Petit sujet : « LE TRAIN SNCF est-il trop cher ? ». Réponse : Oui… et non…
Par Laurent BRUN, cheminot, militant syndical CGT
D’abord des éléments factuels : un célèbre comparateur me donne les éléments suivants :
Pour 1 personne, sur un trajet Marseille-Strasbourg (c’est un commentaire d’usager mécontent qui me fait choisir ce trajet) Avec un départ le 13 août et un retour le 27 août :
– en bus 140 euros, 12h de trajet
– en avion aucun vol direct 474 euros avec une escale à Biarritz (sic !) 25 h à l’aller 16 h au retour, évidemment classe économique, sinon pour 12h de trajet il faut monter au delà de 560 euros… Je n’aborde même pas la question environnementale…
– en train (TGV) 193 euros 6h de trajet. Bon en réalité, quand on est redirigé sur SNCF Connect, le prix c’est 226 euros (1ère classe à l’Aller er 2e au retour). Mais ça montre que déjà le TGV est incroyablement plus intéressant en terme de temps de trajet, de confort, et même de tarif…
Donc si on se base sur la logique du marché, non le train n’est pas cher.
Beaucoup des gens qui critiquent la SNCF sont des fanatiques ou des fatalistes du marché. Donc ils ne devraient pas se plaindre. Ils ont le prix que leur système produit…
Au delà du comparatif factuel, il faudrait rajouter les coûts induits (pollution, occupation des sols, accidentologie…). Le train intègre déjà une grosse partie de ces coûts puisqu’il assume son infrastructure, sa police ferroviaire, etc… ce que ne font pas les autres modes. Et en plus c’est le moins polluant…
Mais la question reste pertinente. Si on ne se base pas sur le marché, mais sur le besoin des citoyens et de la collectivité, le train est il trop cher pour répondre efficacement ? Alors la, la réponse est oui. Beaucoup de gens sont écartés du train. Le motif n’est pas seulement financier (il y a beaucoup de citoyens qui n’ont pas accès à une gare correctement desservie dans une distance raisonnable). Mais la question du prix est aussi un sujet. Par exemple l’INSEE a publié une étude en 2008 (j’ai rien trouvé de plus récent) qui annonçait que pour 36,7% des 45,1% de français qui ne partent pas en vacance, le motif est économique, or le transport est le second poste de dépense pas très loin derrière l’hébergement, donc on peut imaginer qu’un transport collectif peu cher pourrait permettre à au moins 10 ou 15% de français de ne plus être privés de vacances. Ça ferait quand même une sacrée amélioration pour 6 à 10 millions de personnes. Et comme 70% de ceux qui partent le font avec leur véhicule personnel, on peut considérer qu’on a aussi une bonne marge de report à gagner en valeur de l’environnement…
Oui le train pourrait être moins cher encore pour atteindre ces objectifs. Cela suppose de remettre en cause les dernières réformes qui orientent la compagnie nationale sur le profit. Par ex, actuellement il vaut mieux des trains pleins aux places chères, que des trains en quantité suffisante…
Les réformes ont aussi considérablement désorganisé là production : il ne s’agit plus de produire de la manière la plus efficace, par exemple en mutualisent les moyens entre activités (FRET, TER, TGV…). On se prive des complémentarités qui créaient de l’optimisation maximale. Le système est organisé pour répondre aux marchés, donc on sépare bien toutes les activités, pour identifier les coûts et les marges sur chaque entité. Mais contrairement à la croyance populaire, cela ne crée pas d’efficacité au contraire puisque les processus de contrôle de gestion crée des interfaces très coûteuses (refacturations entre les différentes entités qui sont souvent interdépendantes, ou création d’autonomie très coûteuses car on va créer des strates de directions, des systèmes informatiques ou des infrastructures de formation spécifiques et amorties sur une activité plus restreinte, par exemple). Sans compter les processus juridiques et administratifs pour répondre aux appels d’offre (même quand il n’y a que la SNCF comme candidate !). Bref il faut dégager de plus en plus de chiffre d’affaire pour assumer ces surcoûts. Et pour ne pas réduire la marge on réduit les effectifs dans tous les services ce qui fait qu’on produit de plus en plus mal…
Si on se débarrasse de ce boulet de la concurrence, on peut dégager des moyens pour améliorer le service et réduire le prix. Sinon il faudra se résoudre comme en PACA ou en grand est, et comme dans le TGV, à l’augmentation des tarifs parce que c’est ce que produit le marché et la désorganisation publique.
