Stratégie Le secteur se retrouve au cœur de la présidentielle, où s’affrontent des logiques économiques antagonistes : retour de l’État stratège à gauche, laisser-faire à droite.
C’est l’une des rares vertus des crises planétaires : les thématiques autrefois jugées ringardes ou utopistes reviennent au centre du jeu. En 2012, tous les candidats à la présidentielle – Nicolas Sarkozy en tête – n’avaient pas de mots assez durs pour fustiger les « excès » de la finance, dont certains s’accommodaient très bien cinq ans plus tôt. Le krach des subprimes était passé par là. En 2022, c’est le thème de la « souveraineté industrielle » qui se voit accommodé à toutes les sauces, crise sanitaire oblige : depuis que notre pays s’est retrouvé fort dépourvu, privé de masques, de réactifs pour tests et de respirateurs, plus personne ne peut se mettre la tête dans le sable.
Cette semaine, la thématique s’est retrouvée une nouvelle fois sous les feux des projecteurs, avec la publication des chiffres du commerce extérieur. En 2021, la balance commerciale de l’Hexagone a enregistré le pire déficit de son histoire, à près de 85 milliards d’euros. Ce creusement tient pour partie à la flambée de la facture énergétique (pétrole et gaz), mais pas seulement : le rebond de la consommation et de l’investissement, sur fond de levée des restrictions sanitaires, s’est traduit par une hausse des importations, puisque notre appareil productif n’est pas en mesure d’y faire face. « La hausse des achats à l’étranger de produits manufacturés (+ 14,7 %) explique les deux tiers du rebond des importations françaises », note la Direction générale des douanes, qui dresse une liste vertigineuse des biens concernés : produits métallurgiques et métalliques (+ 35,5 % en 2021), produits chimiques, parfums et cosmétiques (+ 24 %), produits en caoutchouc et en plastique (+ 21,2 %), instruments à usage médical (+ 19,5 %), etc.
« du temps long Pour gagner en autonomie »
Immédiatement après la parution des résultats, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, indiquait la marche à suivre : « Il n’y a pas d’autres solutions pour rétablir la balance commerciale extérieure que de réindustrialiser massivement, rapidement notre pays. » Fin janvier, le même affirmait que la « reconquête industrielle était en marche », histoire de souligner que cette « reconquête » allait constituer l’un des axes forts de la future campagne d’Emmanuel Macron. Si l’expression a des airs de déjà-vu, c’est que le terme figurait dès 2017 dans le programme électoral d’un certain Macron Emmanuel. Mais la route est encore longue. Entre fin 2019 et fin 2021, la France a encore détruit 45 100 emplois industriels. En attendant, la crise sanitaire a remis l’industrie au goût du jour, et obligé le VRP de la « start-up nation » à élargir son horizon intellectuel au-delà des « jeunes pousses » du numérique.
Il n’est pas le seul : rares sont les candidats à la présidentielle qui font l’impasse sur la « souveraineté industrielle ». Ce terme ne renvoie en aucun cas à une forme d’autarcie économique, où une France entièrement autosuffisante vivrait en marge du commerce international, mais plutôt à une autonomie retrouvée dans un certain nombre de secteurs stratégiques (santé, alimentation, mobilité…), pour ne pas dépendre des aléas de la conjoncture mondiale. « Si l’on veut gagner en autonomie, il faudra s’inscrire sur le temps long, prévient l’essayiste Aurélien Bernier (1). Pour relocaliser à grande échelle, il faudra reconstruire des filières entières, ce qui implique de retrouver des savoir-faire. On continuera à importer des ressources – énergie fossile, certains produits agricoles, etc. – mais il ne faudra pas le faire à n’importe quelle condition. Tout cela suppose de créer un ordre économique différent. »
Et c’est là-dessus, précisément, que les divergences se creusent. Lorsque Valérie Pécresse, candidate LR, emploie le terme de souveraineté, c’est pour le lester d’une palanquée de réformes libérales : « La souveraineté économique et financière, c’est la clé des emplois de demain. Il faut mettre fin à une fiscalité absurde qui nous plombe, assumer de travailler plus longtemps, mettre fin à l’excès de bureaucratie, aux gaspillages et à la dépense publique inutile. » Une France réindustrialisée serait donc une France plus libérale. Le problème, c’est que cette logique est suivie à la lettre depuis vingt ans, sans que ses effets aient été démontrés sur la vitalité de notre tissu industriel…
Dans le détail, la candidate propose d’en finir avec les 35 heures, d’accorder de nouvelles baisses d’impôts aux entreprises (suppression de la C3S, assise sur le chiffre d’affaires) et de céder toutes les participations minoritaires de l’État actionnaire, ce qui peut surprendre lorsqu’on revendique davantage de souveraineté. Vendre les actions de l’État chez Renault et Engie, par exemple, permettrait selon elle de « renforcer l’agilité de grandes entreprises françaises ».
