La flambée mondiale des cours fait exploser les coûts de production des entreprises. Dans la jungle de l’ouverture à la concurrence, seuls les plus gros peuvent suivre.
Après la crise sanitaire, les confinements et les pénuries de matières premières, les entreprises prennent désormais de plein fouet la flambée mondiale des coûts énergétiques. « Les prix sont devenus fous. Début septembre, les prix de gros d’électricité ont dépassé le record historique de 93 euros le mégawatt. Fin septembre, ils étaient à 118 euros et, le 5 octobre, on en est à 152 euros pour une livraison en 2022 », alerte, dans « Usine nouvelle », Julien Teddé, le directeur du courtier Opéra Énergie. En novembre, les prix devraient progresser encore de 15 %, selon les projections.
Au jour le jour
Depuis quelques semaines, la panique s’empare donc des entreprises et plus particulièrement des secteurs très énergivores. Ceux qui se fournissent sur le marché spot, soit une négociation journalière sur le marché, en subissent déjà les conséquences. Pour les autres, le coup viendra plus tard, lors du renouvellement et de la renégociation des contrats. À l’exception de 27 industriels électro-intensifs (Arkema, Air liquide, Alcan, Solvay…), qui ont formé un consortium appelé Exeltium et négocié avec EDF un tarif de rachat de grandes quantités d’électricité jusqu’en 2034 à 50 euros par mégawattheure (MWh).
L’Union des industries utilisatrices d’énergie (Uniden) estime que le surcoût de la flambée des prix de l’électricité pourrait atteindre « autour d’un milliard d’euros en 2022 ». L’Uniden appelle le gouvernement à un retour des tarifs réglementés. Quand Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, déplore un système qui « n’a clairement pas trouvé son point d’équilibre ».
Le sabordage du modèle français
Jusqu’en 2015, les entreprises pouvaient profiter de tarifs réglementés bleus pour les toutes petites entreprises, puis verts et même jaunes pour les plus consommatrices, avant que le gouvernement y mette un terme pour imposer l’ouverture à la concurrence du secteur. Laissant ainsi aux entreprises la possibilité de choisir une offre, un prix de marché, un contrat auprès de 160 opérateurs.
L’Union des industries utilisatrices d’énergie (Uniden) appelle le gouvernement à un retour des tarifs réglementés.
Pour permettre aux fournisseurs « alternatifs » d’être compétitifs, le gouvernement a mis en place, en 2011, un mécanisme : l’Arenh, pour accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Un « artifice », dénonce la CGT mines-énergie pour permettre aux nouveaux opérateurs d’être compétitifs en complexifiant « la composition de la facture ». En effet, outre le marché de gros, où l’électricité est négociée avant d’être livrée aux clients finals (particuliers ou entreprises) via le réseau, ces derniers peuvent acheter de l’électricité auprès d’EDF au prix, désormais imbattable, fixé par l’État, de 42 euros le mégawattheure (MWh). Si, durant plusieurs années, les prix de marché ont été bien inférieurs à 42 euros, incitant les concurrents à délaisser l’Arenh et à proposer des offres inférieures au tarif réglementé (de 8 à 10 %), les demandes explosent aujourd’hui. Selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE), celles-ci ont atteint « 133 TWh pour l’année 2019 et 147 TWh pour l’année 2020 ».
Or, la demande est plafonnée à 100 TWh par an. Ce qui correspond à près d’un quart de la production nucléaire d’EDF en France. Lorsque les demandes excèdent la quantité prévue par l’État, les fournisseurs sont alors obligés d’aller se fournir ailleurs au prix du marché et, dans la plupart des cas, d’augmenter les factures. C’est pourquoi de nombreux fournisseurs demandent à l’État de relever le plafond de l’Arenh à 150 TWh. D’ici à 2025, le gouvernement doit proposer un nouveau mécanisme pour remplacer celui-ci. C’était notamment l’objectif du projet Hercule, qui, dans sa dernière version, fixait l’Arenh à 48 euros le MWh. Pour la CGT, le mécanisme de l’État aurait coûté « 10 milliards d’euros à EDF dont 5 liés à la non-revalorisation des 42 euros… depuis 2010 » !
L’autre alternative est de s’allier avec des fournisseurs. Le 15 février dernier, Orange signait par exemple un contrat d’achat avec Engie qui « permettra le développement de deux nouveaux projets solaires de 51 MWc dans les Hautes-Alpes ». Et qui assure au groupe de télécommunications d’être alimenté en électricité pendant quinze ans. « Un modèle économique que seuls les grands groupes peuvent se permettre », analyse Julien Lambert, en charge des questions industrielles pour la fédération mines-énergie de la CGT. Lui prône le retour aux tarifs régulés, mais aussi la fin de la concurrence qui a montré aujourd’hui tous ses effets néfastes. « Dans les pays européens ayant mis fin à leurs tarifs réglementés en ouvrant totalement la concurrence, les consommateurs ont tous vu une augmentation de leur facture énergétique. »
LES OFFRES « ALTERNATIVES » EN FAILLITE
Avec la hausse des prix du gaz et de l’électricité, le modèle économique des fournisseurs « alternatifs » a explosé en vol. Certains ont été contraints de retirer leurs offres commerciales ou de cesser leur activité. Cdiscount et sa filiale GreenYellow, E.Leclerc énergies ont retiré leurs contrats. Ce dernier coupera même le jus à ses 140 000 clients n’ayant pas changé de fournisseur le 31 octobre. Même le géant italien du gaz, Eni, ne devrait plus tenir très longtemps. « Il y a deux fois moins d’offres que cet été (une cinquantaine en électricité, une trentaine en gaz, contre le double auparavant) », poursuit-on chez le Médiateur.
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