Baisse des prix à la pompe : le coup de la panne

Carburant Alors que le cours du baril de brent est redescendu sous son niveau d’avant la guerre en Ukraine, les tarifs de l’essence et du gazole ont, eux, mis du temps à diminuer, malgré la ristourne de l’État. À qui profite la manne ?

Infographie Humanité

 

Les automobilistes comptent les jours. Ce jeudi, les prix à la pompe dégringolent de 12 centimes. C’est, en effet, le 1er septembre que la ristourne gouvernementale passe de 18 centimes à 30 centimes, selon un décret publié mardi dernier. Un répit temporaire, sans doute insuffisant, pour les automobilistes, en espérant que, d’ici la fin de l’année, l’envolée des prix de l’or noir s’estompe. Les économistes interrogés se gardent bien de prévoir la suite des événements.

Certes, «  la hausse de l’offre de pétrole, liée à l’augmentation de la production de l’Opep (Riyad en tête), et la hausse des exportations étatsuniennes qui puisent dans leurs stocks ont pour effet de relâcher la tension sur les prix », analyse Valérie Mignon, conseillère scientifique au Centre français d’étude et de recherche en économie internationale (Cepii). Idem côté demande, puisque «  les inquiétudes sur le ralentissement de la croissance mondiale et, tout particulièrement, de la Chine, deuxième pays le plus consommateur de pétrole au monde », tirent les prix vers le bas. Mais, pour combien de temps ? La décision d’imposer, d’ici la fin de l’année, un embargo sur plus de 90 % du pétrole russe importé en Europe pourrait de nouveau tendre le marché.

L’inquiétude des rouleurs du quotidien est d’autant plus forte que, cet été, malgré la chute des cours du brent (l’indice du pétrole), les prix des carburants ont baissé moins rapidement que ceux du pétrole. La semaine dernière, les prix du gazole ont même stoppé net leur décrue pour poursuivre leur ascension (voir infographie). Ainsi, en l’espace de six mois, soit juste avant le début de la guerre, le prix d’un litre de sans-plomb 95 s’est stabilisé à la pompe autour de 1,80 euro le litre. Sauf que, décompté de l’aide gouvernementale, ce même tarif a, en réalité, progressé de 18 centimes et reste encore nettement supérieur à son niveau d’avant le début de la guerre. Pour le gazole, l’atteinte au porte-monnaie est encore plus importante puisque, ristourne étatique comprise, le gazole a atteint, le 25 août, 1,95 euro contre 1,71 euro six mois auparavant. S’il existait un lien direct entre le prix du pétrole brut et celui des carburants, l’essence ou le gazole devrait à nouveau coûter le même prix qu’en février de cette année.

Même à son pic le plus élevé, le cours du brent n’a pas battu ni approché les 147,50 dollars, son record de 2008. Or, à l’époque, le diesel à la pompe se payait moins de 1,50 euro et l’essence SP95 un peu plus de 1,60 euro… Pour comprendre pourquoi les pétroliers explosent les bénéfices et les automobilistes trinquent, il est nécessaire de décomposer le prix du litre de diesel ou d’essence à la pompe.

Distributeurs : rechigner à vendre moins cher

« La hausse des prix à la pompe est presque automatique. Dans l’autre sens, la transmission de la baisse des cours du baril est moins sensible », fait remarquer Valérie Mignon. À cela deux explications principales : « La première vient des distributeurs. En cas de hausse – du fait de la faiblesse de leurs marges – ces derniers ne peuvent pas maintenir durablement leurs prix inchangés puisqu’ils subiraient alors des pertes trop importantes », explique cette spécialiste de la filière. Alors qu’à l’inverse « les distributeurs peuvent avoir un comportement stratégique en différant la répercussion de la baisse du prix du brut sur les prix à la pompe en jouant sur le manque d’information de la part des consommateurs ». Ainsi, selon une étude de la Banque de France, il faudrait environ trois semaines pour qu’une variation à la baisse des prix de gros se répercute à la pompe.