Il faut d’ailleurs préciser que dans la concurrence, l’égalité est toute relative : Transdev bénéficie d’une réduction massive des péages sur ses 2 premières années d’exercices (cette année on peut considérer qu’elle échappe à 30 à 35% de ses coûts!) alors que la SNCF Voyageurs doit assumer un « dividende » qu’elle doit dégager et reverser à Réseau (avec la réforme de 2014 puis 2018, l’Etat reconnaît qu’il doit verser plus d’argent pour l’entretien du réseau donc il oblige SNCF voyageurs à verser 700 millions d’euros, et il considère que c’est une subvention publique puisqu’il renonce à ce « dividende » en l’attribuant à Réseau… sauf que ce dividende, il faut le prélever sur les activités de SNCF voyageurs donc sur les TER, RER, TET et TGV).
Bref la SNCF doit « faire du blé ».
C’est en tout cas la mission, la priorité et la trajectoire que lui a fixé l’État. Clément Beaune va t il confirmer ? Probablement. Peut être même amplifier si l’État décide qu’il faut investir plus dans le réseau (ce qui est effectivement nécessaire) mais qu’il ne veut pas mettre les moyens publics pour cela…
Si on reste dans la logique de marché, il vaut mieux des trains pleins car les places seront plus chères que des trains en nombre suffisants. C’est pour ça que la SNCF préfère envoyer des rames TGV commandées à Alstom en Espagne plutôt que de les utiliser sur le marché français alors qu’on manque de places aux pointes d’été (et que c’est probablement une situation qui va s’amplifier avec le renchérissement du pétrole)… et elle s’apprête à envoyer une seconde livraison en Italie… on nous parle de pénurie de matériel mais elle est organisée cette pénurie. A ma connaissance, l’utilisation du marché Alstom pour fournir des rames à une future filiale italienne plutôt qu’aux besoins du marché français a été validé TOUT RÉCEMMENT par le Ministère. Donc il faudra attendre 5 ou 6 ans au minimum avant d’avoir des rames supplémentaires en France. Sauf si le Ministère revient sur sa validation de l’aventure italienne !
Le train serait moins cher si l’on avait pas abandonné complètement les Intercités, y compris les trains de nuit. Pour reprendre mon exemple du Marseille Strasbourg, puisque l’avion met 12 h, n’y avait il pas un espace pour un train pas chère en vitesse classique qui ne soit pas un TGV passant par Paris et mettant un peu plus de 6 h ?
Et le train serait moins cher si l’État n’avait pas orienté le financement de la SNCF sur le tout TGV (60% des recettes commerciales de l’entreprise!) pour se désengager de certaines de ses responsabilités…
En dehors d’exemple précis, il est très difficile de dire combien coûte le train car il est difficile de faire des moyennes dans le fatras des tarifs.
Mais là encore, ce n’est pas le fait du hasard et ce n’est pas seulement la responsabilité de la SNCF, qui a de plus en plus sa logique propre, mais qui reste un outil des politiques publiques.
La mise en place du Yield management date de mai 1993… gouvernement Balladur, donc décision politique de la droite. Pour les TER, l’autonomie tarifaire des régions c’est la réforme SRU de 2000 (gouvernement Jospin) et surtout la réforme de 2014 (gouvernement Hollande) qui leur permet de faire n’importe quoi. Quand chaque Région fait ses tarifs, forcément, les conditions générales de vente à l’échelle nationales deviennent un tantinet étoffées. Bref.
Que choisir avait fait une étude en 2019 établissant une moyenne de 0,18euro/km pour les trajets inférieurs à 2h et 0,15 euro/km au delà. Ces tarifs différaient selon la ligne de 0,10 euro sur Toulouse-Narbonne à 0,25 euro sur Paris-Dunkerque. Mais ça donne une idée.
Sur cette référence, si l’État fixait une valeur de 0,10 euro/km, voire moins, on baisserait sensiblement le prix du TGV. Mais évidemment il faudrait construire un modèle qui ne se base pas sur les recettes TGV pour se financer : perte probable de 2 des 6 milliards de recettes générées, qui pourraient être compensées par le volume mais cela suppose d’avoir les rames et les lignes, et cela remet en cause la logique de marge maximale, de vache à lait pour tout le système ferroviaire…C’est un choix politique ! Celui du TGV service public pour la transition écolo, l’aménagement du territoire, le droit aux vacances pour tous, etc… celui des TET complémentaires de l’offre pour toutes les destinations, etc… c’est possible mais cela suppose de gros changements d’orientations. Des ruptures mêmes.
