Avec Marine Le Pen, l’état de droit en péril

PRÉSIDENTIELLE La candidate du RN prétend vouloir « revivifier nos institutions et notre fonctionnement démocratique ». Son projet piétine pourtant l’État de droit.

Le 3 mars, lors de l’émission télévisée Élysée 2022. Christophe ARCHAMBAULT/AFP

Le 3 mars, lors de l’émission télévisée Élysée 2022. Christophe ARCHAMBAULT/AFP

L’extrême droite avance masquée.

La méthode n’est pas nouvelle et s’est constatée partout où elle est récemment arrivée au pouvoir. Marine Le Pen la connaît sur le bout des doigts. De la même manière qu’elle se prétend « sociale » malgré un projet profondément inégalitaire et libéral, la candidate du Rassemblement national (RN) se revendique « probablement la plus respectueuse de la démocratie et la plus attentive aux libertés individuelles ». Elle l’a répété mardi lors d’une conférence de presse consacrée à la question. Face à un adversaire qui a pendant cinq ans miné la démocratie, Marine Le Pen étend ainsi sa stratégie du « tout sauf Macron ». Pourtant, la politique authentiquement d’extrême droite que mènerait la candidate RN est sans conteste antidémocratique. Un caractère déjà visible dans son programme. « Mais i l faut aussi regarder l’histoire de son courant, comment gouvernent ses alliés, quels sont ses références et ses modèles. C’est tout ce tableau qu’il faut observer pour comprendre, sans la fantasmer, la politique qui sera mise en place », rappelle le sociologue Ugo Palheta, coauteur avec Omar Slaouti de Défaire le racisme, affronter le fascisme (la Dispute), paru le 25 mars.

Certaines atteintes sont explicites. Nos textes et principes fondamentaux, sur lesquels reposent notre République et notre démocratie, seront bafoués dès les premiers jours de Marine Le Pen à l’Élysée. Des pans entiers de son projet piétinent les fondements de l’État de droit. À commencer par l’inscription de la « préférence nationale » dans la Constitution, qui organisera la discrimination entre nationaux et étrangers pour accéder à l’emploi privé, à la fonction publique, au logement social, ou même aux prestations sociales et à l’hôpital en réduisant « drastiquement » le nombre de médecins étrangers, pourtant absolument nécessaires.

la « préférence nationale », clé de voûte du programme

Contraire aux Déclarations des droits de l’homme de 1789 et 1948, au préambule de la Constitution de 1946, à la Constitution de 1958, et à l’héritage de la Révolution française, la « préférence nationale » constitue la clé de voûte du programme de Marine Le Pen. La candidate compte soumettre cette réforme par référendum, au sein d’un projet de loi qui comporte toute une série de mesures antimigratoires. Dont celle de la fin du droit du sol, « que seul Pétain a remis en cause depuis 1889 », rappelle la philosophe Juliette Grange. Pour arriver à ses fins, la candidate entend contourner l’État de droit en utilisant ici l’article 11. « Un coup d’État », assène Dominique Rousseau. Car le constitutionnaliste rappelle que l’article 11 ne peut pas concerner des réformes constitutionnelles. Une jurisprudence de 2000 prévoit de plus que « le Conseil constitutionnel se déclare compétent pour décider de la constitutionnalité d’un tel projet de loi avant d’être soumis au référendum. En l’occurrence, il ne le permettrait pas », assure-t-il. Une dimension qu’a réfutée en bloc Marine Le Pen, mardi. Elle veut passer en force, en faisant pression sur les institutions pour les pousser à entériner des textes quels que soient les conditions et les termes dans lesquels ils ont été soumis au verdict populaire.

Plutôt qu’un régime présidentiel ou parlementaire, Marine Le Pen veut d’ailleurs instaurer un véritable régime plébiscitaire. Si elle propose le référendum d’initiative citoyenne (RIC), revendiqué par les gilets jaunes, elle se maquille surtout en démocrate en prônant le pouvoir du plus grand nombre, au détriment du respect de tous et des constructions collectives. Ses appels en prétendu lien direct avec le peuple pourraient se multiplier, notamment au sujet du rétablissement de la peine de mort ou de l’atteinte au droit à l’avortement. « Elle veut installer une opposition entre un peuple spontané, qui s’exprime par référendum et a toujours raison, et le peuple politique, que sont la Constitution, le Parlement, la société, la population », détaille Juliette Grange.

