À Perpignan, l’accoutumance au RN

Chaque semaine, l’Humanité dresse le bilan d’une commune à mi-mandat. Élu en 2020 dans la cité catalane, Louis Aliot joue la carte de la propreté et de la sécurité pour satisfaire ses administrés. Sans rien sacrifier aux obsessions d’extrême droite.

 « “Sales Gitans”, “sales Arabes”, les jeunes qui traînent un peu dehors ont tous entendu ça depuis deux, trois ans », raconte Diego, habitant de la cité Bellus, au nord de Perpignan. Ici l'ilot Puig, devenu un triste terre-plein faisant usage de parking. © Jean-Christophe Milhet

« “Sales Gitans”, “sales Arabes”, les jeunes qui traînent un peu dehors ont tous entendu ça depuis deux, trois ans », raconte Diego, habitant de la cité Bellus, au nord de Perpignan. Ici l’ilot Puig, devenu un triste terre-plein faisant usage de parking. © Jean-Christophe Milhet

Perpignan (Pyrénées-Orientales), envoyé spécial.

Police partout. En quelques hectomètres parcourus au centre-ville de la cité catalane, le constat est saisissant : les devantures « police municipale » sont plus visibles, si ce n’est plus nombreuses, que celles estampillées « boulangerie ».

Depuis son élection comme maire de Perpignan, le 28 juin 2020, Louis Aliot, qui a aussi recruté une quarantaine d’agents et les a armés de Flash-Ball, en a inauguré une dizaine. « C’est de l’affichage, ils sont ouverts une heure par jour, le but est juste de dire “je vous ai promis de la sécurité, voilà de la sécurité” », se désole Clément, 29 ans.

Dans les ruelles colorées du centre historique, Louis Aliot n’est pas « un facho qui fait son notable respectable », il est respecté

Ce jeune informaticien est très critique envers son maire, qu’il voit comme « un facho qui fait son notable respectable ». Mais, dans les ruelles colorées du centre historique, son avis est loin d’être partagé : Louis Aliot est respecté. « Il rend la ville plus rassurante, plus fleurie, plus propre », estime Véronique, 55 ans. « Franchement, je n’étais pas une grande fan mais je ne vois pas ce qu’on peut lui reprocher », renchérit Léonie, en plein marché sur la place Rigaud.

C’est que l’élu RN est habile. Il faut gratter le vernis de la notabilisation pour constater que Louis Aliot installe à Perpignan une politique d’extrême droite pas à pas, à bas bruit. La police municipale en est un bon exemple. Pour Léonie, son omniprésence permet « des réponses plus rapides ». Mais derrière le sourire des agents qui circulent dans le centre, les policiers montrent ailleurs un autre visage.

« “Sales Gitans”, “sales Arabes”, les jeunes qui traînent un peu dehors ont tous entendu ça depuis deux, trois ans » Diego, habitant de la cité Bellus, au nord de Perpignan

« Louis Aliot organise la chasse aux pauvres et aux SDF avec une brutalité extrême », alerte Françoise Attiba, coprésidente de la Ligue des droits de l’homme des Pyrénées-Orientales. Vidéos à l’appui, le site Blast a fait état en mai dernier de plusieurs faits de violences, coups, gazages et menaces de la police municipale dans les quartiers populaires. Sans condamnation de la mairie. « “Sales Gitans”, “sales Arabes”, les jeunes qui traînent un peu dehors ont tous entendu ça depuis deux, trois ans », nous raconte aussi Diego, habitant de la cité Bellus, au nord de Perpignan.

Les budgets alloués à la police ont des répercussions…. comme la privatisation des crèches municipales

Les budgets alloués à la police ont également des répercussions sur d’autres champs du domaine public. Comme la privatisation des crèches municipales. Celle du Moulin-à-Vent, la plus grande de la ville avec 90 enfants et 37 fonctionnaires, est prévue pour septembre.

« La mairie RN met le paquet sur la sécurité et la communication et cherche à dégager des moyens sur tout le reste ; il rêve d’en finir avec le service public », estime Bénédicte Vincent, cosecrétaire de SUD CT66.

La syndicaliste relate le « mépris des agents » de la part de la municipalité, avec la « disparition du dialogue social » et des mesures a priori illégales, comme la fin des congés autorisés pour les fêtes religieuses hors jours fériés…

La politique d’extrême droite de Louis Aliot se matérialise aussi à certains points de la cité catalane. Comme cette place du square Bir-Hakeim, officiellement nommée « esplanade Pierre-Sergent » depuis septembre 2022. Un hommage à l’ancien chef de l’OAS – également député Front national entre 1986 et 1988 – qui s’inscrit dans la dédiabolisation du groupe terroriste d’extrême droite.

Autre lieu emblématique de l’idéologie qui règne sur Perpignan depuis 2020 : cette maisonnette beige du boulevard Jean-Bourrat, flanquée d’une cigale en plâtre. Son intérieur est vide mais les vitres et le sol sont flambant neufs. Louis Aliot se dépêche d’y faire ces travaux.