« C’est l’inverse de la “start-up nation” »
À gauche, on oppose au laisser-faire le grand retour de l’État stratège. « La politique industrielle, c’est l’inverse de la “start-up nation”, résume Aymeric Seassau, responsable aux entreprises pour le PCF. Il n’est pas question de tout fabriquer en France, mais de définir de grandes filières industrielles stratégiques (santé, alimentation, énergie, etc.) et de produire au plus près ce dont le pays a besoin. Ensuite, il faudra financer ces filières : quand nous plaidons pour un pôle public bancaire, ce n’est pas par lubie de collectiviste, c’est pour que les banques financent des projets utiles aux b esoins humains et à la souveraineté du pays. » Le candidat communiste Fabien Roussel propose notamment la création d’un pôle public qui gérerait la production et la distribution de médicaments, financé par une taxation de 1 % sur le chiffre d’affaires des entreprises pharmaceutiques.
À gauche, l’idée de réindustrialiser par filières fait consensus : Jean-Luc Mélenchon (FI) propose de créer des pôles publics dans divers secteurs, afin de « mettre fin à la dépendance de la France dans les domaines stratégiques (semi-conducteurs, médicaments…) et de soutenir la bifurcation écologique (recyclage des batteries, aciers nécessaires aux énergies renouvelables, etc.) ».
En matière d’écologie, justement, pas de débat : tous, à gauche, sont convaincus de la nécessité de concilier réindustrialisation avec transition verte, pour ne pas tomber dans les travers du productivisme d’antan, créateur d’emplois mais destructeur de ressources. Mais tout le monde n’est pas d’accord sur les sources d’énergie à privilégier. Pour Jean-Luc Mélenchon, il s’agit de sortir du nucléaire d’ici à 2045, avec l’ambition d’atteindre 100 % d’énergies renouvelables en 2050, via le solaire, l’éolien et la constitution d’une filière hydrolienne. Ce secteur pourrait créer 300 000 emplois, selon ses calculs. Pour Fabien Roussel, en revanche, qui vise la neutralité carbone d’ici à 2050, le mix énergétique doit intégrer nucléaire et renouvelable, avec le lancement de 8 EPR et la relance du projet Astrid (réacteur de 4e génération, plus économe, abandonné en 2019).
Une fois le cap fixé, reste à peser sur les stratégies des entreprises : la plupart des candidats de gauche plaident pour donner davantage de pouvoirs aux salariés, mais ne placent pas le curseur au même niveau. Dans son programme présidentiel, EELV propose de fixer à un tiers le nombre de représentants de salariés au sein des conseils de surveillance pour les entreprises de plus de 500 salariés, et à la moitié au-delà de 2 000 salariés.
Le PCF veut quant à lui instaurer un droit de veto suspensif sur les projets de restructuration et les licenciements, et imposer aux directions qu’elles tiennent compte des projets alternatifs portés par les salariés. « Dans beaucoup de dossiers industriels, on voit que les salariés sont porteurs de projets qui permettraient d’éviter les délocalisations ou la casse sociale, souligne Aymeric Seassau. C’était le cas, par exemple, chez Honeywell à Plaintel (Côtes-d’Armor), cette usine de fabrication de masques fermée en 2018 ; c’est le cas, aujourd’hui, à la centrale à charbon de Cordemais (Loire-Atlantique), où les salariés défendent un projet de conversion en biomasse. »
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