PALESTINE Dominique Vidal analyse la controverse autour du projet de résolution parlementaire sur l’existence, dans ce pays, d’un système de discriminations entretenu par une série de lois et réglementations.
Mi-juillet, à l’initiative du député communiste Jean-Paul Lecoq, 38 députés de gauche ont cosigné une proposition de résolution « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien ». Depuis les accusations d’antisémitisme pleuvent pour ne pas avoir à répondre sur la notion d’apartheid et d’occupation.
Quelle est réellement la polémique en cours ?
Cette polémique n’est pas nouvelle, elle est réapparue à partir d’un projet de résolution de 38 députés de la Nupes, dont des communistes, pour soutenir les conclusions des rapports de trois ONG importantes, l’une israélienne, B’Tselem, en janvier 2021, et deux internationales : Human Rights Watch, en avril 2021, et Amnesty International en janvier 2022. Ces organisations concluent, après un travail approfondi d’enquête, à l’existence d’un régime israélien d’apartheid. En réaction à ce texte rendu public il y a quelques jours, on a eu une levée de boucliers de la part de défenseurs, les uns habituels, les autres plutôt surprenants, du système de domination israélien en Palestine.
Pourquoi ces derniers focalisent-ils la polémique autour de l’expression « groupe racial » utilisée dans le projet de résolution ?
L’invocation de cette expression « groupe racial » me semble surtout cacher le refus de considérer le régime israélien comme un régime d’apartheid – soit globalement, soit s’agissant de l’État d’Israël dans ses frontières d’avant la guerre de 1967. Cela dit, l’expression « groupe racial » ne me convient pas pour désigner les juifs en général et les Israéliens en particulier. Reste que cette formule n’est pas arrivée par hasard sous la plume des rédacteurs de ce projet de résolution : elle figure dans la convention internationale de l’ONU sur le crime d’apartheid (1973) comme dans le statut de Rome (1998) de la Cour pénale internationale.
N’est-il pas question de « peuple juif » dans les déclarations israéliennes ?
Oui, mais cette notion n’en est pas moins extrêmement discutable. Les juifs forment d’abord un groupe religieux. Mais beaucoup d’entre eux ne sont pas religieux : comment les définir ? Seuls les nazis voyaient en eux une race. Est-ce une question de culture ? Sans doute, mais tous n’ont pas la même, selon qu’ils sont ashkénazes (occidentaux) ou orientaux. Franchement, on entre là dans des débats de spécialistes et qui n’ont pas grand-chose à voir avec le sujet.
Pourquoi s’obstine-t-on à nier la réalité de ce qui se passe en Israël ?
Rares sont ceux qui nient l’existence d’un régime d’apartheid à Jérusalem-Est ou dans les territoires occupés : comment nier que, là, les colons juifs ont tous les droits et les Palestiniens aucun ? En fait, le cœur du débat porte sur l’existence ou non d’un tel régime en Israël même, celui d’avant 1967. Selon les ONG que j’ai citées, l’apartheid y tient à un ensemble de lois et de règlements qui instaurent des discriminations vis-à-vis des citoyens arabes. La principale, c’est la loi du 19 juillet 2018 qui a transformé l’État d’Israël, désigné jusque-là comme « État juif et démocratique », en « État-nation du peuple juif » et dont l’article 1er stipule : « Seul le peuple juif a droit à l’autodétermination nationale en Israël. » L’autre peuple constitutif de la population israélienne, le peuple arabe, en est privé. L’apartheid est ainsi gravé dans le marbre constitutionnel. Il y a par ailleurs des lois et des règlements dans toute une série de domaines qui instaurent des discriminations. L’exemple le plus frappant, c’est celui de la terre qui, légalement, en Israël appartient essentiellement aux juifs – seuls 3 % appartiennent à des citoyens arabes. Or, en 1947, au moment du plan de partage, les juifs ne possédaient que 7 % des terres. On voit donc bien que, du fait de la « loi des absents » et des lois qui ont suivi, un véritable apartheid foncier a prévalu, qui a des conséquences sur la vie quotidienne des Arabes israéliens : ils ne peuvent pas vivre là où ils le veulent, y acheter de la terre ou une maison.
Quels sont les arguments des personnes qui entretiennent ce déni et qui embrasent les réseaux sociaux ?
Parmi les gens qui ont réagi contre le projet de résolution, il y a des propagandistes inconditionnels d’Israël. Ceux-ci sont de mauvaise foi. Ils ont pour seul argument le chantage à l’antisémitisme. C’est obscène. Moi qui soutiens cette résolution, il se trouve que 14 noms de membres de ma famille assassinés à Auschwitz figurent sur le mur du Mémorial de la Shoah. De plus, on banalise ainsi la réalité du danger du racisme et de l’antisémitisme en particulier. Mais, parmi les opposants à la résolution, il y a aussi toute une série de Français ou d’Israéliens, qui ont du mal à admettre qu’Israël puisse être un État d’apartheid du même type que ce qui existait en Afrique du Sud. Il faut poursuivre le dialogue avec eux, défendre nos idées, mais avec patience, sans rejeter quiconque n’est pas d’accord avec nous. La cause palestinienne a besoin de toutes et tous.
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