L’hôtel la Cigale y a fermé ses portes en 2019. Le département l’a préempté afin d’en faire un centre d’accueil pour mineurs isolés. Mais la mairie fait aussi valoir son droit de préemption, et l’édile anti-immigration y a une tout autre ambition. Depuis novembre 2020, alors que la justice n’a pas tranché le litige, c’est une bannière « poste de police » qui trône sur la maison…

Derrière l’ancien hôtel, une rue pentue plonge vers Saint-Jacques. Pendant sa campagne, Louis Aliot se montrait régulièrement dans ce quartier gitan unique en Europe, dont l’histoire a commencé au XIII e siècle. Le candidat y a obtenu plus de 50 % des voix, son discours islamophobe trouvant une oreille chez une partie des habitants du quartier, en promettant de plus de mettre fin à son délabrement. Mais depuis, « c’est même pire », raconte Antonio, en secouant son débardeur pour se rafraîchir.

« Il y a une volonté de laisser le quartier s’effondrer, pour virer les pauvres du centre-ville »

Les stigmates de ce patrimoine abandonné des pouvoirs publics sont de plus en plus visibles. Rue Saint-François-de-Paule, du linge sèche aux fenêtres d’une jolie bâtisse orangée de trois étages, typique du quartier. Derrière, la beauté de la maison s’effondre : de grandes poutres en métal soutiennent l’immeuble pour éviter l’écroulement.

Quelques dizaines de bâtiments du quartier subissent les mêmes soins palliatifs, parfois depuis des années, sans que rien d’autre ne soit fait. D’autres, plus de 80 depuis 2015, sont tombés ou ont été détruits. Comme l’îlot Puig devenu un triste terre-plein faisant usage de parking. « Louis Aliot avait promis de nous consulter et hop, du jour au lendemain, les défonceuses ont débarqué… Plus rien », se souvient Michel, un historique du quartier, qui a vécu l’épisode comme un traumatisme.

« Il y a une volonté de laisser le quartier s’effondrer, pour virer les pauvres du centre-ville », s’agace Françoise Attiba. Le géographe David Giband explique que ces parcelles sont ensuite récupérées par des promoteurs privés « dans un objectif lointain de changer la nature sociale de ce quartier ». Une gentrification lente qui s’accélère depuis 2020. « Louis Aliot cherche aussi à casser toute la solidarité présente, en coupant les subventions d’associations qui créent du lien social », ajoutent Françoise Fiter et Rémi Lacapère, conseillers départementaux PCF.

Le quartier Saint-Jacques a la particularité d’être au cœur de la ville. Seul un boulevard le sépare du centre historique. « Mais c’est une barrière sociale et psychologique puissante, constate Francis Daspe, candidat France insoumise aux législatives de 2022. On parle de Perpignan comme d’un archipel. Le problème, c’est qu’on n’a jamais construit de ponts entre les îlots. »

En à peine quelques mètres, l’ambiance change totalement en arrivant dans l’hypercentre. Place de la République, des drapeaux catalans flottent devant une boutique de souvenirs. Pourtant, la ville, sur décision de Louis Aliot, n’est plus officiellement « Perpignan la Catalane » mais « Perpignan la rayonnante ».

Il n’est par ailleurs pas rare de croiser des élus d’extrême droite dans les processions religieuses de Perpignan

Le logo de la municipalité aussi a changé. Le bleu-blanc-rouge s’y est trouvé une place tandis que saint Jean-Baptiste a fait son apparition. Il n’est par ailleurs pas rare de croiser des élus d’extrême droite dans les processions religieuses de Perpignan. Comme celle, organisée en mars dernier à l’initiative de Georges Puig, conseiller municipal RN, en l’honneur de saint Gaudérique, pour « faire tomber la pluie »…

Au pied du Castillet, forteresse symbole de la ville, le nouveau logo a été apposé sur la scène installée pour les feux de la Saint-Jean, le 23 juin. « Une belle fête, sourit Véronique. Grâce à Louis Aliot, nous avons beaucoup d’animations joyeuses comme ça. Ça donne de la gaîté à la ville, ça fait du bien. » « La mairie met beaucoup d’argent sur ce genre de festivités qui plaisent, mais par contre il n’y a plus de politique culturelle à proprement parler », répond Clément.

Celui-ci montre en pestant le programme des feux de la Saint-Jean : « “Cérémonie du partage du pain, allumage de la vasque par l’évêque et le maire, messe à la cathédrale”, c’est ça que la mairie finance maintenant. » Cela ne choque pas Véronique : « C’est ridicule, il y a toujours des gens pour chercher la petite bête. »

Une bête qui monte, se notabilise et étend sa toile. Dans le sillage de Louis Aliot, le RN a fait carton plein aux législatives avec quatre députés sur quatre dans les Pyrénées-Orientales. « Une forme d’accoutumance s’installe, observe Francis Daspe. Les gens se disent que finalement le RN ce n’est pas si mal, que ce n’est pas dangereux. »

« Aliot hérite du maire précédent, Jean-Marc Pujol, qui lui a pavé la voie sur plein de domaines, ajoute Françoise Fiter. Passer après lui est un cadeau et il en profite, tout en mettant à son service une grosse machine de communication qui sera difficile à contrer dans trois ans. » La communiste espère une union de la gauche face à Louis Aliot en 2026. Mais des bisbilles locales pourraient y faire obstacle.

 


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