L’autre explication est «  liée aux coûts d’ajustement des stocks ». Ainsi, «  lorsque le prix du baril diminue, la demande de carburants augmente, ce qui a pour conséquence de diminuer les stocks lors de la période d’ajustement de la production. Le déstockage étant coûteux, la baisse observée des prix à la pompe n’est que partielle en comparaison à celle du prix du baril, car les prix à la pompe doivent prendre en compte le coût du déstockage ».

La chute de l’euro fait monter les cours

Un autre facteur permet d’expliquer cette différence de courbe. Sur le marché du pétrole brut, les échanges se font en dollars et non en euros. Or, « la dépréciation de l’euro face au dollar (16 % en un an – NDLR) a pour conséquence que la baisse des prix du carburant affichés en euros est moins forte que celle observée du prix du baril affiché en dollars », note Jamal Bouoiyour, économiste à l’université de Pau, spécialiste des questions énergétiques. En 2008, par exemple, 1 euro s’échangeait contre 1,60 dollar. Aujourd’hui, un euro égale un dollar. Cette dépréciation reflète en partie la forte appréciation du dollar, car l’euro se maintient mieux avec la plupart des autres devises. Mais cette nouvelle différence de change ajoute pour l’automobiliste de l’inflation à l’inflation.

Les marges des raffineries explosent

Un autre déterminant du prix est majeur. À savoir le coût lié à l’activité de transformation du pétrole brut en essence, gazole, appelé le coût du raffinage. « La guerre en Ukraine et les sanctions envers la Russie ont provoqué une explosion de ces marges », explique Valérie Mignon. Pourquoi ? Selon le Cepii, 25 % de nos importations de gazole proviennent de Russie. « Les sanctions à l’égard de la Russie ont conduit à une baisse drastique des importations en provenance de ce pays. Cette perte de la capacité de raffinage russe n’a pas été compensée par d’autres capacités ailleurs, le secteur étant déjà en situation de pénurie bien avant le déclenchement du conflit. Cela s’explique par un manque d’investissement des compagnies pétrolières dans leurs capacités d e raffinage et par des tensions entretenues par ces mêmes compagnies sur le marché du raffinage. » Entre 2010 et 2020, par exemple, le nombre de sites de raffinage a diminué de 13 % dans le monde. « En France, il ne reste que six raffineries – trois exploitées par Total, deux par Esso et une par Petroineos », liste, de son côté, Jamal Bouoiyour. « Ce manque de capacités a alimenté la hausse des prix des carburants, conduisant à une explosion des marges. De 30 euros la tonne en janvier, celle-ci est passée à… 140 euros », poursuit l’économiste.

Ainsi, ce deuxième trimestre, les profits des cinq majors du pétrole ont atteint 62,4 milliards de dollars – soit l’équivalent du PIB de la Bulgarie –, dont 5,7 milliards de dollars pour le seul TotalEnergies. Le géant français a vu son résultat multiplié par 2,6. Selon les professionnels, la rentabilité des raffineries s’obtient lorsque la marge réalisée est de 30 euros par tonne de pétrole. À partir de 2015, avec 52 euros par tonne, les marges ont commencé à augmenter jusqu’en 2019. Comment ? « En réduisant leur capacité de raffinage », explique Jamal Bouoiyour. « Ce qui a eu comme résultat de tendre le marché et donc d’augmenter les marges. »

Une TVA qui pèse encore plus lourdement

Parce qu’elle pèse 60 % du prix, la fiscalité est le premier facteur d’augmentation des prix à la pompe. Certaines des taxes «  sont indépendantes des fluctuations du cours du baril », poursuit l’économiste du Cepii, comme la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (Ticpe) gelée depuis 2018. En revanche, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) évolue en même temps que la hausse des cours. Ainsi, sur un litre d’essence à 2 euros le litre, la TVA atteint environ 20 centimes le litre, alors qu’avec un litre à 1,50 euro, les recettes de TVA pour l’État s’élèvent seulement à 15 centimes le litre. Ce prélèvement est d’autant plus élevé qu’il s’applique sur la somme globale (en prenant en compte la Ticpe). «  C’est pour ainsi dire une taxe sur la taxe », résume Jamal Bouoiyour. Depuis le début de l’année, cette hausse a généré environ 2 milliards de recettes supplémentaires pour l’État. Un surplus qui sert à payer les baisses à la pompe de 18 puis 30 centimes sur le litre de carburant.


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