Le choix actuel du Gouvernement c’est au contraire la concurrence, qui comme tout le monde sait, règle tout les problèmes (ça ne se voit pas à l’écrit mais c’est de l’ironie !!!!).
Problème : dans la loi de l’offre et de la demande, le train est actuellement déjà très compétitif (comme vu plus haut) et il n’y a donc aucune raison que les prix baissent sur les segments en open accès (TGV). Au contraire, puisque les concurrents sont à la masse on peut augmenter les prix.
Et dans les segments conventionnés (TER, RER, TET) comme le processus concurrentiel désoptimise le système ferroviaire (comme vu également plus haut), il faudra accroître la subvention publique. Au km de train, la subvention offerte en PACA, en Grand Est et en Haut de France est plus importante dans les futures contrats que ce qui était attribué par la SNCF. Par contre l’argent public reste limité, donc très souvent l’ouverture à la concurrence est précédée par des réductions de dessertes dans les zones jugées non stratégiques. La concurrence c’est plus cher et ça conduit à abandonner une partie des usagers. Et en PACA et en Grand Est, ça débouche aussi sur des augmentations de prix pour les usagers (Ben oui, les promesses sur les baisses de prix après la suppression du statut des cheminots n’engageaient que ceux qui y ont cru…). Pour sauver la face, ces Régions crient à la mauvaise qualité du service et se mettent à refuser de payer la SNCF. Tant que c’est encore une entreprise publique, ça marche… Les outils publics se laissent piller par les autorités car ce sont des outils publics (comme EDF avec l’énergie vendue à leurs concurrents). Bref.
Pour le TGV, tous les usagers seront perdants, comme dans toutes les activités ferroviaires (TER, RER…).
Mais à l’intérieure des perdants il y en aura des moins maltraités, ceux qui sont sur les liaisons très rentables. Ceux là auront l’impression d’être gagnants, donc que le système concurrentiel fonctionne, mais ce sera très largement fictif, et surtout ça se fera au détriment du reste du territoire. La aussi, c’est un choix politique : soit on veut faire société ensemble, on veut constituer une Nation française basée sur un contrat social d’égalité et de solidarité, soit c’est chacun pour sa gueule… Même s’il a déjà bien avancé, le processus de déconstruction n’en est encore qu’au début donc il est réversible !
Mais on peut déjà mesurer les effets : par exemple sur l’ultra rentable ligne Paris-Lyon (pour les mêmes dates que le Marseille-Strasbourg, sur le même comparateur et infos prises dans la même matinée) :
– 96 euros en avion pour 1h07 (mais si on rajoute le transport au centre ville c’est au moins 2h de plus et c’est 26,70 euros pour la navette Rhône-express à Lyon et je n’ai pas cherché le prix du RER)
– 34 euros en bus mais il faut vouloir se taper 6h07 de trajet
– En train : 76 euros avec Trenitalia (en réalité 65 euros sur leur site) ; 74 euros avec SNCF Ouigo (en réalité 60 euros sur SNCF Connect) et 93 euros avec SNCF Inoui (en réalité 120 euros sur SNCF Connect). Le tarif dépend beaucoup plus de l’heure à laquelle vous partez que de la compagnie.
Ce n’est pas une analyse complète, ce n’est pas une moyenne, c’est un sondage à un instant T, mais il confirme que le train est très compétitif par rapport aux autres modes de transport et qu’à l’intérieur du mode ferroviaire la SNCF est loin d’être larguée.
Par contre, si on calcul le prix kilométrique, pour Marseille-Strasbourg 226 euros / (2x800km) = 0,14 euro du km
Pour Paris Lyon 60 ou 65 euros / (2x460km) = 0,65 euro ou 0,7 euro du km
Autrement dit un usager de Strasbourg paye le train 2 fois plus cher qu’un usager de Lyon. Et je ne parle que des métropoles, je n’aborde pas Aubagne-Schiltigheim ou Givors-Melun…
Plus la concurrence va s’installer, plus l’écart va se creuser, et personne n’y gagnera !
Le train va coûter de plus en plus cher, et encore plus lorsqu’il s’agira d’aller dans des zones moins rentables.
Pour ma part je défends le service public, son monopole pour réduire les coûts, et l’égalité territoriale la plus grande possible. Pour cela il va vite falloir sortir du tunnel libéral dans lequel nous sommes enfermés.
Laurent BRUN
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