Dissolutions administratives, la longue dérive du pouvoir

Depuis l’arrivée à l’Élysée d’Emmanuel Macron, en 2017, le gouvernement a interdit 33 associations ou groupements de fait, dont certains pour des raisons politiques. Une façon de mettre sur un pied d’égalité l’extrême droite et ce qu’il juge d’extrême gauche.

En avril, à Paris, place Stalingrad, en soutien aux Soulèvements de la Terre. © Valérie Dubois

En avril, à Paris, place Stalingrad, en soutien aux Soulèvements de la Terre. © Valérie Dubois

Un coup à l’« extrême gauche », un coup à l’extrême droite. Un coup la dissolution des Soulèvements de la Terre (SLT) ; un coup celle de Civitas. Un coup un collectif écologiste ; un coup un parti d’extrême droite catholique intégriste. Y compris dans le choix des associations et « groupements de fait » qu’il veut dissoudre par voie administrative, le gouvernement donne du « en même temps », locution devenue mantra de la Macronie.

Une façon de faire advenir la fumeuse théorie du fer à cheval qui veut que « les extrêmes se rejoignent » et de se poser ainsi en seul garant de « l’ordre républicain ». L’actualité récente éclaire d’ailleurs l’usage cynique et très politique que l’exécutif, par le biais de Gérald Darmanin, fait de la dissolution.

« On voit que l’annonce de la dissolution de Civitas intervient – comme par hasard ! – la veille de l’audience portant sur celle des SLT devant le Conseil d’État. C’est, pour eux, un moyen de contrer la critique qui leur est faite selon laquelle ils ne tapent que sur la gauche », analyse Patrick Baudouin.

Le président de la Ligue des droits de l’homme s’inquiète, ces dernières années, d’une « accélération suspecte du nombre de dissolutions, avec une connotation de plus en plus politique » qui menace les ­libertés d’expression et associative.

Emmanuel Macron n’y est pas étranger. Depuis son ­arrivée à l’Élysée, en 2017, l’inflation ne concerne pas seulement le prix des biens alimentaires et autres produits du quotidien. À lui seul, l’actuel chef de l’État est à l’origine d’un tiers des dissolutions administratives de la Ve République (33 sur 99).

À titre de comparaison, ses prédécesseurs François Hollande, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac n’ont respectivement usé que 11, 2 et 3 fois de l’article L.212-1 du Code de sécurité intérieure. Un accroissement que l’on doit au « considérable élargissement des motifs de dissolution par la mal nommée loi “confortant les principes de la République” », rappelle l’avocat Sébastien Mabile. Texte voulu par… Emmanuel Macron à la suite de l’assassinat du professeur Samuel Paty par un terroriste islamiste, le 16 octobre 2020.

L’exécutif a modifié « le droit pour qu’il lui soit plus favorable »

À cette occasion, l’exécutif ajoute les « provocations à des agissements violents contre les personnes ou les biens » à la loi héritière de celle de 1936 qui avait permis la dissolution des ligues d’extrême droite, après le 6 février 1934. L’outil administratif ne concernait jusqu’ici que les groupuscules paramilitaires, violents, terroristes ou qui appellent à la violence contre des personnes ou des groupes en raison de leur origine, leur sexe ou encore leur religion.

La Macronie veut ici cibler les associations ou collectifs qui promeuvent le recours à la désobéissance civile, pouvant aller jusqu’à la dégradation légère et symbolique de biens, face à sa politique. C’est le cas des SLT, notamment avec les manifestations c ontre les méga-bassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), qui ont vu leur recours validé par le Conseil d’État et le décret suspendu.

Avec cette loi aussi appelée « séparatisme », le pouvoir a modifié « le droit pour qu’il lui soit plus “favorable”. Cela engendre une évolution des principes qui structurent notre système politique, et donc, une restriction des libertés (d’expression et d’association) », estime la constitutionnaliste Lauréline Fontaine, qui y voit « une baisse du niveau de tolérance ».

Or, la France constitue une exception en Europe. « Il existe des dispositions dans certaines Constitutions pour interdire ou dissoudre des groupements qui contrarient l’ordre constitutionnel », explique Lauréline Fontaine. C’est le cas en Allemagne ou en Lituanie. Pour autant, rien de comparable à la France version Macron : « Dans ces autres pays, tout cela y est utilisé de façon très circonscrite et généralement encadré par une cour constitu­tionnelle », nuance-t-elle.

Le conseil d’état reste un contre-pouvoir administratif

La dissolution administrative à la française possède un double avantage pour les dirigeants. Elle leur permet, d’un côté, de se passer du juge judiciaire, garant des libertés individuelles, « en contournant les exigences protocolaires de la loi de 1881 sur la presse qui prévoit une prescription très courte – trois mois – pour des propos jugés problématiques ».

Politiquement, elle est une arme servant à discréditer les oppositions en les mettant sur un pied d’égalité tout en faisant mine de batailler contre le péril fasciste : groupuscules d’extrême droite (Génération identitaire, Bastion social, Zouaves Paris), associations islamistes (Baraka City, Al Qalam), collectif de défense de l’environnement (SLT) ou groupes antifascistes (Défense collective)… Voire des partis politiques, alors que la députée Renaissance de Paris Caroline Yadan a suggéré « la dissolution de la France insoumise pour lutter contre l’antisémitisme », suite à l’annonce de celle à venir de Civitas pour le même motif.

« Ils cherchent à criminaliser une partie du spectre politique, à lutter contre un soi-disant “écoterrorisme” et contre les mouvements écologistes car ils visent juste » , résume Patrick Baudouin. « Emmanuel Macron n’aime pas la contradiction et a une pratique du pouvoir qui se rapproche, de plus en plus, de l’illibéralisme », ajoute Sébastien Mabile.

Il reste pour l’heure un contre-pouvoir administratif : le Conseil d’État, qui a donné une leçon de droit au gouvernement sur le dossier, désormais suspendu, des Soulèvements de la Terre. Il avait, par le passé, déjà annulé la dissolution de deux collectifs propalestiniens (le Comité action Palestine et le collectif Palestine vaincra).

Autant de camouflets pour Gérald Darmanin, qui prend le risque de prononcer des dissolutions avec des dossiers politiques mal ficelés. Ce qui, de fait, affaiblit l’État. « Tout en exécrant les idées portées par Civitas, la dissolution ne me paraît pas justifiée car les propos antisémites (prononcés lors des universités d’été du parti – NDLR) tombent déjà sous le coup de la loi pénale », affirme Sébastien Mabile.

De même que les dégradations commises par les militants écologistes des Soulèvements de la Terre pourraient se régler par la voie judiciaire. « Avec la dissolution, on condamne en tant que tel l’activisme », regrette Lauréline Fontaine. D’autant que le gouvernement ne sanctionne jamais ses soutiens, comme le syndicat agricole de la FNSEA, lorsqu’ils commettent des « violences contre des biens ».


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