Mort de Nahel : « La culture policière de la force s’appuie sur la frustration »

Pour le sociologue Jacques de Maillard, la constante dégradation de la relation police-population est due à l’absence d’évolution des politiques de « maintien de l’ordre » depuis les années 2000.

À Nanterre, le 29 juin, pendant la marche blanche pour Nahel, le dispositif policier déployé est important © Reuters

À Nanterre, le 29 juin, pendant la marche blanche pour Nahel, le dispositif policier déployé est important © Reuters
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Les affrontements entre la police et certains habitants des quartiers populaires, indignés par le meurtre de Nahel, ne sont pas sans rappeler les violents événements qui avaient suivi la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, en 2005. Jacques de Maillard, professeur de science politique et directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, analyse l’évolution des pratiques de maintien de l’ordre et leurs répercussions sur les relations entre population et police. Il vient de codiriger, avec Wesley Skogan, l’ouvrage  Police et société en France (Presses de Sciences-Po, 2023).

Les relations entre les habitants des quartiers populaires et la police ont-elles changé depuis 2005 ?

Depuis cette époque-là, la dégradation des relations au quotidien, faites d’hostilité réciproque, de malentendus et de cercles vicieux, est restée particulièrement prégnante. Les politiques policières n’ont pas connu de changements majeurs.

On aurait pu penser que les « émeutes » de 2005 allaient favoriser un modèle de police plus accessible, avec une présence rassurante. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé, dans la majorité des cas. Il y a bien eu quelques micromesures, mais le dialogue et l’apaisement n’ont pas été les orientations majeures.

On a poursuivi un modèle de maintien de l’ordre fondé sur l’intervention, la projection et l’interpellation. Un modèle qui ne prend donc pas assez en compte la perception que peuvent en avoir les citoyens, et notamment les plus jeunes.

L’augmentation du nombre de tirs policiers sur des véhicules en mouvement a-t-elle un impact sur le rapport entre population et forces de sécurité ?

C’est un des éléments importants de la dégradation des relations police-population qui ne s’applique, en outre, pas seulement aux quartiers prioritaires.

Depuis une vingtaine d’années, on observe, d’un côté, une augmentation des refus d’obtempérer, qui peuvent s’expliquer par la mise en place du permis à points et par l’augmentation des contrôles due à la politique de lutte contre les stupéfiants ; de l’autre, on constate une augmentation des tirs policiers sur les véhicules en mouvement, et notamment des tirs mortels.

Le nombre de décès dus à des interventions policières a sensiblement augmenté. On est passé de quelques-uns à la fin des années 2000 à près d’une dizaine par an à partir du milieu des années 2010. Treize en 2022.

Plusieurs associations et partis de gauche pointent l’impact de la réforme de 2017 du Code de la sécurité intérieure…

Avec cette réforme, le cadre légal des policiers a été aligné sur celui des gendarmes. Avant, l’utilisation des armes à feu était uniquement réservée à la légitime défense.

Maintenant, le Code permet de tirer sur un véhicule en fuite s’il représente un danger pour le policier ou pour autrui. Cet assouplissement de la réglementation a été suivi par une augmentation des tirs sur des véhicules en mouvement, et a fortiori des tirs mortels lors de ces circonstances.

La progression de l’idéologie d’extrême droite dans la société et au sein de la police joue-t-elle un rôle ?

Oui, mais, au-delà du rapport à l’extrême droite, il faut s’intéresser à la culture professionnelle des pratiques policières, du point de vue des agents eux-mêmes. C’est une culture qui insiste beaucoup sur un éthos du policier reposant sur l’utilisation de la force et qui vient s’adosser à une forme de frustration dans l’exercice des missions. C’est un élément extrêmement prégnant.

Parallèlement, sont apparues dans le débat public, ces dernières années, des questions de déontologie, notamment autour de l’excès de contrôles d’identité, qui ne se sont pas traduits par une réforme des politiques de formation ou de nouvelles orientations qui traitent de front l’enjeu des relations police-population.

Les syndicats de policiers, très droitisés, ont-ils une part de responsabilité dans ce manque d’évolution des pratiques de maintien de l’ordre ?

Ils ont un impact indéniable. Même s’ils ne défendent pas exactement les mêmes intérêts, le ministère de l’Intérieur et les syndicats de policiers sont de fait dans une forme de cogestion. La tonalité dominante de leurs échanges relègue au second plan la question de savoir ce que veut dire être policier dans une société différenciée et inégalitaire comme la nôtre.

Même si l’on peut noter un discours plus ouvert de certains responsables syndicaux, la forte mobilisation des syndicats sur des questions sensibles de déontologie, comme celle des contrôles d’identité, limite la marge de manœuvre d’un ministre qui se voudrait volontariste.

 


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