Pour que ces référendums deviennent plébiscites, l’extrême droite devra en créer les conditions. À commencer par saper l’opposition, le pluralisme et les corps intermédiaires. Les syndicats, régulièrement la cible de sorties de Marine Le Pen, seront aux premières loges. « Des forces comme le RN ne vont pas dire explicitement qu’ils sont contre les syndicats, mais on sait pertinemment qu’elles mettront en œuvre des politiques antisyndicales à un point qui n’est pas atteint par les forces bourgeoises traditionnelles », assure Ugo Palheta. Et quel sera le sort des militants politiques, des associations antiracistes, féministes, LGBT ? Au sujet de manifestants anti-Le Pen en 2020, Gilles Pennelle, proche conseiller de la candidate, prévenait : « On s’en occupera quand on sera au pouvoir et on les mettra hors d’état de nuire. » «  Si le pouvoir de Macron peut dissoudre des groupes comme Groupe antifasciste Lyon ou Nantes révoltée, imaginons ce que serait capable de faire l’extrême droite », ajoute Ugo Palheta. En projetant de réduire au silence les oppositions, le RN a beau jeu de proposer la proportionnelle aux législatives… Le sociologue s’inquiète aussi de la « puissance » médiatique, voire propagandiste, mise au service d’un pouvoir lepéniste qui pourrait décupler, au-delà du groupe Bolloré. Car Marine Le Pen n’est pas une grande admiratrice de la liberté de la presse. Celle qui veut privatiser l’audiovisuel public dénonce un « déséquilibre dans l’exposition des idées » dans les médias, et refuse personnellement depuis 2012 toute accréditation aux journalistes de Mediapart et Quotidien. Libération et l’AFP sont eux aussi parfois visés. « Il n’y a pas de journalistes chez Quotidien  », a-t-elle répété ce mardi lors de sa conférence de presse consacrée à la démocratie…

Le caractère profondément antidémocratique de Marine Le Pen ne se résume donc pas aux institutions mais aussi au respect des contre-pouvoirs ou encore des droits de chaque citoyen et des minorités, fondamentaux pour toute démocratie. Les risques sont immenses. « N’imaginons pas qu’un parti dont le succès est aussi lié à la xénophobie, au racisme, ne fera rien de plus que maintenir un statu quo en la matière, alerte Ugo Palheta. Il ira nécessairement plus loin, ne serait-ce que pour donner des gages à la population qui a voté pour lui. »

Déjà, son programme va loin, avec le contenu de son projet de loi sur l’immigration, ou encore l’interdiction du port du foulard, taxé d’ « uniforme islamiste et non musulman » dans la rue et les lieux accueillant du public. Une mesure qui n’intègre pas les autres signes religieux et contredit en plusieurs points la loi de 1905 et le principe de laïcité. « Cette interdiction n’est pas fondée sur la laïcité mais sur la lutte contre les idéologies islamistes, une idéologie totalitaire qu’il faut contraindre partout où elle s’exprime », a justifié Marine Le Pen, mardi. Cette « lutte » visera donc l’ensemble des musulmans de France et laisse craindre une véritable chasse aux sorcières. Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, parle même d’un « glissement vers la dictature ».

La porte grande ouverte à l’arbitraire et à l’impunité

Au service de cette politique, Marine Le Pen espère compter sur un nouvel arsenal judiciaire et policier. Son projet pour la justice est en soi antidémocratique, alors qu’elle souhaite « une soumission au pouvoir politique, notamment pour les procureurs, qui seraient en quelque sorte des préfets de justice », s’alarme le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Avec elle, le droit de manifester serait aussi largement remis en cause. La candidate du RN veut rétablir la loi « anticasseurs » de 1970, qui rendait pénalement responsables des participants à une manifestation au cours de laquelle des violences avaient été commises, sans qu’ils en soient les auteurs. Les policiers et gendarmes bénéficieraient également d’une « présomption de légitime défense », ouvrant grand la porte à l’arbitraire et à l’impunité. La répression et les violences policières ne pourraient que s’intensifier. Emmanuel Macron a érodé la démocratie française, Marine Le Pen la ravagerait.

Crise démocratique le RN surfe sur le bilan calamiteux de macron

Marine Le Pen a, mardi, lors d’une conférence de presse, pris appui sur la crise démocratique pour mieux en exploiter les colères. Son propos a débuté, en vue de minimiser la gravité de son propre projet, par une litanie d’attaques contre le président sortant. « Emmanuel Macron a contribué par sa pratique à dévaluer le rôle du politique », a-t-elle asséné. Elle pointe ainsi un « mépris ostensible des élus et des corps intermédiaires », pour lesquels elle n’a pourtant jamais exprimé un grand respect. Dressant un « état des lieux de la démocratie représentative accablant », Marine Le Pen rappelle que le président sortant « a trahi sa promesse de proportionnelle », qu’elle veut instaurer. Son objectif : une « pacification du débat politique », qui pourrait ressembler à une mise au pas.


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