Macron et « l’inévitable » privatisation de l’École in Caf. Péda.

Pour Emmanuel Macron, l’évolution de l’Ecole est visiblement une priorité. Après sa visite marseillaise du 2 juin, il est revenu sur la question scolaire dans un entretien publié par la presse régionale le 3 juin. Présentée comme une « révolution culturelle » pour l’Ecole à l’aide d’une « réorganisation nationale », la réforme macronienne devrait être de plus grande ampleur que ce qui semblait. Avec la réélection d’E Macron, sauf surprise aux législatives, la France va entrer dans le mouvement qui emporte les pays occidentaux dans une privatisation accélérée des systèmes éducatifs.

Liberté, flexibilité

Liberté, flexibilité : E Macron a répété ces mots à propos de l’Ecole le 2 juin à Marseille. « Quand je dis on inverse la pyramide… c’est ça la révolution culturelle. Le mot a été prononcé au début de notre table ronde, c’est une révolution culturelle », répète-il le 2 juin. Il parle aussi de « réorganisation nationale ». Des propos qui auraient pu faire réagir son ministre. Mais tout le monde a pu constater le 2 juin que le vrai ministre habite l’Elysée…

Que sait-on de cette révolution culturelle ? E Macron veut « généraliser » l’expérimentation marseillaise. Il la définit ainsi. D’abord plus de liberté : « des enseignants qui soient plus libres… des chefs d’établissements qui sont plus libres de proposer, d’innover… La possibilité pour les directrices et directeurs d’établissement (sic) de s’assurer qu’on partage un projet qu’il porte et où il y a aussi plus de liberté qu’on va essayer de donner aux enseignants ».

Le nouveau pacte

Ce projet est lié au « nouveau pacte » pour les enseignants pour lequel il fixe l’échéance de la rentrée 2023. A coté d’une augmentation (non définie) pour tous les enseignants, E Macron parle d’une revalorisation en lien avec l’acceptation du nouveau pacte. Lui-même rapproche ce pacte de l’expérimentation marseillaise. A Marseille les 40 000€ attribués aux écoles de l’expérimentation comprennent une partie de rémunération des personnels sous forme d’heures supplémentaires pour suivre le projet et de décharges de direction. C’est lié à l’autonomie pédagogique de l’école et à la nouvelle convention qui la lie à l’expérimentation.

C’est clairement ce système qui constitue pour E Macron la « révolution culturelle » annoncée. Là où existe aujourd’hui une éducation nationale avec des règles nationales, le président souhaite multiplier les contrats liant chaque école à l’Etat et à son environnement local.

Cette évolution dépasse largement la question du « nouveau pacte ». Dans le cadre de ce « pacte », les nouveaux enseignants titulaires et les enseignants qui y rentreront accepteront la séparation entre le concours et l’obtention d’un poste. Comme pour les maitres titulaires du privé actuellement ils devront trouver un établissement ou une école et se soumettre à l’autorité du chef d’établissement.  C’est à ce propos qu’E Macron parle de « flexibilité », un principe présenté comme une vertu. A vrai dire ils devront s’y soumettre davantage que dans le privé. Car dans le privé, le chef d’établissement a déjà fort à faire avec la gestion de son établissement. Ils accepteront aussi la fin d’une rémunération identique. Chaque contrat local pourrait avoir ses servitudes et ses rémunérations même si des repères nationaux existent.

Contractualisation générale et fin de l’éducation prioritaire

Mais la réforme pourrait être de plus grande ampleur encore. Si l’on suit les propos d’E Macron, on passerait d’une gestion nationale des écoles et établissements à une gestion locale, chaque école ou établissement étant sous contrat. C’est la généralisation des contrats locaux (CLA) qui se prépare. C’est à dire la fin de l’éducation prioritaire.

On comprend que la formule de la « révolution culturelle » n’est pas usurpée. Pour un système éducatif national et centralisé comme le système français ce que propose E Macron est une vraie rupture.

L’inévitable privatisation

Mais ce n’est pas une surprise. Le programme d’Emmanuel Macron ne tombe pas du ciel. Dans l’espace français c’est celui que JM Blanquer a présenté dans « L’école de la vie » puis dans « L’école de demain ». Si on les situe dans le discours mondial sur l’Ecole on reconnaitra les principes du nouveau management public.

C’est ce qui m’amène à « l’inévitable » privatisation.  En 2020, la Revue internationale d’éducation de Sèvres a consacré un nuémro à la privatisation de l’éducation (n°82), coordonné par X Pons et T Chevallier. Pour les directeurs de ce numéro la privatisation de l’Ecole est déjà bien avancée dans les pays occidentaux. On peut citer les Etats-Unis,  la Suède, les Pays Bas, l’Angleterre (où le gouvernement actuel veut en finir avec ce qui reste d’écoles publiques), la Finlande, l’Australie, le Chili.

En France depuis 2017 le gouvernement a laissé l’Institut Montaigne et sa branche pédagogique Le choix de l’Ecole multiplier les initiatives avec le soutien du ministère. A travers elles c’est bien une autre vision de la carrière d’un enseignant qui s’est banalisée. Et maintenant le gouvernement a merveilleusement cassé les concours de recrutement et l’attractivité du métier enseignant, donnant un nouvel élan à la multiplication des contractuels.

Quels freins ?

La Revue de Sèvres soulignait deux freins à cette « inévitable  » privatisation. D’abord les mauvais résultats scolaires. Le nouveau système tente de  camoufler avec des batteries de tests. Mais ils sont bien là. Dans la mise en concurrence généralisée des écoles, les écarts se creusent. Partout l’application des nouvelles règles entrainent une crise du recrutement et la généralisation de l’auxiliariat. Et les perdants sont les élèves des milieux populaires. En Angleterre les écoles privées n’hésitent pas à fermer là où les écoles ne sont pas rentables, laissant à la rue les enfants des quartiers. En Suède, là ou le nouveau management est allé le plus loin, les résultats ont été si catastrophiques que même l’OCDE a recommandé un aménagement du système.

L’autre frein à cette « révolution culturelle » va bientôt être mesuré. Xavier Pons le citait dans la Revue de Sèvres. « Les Français sont pour le libre choix de l’Ecole… Mais une fois mis devant le choix ils se posent des questions ». Parce que la privatisation menace les communs, encourage la fragmentation de la société, colporte des valeurs qui s’opposent  aux valeurs collectives. Le « nouveau pacte » est une « révolution culturelle » dans la mesure où il attaque les bases de l’école publique. Ils peuvent encore s’opposer à ce projet de défendre leur école en juin 2022.

François Jarraud

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