaurants… ne pourront plus accéder à leur lieu de travail et risquent un licenciement.
De plus, l’article 4 du projet de loi est très problématique. Ce dernier prévoit que le simple fait d’être positif à un test vaut privation de liberté et obligation d’isolement. Juridiquement, il est strictement impossible qu’une décision d’un laboratoire ou d’une pharmacie puisse avoir un tel effet, qui doit être une décision de l’autorité publique contrôlée par un juge.
Certains dénoncent une dérive dans les rapports aux droits et aux libertés, partagez-vous cette analyse ?
Serge Slama La dérive peut être sur trois aspects. D’abord, le mode de gouvernance. Les mesures sont prises par le président de la République, en conseil de défense, avec peu de consultations, tout en annonçant des choses qu’il avait auparavant écartées, comme le passe sanitaire pour les activités du quotidien. Ensuite, la politique du fait accompli, où le chef de l’État tord la réalité pour provoquer un effet de levier sur la vaccination, qui a d’ailleurs fonctionné.
Enfin, outre les problèmes propres à l’accès à la vaccination, notamment en période de vacances, s’ajoutent les questions liées au contrôle des passes sanitaires et d’identité. Les sanctions en cas de non-respect des règles sanitaires peuvent apparaître extrêmement lourdes. Le président de la République privilégie le policier au sanitaire pour favoriser la vaccination.
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