« Lire, écrire, compter, se comporter ». C’est ce qui a été mis en avant par le Chef de l’État lors de son interview parue dans « Le Point » du 24 août dernier. Une formule au parfum de ’’ restauration’’ ostentatoire . On a en tête le mantra de l’ex-ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer constamment répété tout au long du premier quinquennat : « lire, écrire, compter et le respect d’autrui ». La variante finale de la formulation du président de la République en l’occurrence n’est pas un détail.
Certains y ont vu une réaction du président de la République au comportement de certains jeunes dans les récentes émeutes. Bien à tort, car cette formule a déjà été utilisée plusieurs fois dans le passé par Emmanuel Macron. Par exemple en avril 2018 lors d’une visite dans une école rurale de l’Orne suivie par TF1. Le Président évoque sa mesure phare, le dédoublement des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire : « Avec cette réforme , je m’engage à ce que tous les enfants en CM2 sachent bien lire, écrire, compter et bien se comporter». Le 25 avril 2019, dans une conférence de presse à l’Élysée, il affirme que « le moment du CP et du CE1 où on apprend à lire , à écrire, à compter, à bien se comporter, est absolument essentiel ». Le 17 juin 2021, le Chef de l’État explique lors d’une visite à Château-Thierry que « pour lui, la bataille pour pouvoir savoir lire, écrire, mais aussi compter, se comporter, est essentielle». Le 7 mars 2022 à Poissy, il met encore une fois en avant «les savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter, se comporter». Un mantra donc, constamment réitéré par Emmanuel Macron, à l’instar de celui de son ex-ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, mais avec une variante non négligeable : «bien se comporter» au lieu de «respecter autrui»
Pour ce qui concerne la partie commune « lire, écrire, compter », il est commun de la rapporter au passé d’une école bien établie, et le plus souvent à l’instauration même de l’École républicaine et laïque instituée par Jules Ferry et Ferdinand Buisson en particulier. Bien à tort. Et ce n’est pas là non plus un ‘’détail’’, tant s‘en faut.
Dans la réalité historique, le mantra « lire, écrire , compter » ne remonte nullement à la fondation de l’école républicaine et laïque, mais à la Restauration…L’ordonnance royale de 1816 indique en effet que l’instruction primaire « comprend nécessairement l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments de la langue française et du calcul »
Il n’en va pas du tout de même lorsque la loi du 28 mars 1882 instaure l’instruction obligatoire. Non pas l’école obligatoire puisqu’il est prévu que cette « instruction obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus peut être donnée soit dans les écoles privées ou libres, soit dans les familles par le père de famille lui-même ou par toute autre personne qu’il aura choisie ».
Il est donc nécessaire de signaler ce que l’on considère comme relevant obligatoirement de cette instruction obligatoire. Et c’est ce qui indiqué dans l’article premier de la loi elle-même: « L’enseignement primaire comprend : L’instruction morale et civique ; La lecture et l’écriture ; La langue et les éléments de la littérature française ; La géographie, particulièrement celle de la France ; L’histoire, particulièrement celle de la France jusqu’à nos jours ; Quelques notions usuelles de droit et d’économie politique ; Les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques ; leurs applications à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ; Les éléments du dessin, du modelage et de la musique ; La gymnastique ; Pour les garçons, les exercices militaires ; Pour les filles, les travaux à l’aiguille ».
On voit que la naissance de l’école républicaine et laïque ne fait nullement la part belle – tant s’en faut – à la trilogie « lire ,écrire compter » et se trouve être bien plus complexe que cela (malgré ses limites historiques) contrairement à ce qui avait été indiqué par l’ordonnance royale de 1816 pour l’école primaire de la Restauration … On est confondu par ces confusions persistantes (délibérées ou non) dans le débat public, en premier lieu au ‘’plus haut niveau’’. Et à une certaine difficulté, voire à une certaine désinvolture, pour se placer correctement dans la chaîne du temps, chronologiquement.
Claude Lelièvre
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