L’attaque du stand du PCF, le 1 er Mai, à Paris, rappelle la menace que font planer ces groupes autonomes sur la sûreté des manifestants depuis 2016. Les syndicats n’ont pas trouvé la parade.
Comme un mauvais présage. Il est 14 heures, ce lundi 1 er Mai, quand la pluie se met à fortement frapper Paris. Non loin du métro Saint-Ambroise, sur le trajet principal de la manifestation parisienne, les militants communistes – et ceux venus distribuer l’Humanité dans le cortège – se réfugient sous les tentes rouges du point de rencontre du PCF. Puis, à l’approche du carré de tête, c’est l’apocalypse.
Des affrontements opposant 200 à 300 Black blocs à la police
Les militants du côté pair du boulevard Voltaire se retrouvent au milieu des affrontements opposant 200 à 300 Black blocs, surarmés et à l’allure de paramilitaires, à la police. Les bris de verre et les détonations des engins explosifs rajoutent du chaos à l’orage qui s’abat. Alors que la police fait usage de gaz lacrymogène, l’air devient irrespirable : les militants réussissent à s’abriter dans le hall d’un immeuble, avec des parlementaires.
Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, est exfiltré. À l’opposé de la rue, ceux venus prêter main-forte au stand de la fédération de Paris et du Conseil national du PCF ont eu moins de chance. « Au cri de “Fabien Roussel n’est pas un camarade !”, des black blocs les ont attaqués à coups de tirs de mortier et de bombes agricoles avec des bouts de fer et de verre dedans », rapporte Lydie Benoit. Et la responsable de l’accueil sécurité (AS) du PCF d’ajouter : « Ils avaient l’intention de blesser grièvement des communistes, avec des menaces comme : “On va vous crever, on va vous pendre !” »
Au total, trois militants de l’AS sont blessés. Ian Brossat, le porte-parole du PCF, est brûlé à la main. Dans le champ syndical, l’indignation est de mise (NDLR de MAC: moins dans le champ politique , y compris à gauche), alors que ce 1 er Mai devait représenter un temps fort de la contestation sociale contre la réforme des retraites, avec des délégations venues du monde entier. Le lendemain, dans un communiqué, la CGT Île-de-France dénonce « un acte inqualifiable » rappelant « les périodes les plus sombres de notre histoire ».
Cette attaque du 1 er Mai illustre la menace que fait planer la présence des black blocs sur la sûreté des manifestations syndicales. À Paris comme ailleurs, les centrales sont les organisatrices de ces cortèges. Les responsables des partis politiques, en soutien à la mobilisation, sont le plus souvent placés sur le côté des boulevards, afin d’échanger avec les manifestants. Ce 1 er Mai, les stands du PCF étaient pourtant sous la surveillance d’une quarantaine de membres de l’AS.
Originaire d’Allemagne de l’Ouest au début des années 1980
Mais qu’est-ce, au juste, que le black bloc ? « L’expression désigne une forme d’action collective, une tactique très typée qui consiste, lors d’une manifestation, à manœuvrer en un groupe au milieu duquel chacun préserve son anonymat », mesure Francis Dupuis-Déri, chercheur en science politique.
Originaire d’Allemagne de l’Ouest au début des années 1980, cette technique du Schwarzer Block s’est diffusée dans les autres pays occidentaux à la fin du XX e siècle, « principalement à travers le réseau de la contre-culture punk et d’extrême ou d’ultragauche », précise le chercheur spécialiste de l’anarchisme.
Jusqu’à apparaître aux yeux du grand public, en novembre 1999, en marge d’une conférence ministérielle de l’OMC à Seattle. Puis, en juillet 2001, à Gênes, dans les manifestations contre le sommet du G8 au cours desquelles la répression mise en œuvre par le président du Conseil italien de l’époque, Silvio Berlusconi, a fait un mort et 600 blessés parmi les manifestants altermondialistes.
Il s’agit bien d’une « forme d’action collective »
Le black block, aux idéologies variées, s’attaque avant tout aux symboles du capitalisme (banque, assurance, publicité…) et à la police. Pour autant, selon Camille Svilarich, le black bloc n’est pas à confondre « avec la délinquance urbaine » et « la figure des “casseurs” ». Pour l’autrice de Black bloc. Histoire d’une tactique (éditions Excès, 2022), il s’agit bien d’une « forme d’action collective » éparse, coordonnée par la formation d’un groupe dont les slogans sont hautement politiques.
En France, le phénomène survient en 2009. Lors d’une réunion de l’Otan à Strasbourg, 2 000 black blocs mettent à sac des commerces et postes frontières. La technique réapparaît par la suite en 2014, lors de manifestations contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).
