Pédocriminalité, cyberviolence… Omegle, la plateforme de tous les dangers pour les jeunes

Après la publication d’une enquête sur la plateforme de messagerie Omegle, pouvoirs publics et acteurs de la protection de l’enfance s’inquiètent des risques numériques pour les adolescents. État des lieux.

Omegle, porte d’entrée de tous les vices pour les plus jeunes ? Ce site américain, qui permet à des millions d’inconnus d’échanger par message ou caméra interposée, vient de faire l’objet d’une enquête publiée par le média en ligne Kool Mag, consacré à la parentalité.

Celle-ci pointe notamment la présence d’exhibitionnistes d’âge mûr sur cette plateforme très fréquentée par les jeunes. Dans la foulée, le secrétaire d’État à l’Enfance, Adrien Taquet, a promis de signaler à la justice les faits relevant de l’exposition des mineurs à la pornographie et à la pédocriminalité.

Sur Omegle, comme sur ses équivalents Chatroulette ou Bazoocam, les comportements pédocriminels et de prédation seraient monnaie courante. Au-delà de ces messageries, les réseaux sociaux, grâce à l’anonymat, favoriseraient l’accès aux contenus pornographiques, aux situations d’escroquerie ou de harcèlement, posant la question du contrôle de ces sites.

Les prescriptions des influenceurs

Si Omegle, lancé en 2009, comptait déjà de nombreux utilisateurs avant le Covid, l’isolement social né des confinements successifs a fait exploser la fréquentation de la plateforme, passée de 1 million d’utilisateurs actifs quotidiens avant la pandémie à près de 5 millions aujourd’hui. Un succès qui s’explique aussi par les prescriptions des influenceurs, parfois suivis par des millions d’abonnés, qui proposent des rencontres via Omegle. Certains, après les révélations de Kool Mag, ont d’ailleurs annoncé qu’ils ne l’utiliseraient plus.

Comme sur les sites ouvertement pornographiques, Omegle demande aux utilisateurs de confirmer qu’ils ont plus de 18 ans, ou plus de 13 ans avec accord parental, mais sans vérification autre qu’une simple case à cocher. La possibilité d’échanger dans le monde entier, la curiosité, l’ennui ou la solitude sont autant d’éléments qui poussent à utiliser l’application, mais peuvent également conduire à des rencontres douteuses.

Omegle affirme que « la nudité, la pornographie et les comportements et contenus sexuellement explicites sont interdits » dans ses sections soumises à modération. Sauf que ce n’est pas le cas de sa section vidéo… En outre, la plateforme se dédouane : « Les utilisateurs sont seuls responsables de leur comportement lorsqu’ils utilisent Omegle », précise le site, qui indique aussi sur sa page d’accueil : « Merci de quitter Omegle et rejoindre un site pour adultes à la place, si c’est ce que vous recherchez et si vous êtes majeur. »

Des comportements renforcés par l’anonymat

« Il y a des comportements pédophiles, exhibitionnistes, des propos inadaptés d’adultes qui se sentent protégés par l’anonymat sur ce site », confirme Samuel Comblez, psychologue et directeur des opérations du 3018, le numéro national géré par l’association e-Enfance pour lutter contre le cyberharcèlement.

D’après lui, Omegle ne serait toutefois qu’un site parmi d’autres : « Il ne représente que quelques appels au 3018 chaque année. Le principal problème, c’est l’hameçonnage. Les messageries instantanées induisent des relations fragiles, car on peut passer à la webcam suivante en un clic. Mais les escrocs ou pédocriminels peuvent hameçonner jusqu’à d’autres réseaux, où ils pourront récupérer des informations, avant d’exercer harcèlement ou extorsion. »

Sur les 20 000 appels reçus chaque année par l’association, la majorité concerne le cyberharcèlement sur les réseaux sociaux, les tentatives d’escroquerie ou de sextorsion (extorsion d’argent ou de faveurs sexuelles à la suite d’un chantage à la webcam). L’association e-Enfance estime par ailleurs que les cyberviolences ont bondi de 57 % l’an dernier. Les adolescents en seraient les principales victimes, car moins informés et plus vulnérables.