Avant de se greffer aux cortèges syndicaux à l’occasion de la loi sur le travail. Le 9 mars 2016, 1,2 million de personnes protestent dans la rue. À Paris, jusqu’à 200 radicaux affrontent la police. « Jadis disséminés au sein des manifestations ou relégués en queue de cortège, les radicaux qui s’opposent aux forces de l’ordre s’organisent », note Thierry Vincent, l’auteur de Dans la tête des black blocs (éditions de l’Observatoire, 2022). Il ajoute : « Les syndicats sont vite dépassés, les affrontements se multiplient. » Les techniques de combat se perfectionnent. Vêtu de noir, le bloc se forme en un instant, avant de se dissimiler derrière un mur de parapluies.
Le 12 mai 2016, lors d’une manifestation nationale à Paris, le service d’ordre de la CGT intervient afin d’empêcher les dégradations de rue qui, selon la centrale, desservent la lutte sociale. « Canardé par les pots en terre, le service d’ordre se réfugie derrière un cordon de CRS, offrant aux black blocs, par cette image symbolique, l’illustration visuelle de ce qu’ils dénonçaient quelques minutes auparavant : “CGT collabo !” » rapporte Thierry Vincent.
Depuis, le service d’ordre ne sécurise plus que le cortège syndical
Cet événement marque un tournant. Autrefois garante de la sûreté sur l’ensemble du trajet, l’Animation des luttes-Sécurité (ALS-CGT, le service d’ordre) ne sécurisera plus que le cortège syndical. Une victoire pour les ultras.
Depuis, la centrale de Montreuil est régulièrement prise pour cible. Notamment lors de la Journée internationale des travailleurs. En 2019, Philippe Martinez est exfiltré du carré de tête syndical à cause des heurts. En 2021, lors de l’arrivée du cortège place de la Nation, la CGT dénombre 21 blessés dont 4 graves.
Le mot « collabo » est tagué sur une camionnette et le pare-brise d’un camion est fracassé . « Le black bloc n’est pas d’accord avec les manières dont les syndicats de travailleurs mènent leurs luttes, mesure Lydie Benoit (PCF). Pour eux, la manifestation pacifique est inconcevable, alors ils sont violents contre les organisations du mouvement social. »
Contactés au sujet de leur stratégie de sécurisation des cortèges, les responsables du service d’ordre de Solidaires et de l’ALS de la CGT pour Paris n’ont pas donné suite. Le sujet est sensible pour les syndicats. Doivent-ils laisser un espace avec le cortège de tête, ménageant ainsi un périmètre d’intervention potentiel pour les forces de sécurité ? Ou coller le cortège syndical aux black blocs, quitte à subir la réaction des forces de police contre des actes de violence qu’ils n’ont pas suscités et dénoncent ?
À Nantes, Fabrice David assume « un dialogue informel avec le mouvement autonome, que nous côtoyons dans des réseaux ou des luttes », en préparation des défilés. « Notre rôle n’est pas d’empêcher les violences, mais bien de protéger le cortège syndical », explique le secrétaire de la CGT de Loire-Atlantique. Lors des manifestations nantaises, l’ALS forme un cordon en amont du cortège syndical. Et garde un œil sur les agissements de la police, ainsi que sur le cortège de tête « dans lequel beaucoup de jeunes manifestent pacifiquement, mais pour lesquels les syndicats ne sont pas assez déterminés ».
Des actions conjointes entre syndicats et autonomes
Une stratégie globale qui peut s’avérer payante, pour contenir des « autonomes » désireux de « radicalité ». En 2016, contre la loi sur le travail, syndicats et autonomes ont ainsi mené des actions conjointes, en conclusion des manifestations. Ils ont notamment muré la permanence du député, alors écologiste, François de Rugy, et construit une Maison du peuple en bois devant la préfecture de Nantes.
Pour autant, le 1 er mai 2022, la CGT a été prise pour cible. « Une des difficultés du dialogue est le renouvellement du côté des autonomes : c’est un travail de discussion perpétuelle, reconnaît Fabrice David. De plus, certains considèrent que nous sommes mous et que la seule manière de l’emporter est de “tout péter”. Avec eux, la discussion est impossible. »
Invisible durant les deux premiers mois de la mobilisation contre la réforme des retraites, le black bloc est réapparu au grand jour après l’usage de l’article 49.3, synonyme de passage en force de la réforme par le gouvernement. Mais surtout, à la faveur d’un changement de stratégie policière mettant à nouveau l’accent sur la répression violente des manifestants, après plusieurs journées d’actions pacifiques marquées par l’absence d’incidents dans les cortèges.
« De toute évidence, cette violence (des black blocs) est utile au gouvernement, car elle lui permet d’entrer dans une escalade répressive, insiste Lydie Benoit. Les pratiques des black blocs font d’eux des alliés objectifs du pouvoir. » La responsable communiste ajoute : « Ainsi, les gens, surtout les familles, ont peur de venir en manifestation. Cette violence ne permet pas l’élargissement du mouvement. Les gilets jaunes ont débuté à 300 000, puis ont terminé à 2 000. »
En savoir plus sur Moissac Au Coeur
Subscribe to get the latest posts sent to your email.