« J’ai été rabaissée, mise en accusation »

Inès, actuellement au lycée, et âgée de 13 ans au moment des faits, raconte avoir vécu une expérience de ce type : « J’avais rencontré un homme d’une vingtaine d’années. Il m’a contactée par message privé sur Instagram, on a commencé­ à converser. Il me disait être fiancé, on se parlait souvent. Je me disais naïvement qu’il n’avait pas d’intentions malsaines, car il était en couple. Puis, il s’est montré de plus en plus vulgaire, dévalorisant. Je n’étais pas attachée à la relation, donc ça ne m’atteignait pas, mais l’ennui me poussait à continuer à lui parler. Je lui avais passé mon numéro, et l’accès à la plupart de mes réseaux. »

Un soir, Inès ne lui répond pas, car elle a école le lendemain et souhaite se coucher tôt. Au réveil, elle découvre qu’il l’a menacée, « pour se venger ». « Des photos, où je n’étais même pas dénudée, se sont retrouvées sur un site porno. J’ai contacté la police, mais personne ne m’a comprise et mes parents ne m’ont pas aidée. J’ai été rabaissée, mise en accusation… Heureusement, j’ai trouvé un certain soutien sur Twitter, même si certains rejetaient aussi la faute sur moi. Encore aujourd’hui, j’ai des sentiments d’insécurité liés à cette histoire. »

Au-delà de ces cyberviolences, le simple accès des mineurs à la pornographie ne cesse d’inquiéter. À 12 ans, un enfant sur trois a déjà été confronté à des images pornographiques. Pour Samuel Comblez, les sites pornographiques comme les réseaux sociaux restent trop peu sécurisés pour les jeunes : « Twitter, par exemple, en fait presque une marque de fabrique. Ils sont dans l’illégalité sur la pornographie, qui y est entièrement autorisée. » La création d’un compte Twitter est possible dès 13 ans. « Le porno ne va pas se chercher sur Omegle chez les jeunes. Le souci, c’est que l’ensemble de ces sites et réseaux ont des accès qui ne sont pas assez complexes », poursuit le psychologue.

La nécessité de réguler les réseaux sociaux

D’après Olivier Gérard, coordonnateur du pôle médias-usages numériques de l’Union nationale des associations familiales (Unaf), « 30 % des 15-17 ans déclarent consulter des contenus pornographiques sur les réseaux sociaux ». L’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open) alerte également sur l’exposition des enfants sur Twitter, qui en quelques clics peuvent se retrouver face à « des vidéos pornographiques, parfois zoophiles, et même (à) des viols ».

Pour le fondateur de l’Observatoire, Thomas Rohmer, l’ensemble de ces situations illustrent « le besoin de régulation des réseaux sociaux, et notamment la nécessité de faire vérifier la limite d’âge de 13 ans, au lieu de se contenter d’une simple déclaration ». Depuis le 30 juillet 2020, un article de la loi visant à « protéger les victimes de violences conjugales » contraint les sites à contenu pornographique à vérifier l’âge des visiteurs avant de leur donner accès au site.

Mais, en réalité, le problème persiste. L’application de cette disposition a fait l’objet de procédures judiciaires et le tribunal de Paris pourrait bientôt ordonner aux fournisseurs d’accès à Internet de bloquer l’accès en France à un certain nombre de sites porno, faute d’un contrôle d’âge performant.

Pour agir en amont contre ces violences, Samuel Comblez et son association ­e-Enfance interviennent également dans les écoles : « Il faut des sanctions quand il y a faute, mais aussi de la prévention. L’idée est d’expliquer aux enfants qu’il existe des sites risqués, où ils peuvent être victimes d’escroqueries et de harcèlement. »

Le psychologue s’adresse aussi aux parents : « Ils doivent saisir que le cadre numérique est un lieu de vie de l’enfant comme un autre, pouvant être source de danger. Il faut contrôler, sans excès. Mais comme on ne conduit pas une voiture avant 18 ans pour de bonnes raisons, il faut avoir conscience que les enfants ne sont pas prêts psychiquement à accéder à certains contenus. »

 


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