Le 49.3: une arme contre le peuple

Depuis qu’il existe, le 49.3 a déjà été utilisé plus de cent fois en France. Ces coups de force empêchant le vote des députés n’ont pas donné naissance à quelques mesurettes anecdotiques, mais bien à des réformes structurant notre quotidien.

Entre 1988 et 1991, le gouvernement Rocard aura dégainé le 49.3 à 28 reprises. Un record dans l’histoire de la Ve République. Eric Tschaen/REA
Crédit : Eric Tschaen/REA

Le 49.3 est souvent surnommé « l’arme nucléaire législative ». Il permet au gouvernement d’imposer une loi en se passant du vote des députés. Soit une bombe antidémocratique qui vient faire exploser le fonctionnement normal du Parlement. Clin d’œil révélateur ou facétieux de l’histoire, il s’avère que le tout premier 49.3 utilisé l’a été… afin de doter la France de la bombe atomique.

En 1960, Michel Debré, premier ministre et rédacteur de la Constitution de la Ve République, dégaine pour la première fois cet article afin de déployer un arsenal militaire de dissuasion nucléaire. Les députés, qui voulaient discuter davantage de l’ampleur de cet arsenal, de son rôle en pleine guerre froide, des dangers des essais nucléaires sur le territoire français, sont tout simplement privés de vote.

Un gouvernement accro

Ce premier 49.3 installe un terrible chantage : en pareil cas, ou bien les députés renoncent au pouvoir législatif qui fonde leur rôle ou bien ils font tomber leur gouvernement. Michel Debré, qui a bien conscience qu’il vient d’appuyer sur un bouton rouge, déclare que l’application du 49.3 doit rester absolument exceptionnelle.

L’usage de cet article « répété chaque mois et plusieurs années serait la destruction non seulement du système mais de l’autorité gouvernementale », insiste-t-il. Force est pourtant de constater que soixante-cinq ans plus tard, notre République a été totalement irradiée par le 49.3, qui a déjà été brandi plus de cent fois par les gouvernements successifs. Une grave dérive qui, en plus de constituer un scandale antidémocratique, a permis de faire passer des réformes qui structurent, ou plutôt déstructurent, notre quotidien.

Cette année, le 49.3 a été utilisé pour faire passer en force la réforme des retraites de 2023. Malgré un mouvement social historique et plusieurs millions de manifestants dans les rues pendant des mois, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne ont imposé le recul de l’âge de départ légal à la retraite de 62 à 64 ans.

« La seule souveraineté, c’est le peuple », estimait Michel Debré. Le fondateur de la Constitution de la Ve République argumentait que les pouvoirs exorbitants confiés au président de la République étaient légitimés par le rapport de confiance entre les citoyens et le chef de l’État. Et en 2023 ? Sur la réforme des retraites, les souverainetés populaire, syndicale et parlementaire ont été bafouées par un gouvernement autoritaire.

 « Le 49.3 est une arme contre le peuple, dont nous ne sommes que les représentants. »

Sébastien Jumel, député PCF

S’ils se sont fait voler deux ans de vie libérée du boulot cette année, les Français ont également connu une attaque massive contre leurs conditions de travail avec la loi El Khomri, adoptée via un 49.3 en 2016 par François Hollande et Manuel Valls. Or, ce texte largement combattu dans la rue et dans l’Hémicycle supprime la hiérarchie des normes. Les accords d’entreprise passent devant les accords de branche, atomisant le Code du travail, qui cesse d’être un droit global pour devenir un droit individualisé.

Soit une véritable contre-révolution imposée sans vote. Le même gouvernement avait en outre déjà dégainé le 49.3 en 2015 sur la loi Macron, un texte fourre-tout qui a généralisé le travail le dimanche, réformé les conseils de prud’hommes, développé massivement les lignes de cars (en lieu et place du train, pourtant beaucoup plus rapide et moins polluant), en plus de céder des milliards d’euros d’actifs de l’État.

Vendre les bijoux de famille en ayant recours au 49.3 n’était du reste pas une première. En 1996, Jacques Chirac et Alain Juppé privatisent France Télécom en brandissant l’arme nucléaire législative. Un fleuron de nos services publics est ainsi bradé au privé, entraînant une dégradation considérable des conditions de travail des agents, qui voient leur statut sacrifié, en plus d’une hausse des prix et des inégalités de services dans les zones les moins rentables pour les usagers devenus clients.

BNP, TF1… le 49.3 au service des privatisations

Plus tôt, en 1993, Édouard Balladur avait lui aussi sorti un 49.3 l’autorisant à privatiser de grandes entreprises publiques. Ce sera le cas pour la BNP. Soit une grande banque qui cesse de défendre l’intérêt général pour devenir un groupe capitaliste qui va se livrer à des prêts toxiques, des investissements massifs dans les énergies fossiles et polluantes, en plus d’activités dans les paradis fiscaux.

En 1986, Jacques Chirac décide de privatiser la première et plus ancienne chaîne télévisée de l’audiovisuel public : TF1. Pour y parvenir, il use du 49.3. Rachetée par Bouygues, l’antenne cesse sa mission de service public et va devenir un grand groupe marqué à droite, avec comme philosophie celle de son PDG pendant vingt ans, Patrick Le Lay, qui expliquait : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau disponible. »

Autre 49.3 aux conséquences fondamentales : en 1991, Michel Rocard crée la contribution sociale généralisée (CSG), qui vient peu à peu se substituer aux cotisations patronales puis salariales pour financer la Sécurité sociale. Un basculement philosophique et économique majeur puisqu’un impôt sur le capital devient un impôt sur le revenu et que la socialisation des salaires cesse de constituer le cœur du réacteur de la Sécu. Mais si Michel Rocard a fait adopter ses budgets à coups de 49.3, au moins laissait-il les députés débattre du texte dans son intégralité.

Pour la toute première fois de l’histoire, le gouvernement d’Élisabeth Borne a brandi le 49.3 pour imposer son projet de loi de finances pour 2024 dès l’arrivée du texte dans l’Hémicycle, privant à la fois les députés de vote mais aussi de tout débat et de tout travail législatif sur cette question fondamentale, avant de renouveler l’opération sur le budget de la Sécurité sociale. « Nous avions de nombreuses propositions pour financer l’urgence écologique et sociale, pour soutenir et développer les services publics. C’est inadmissible », se désole le député écologiste Jérémie Iordanoff, qui a déposé une proposition de loi visant à supprimer le 49.3.

« Cet article antidémocratique est devenu une drogue pour la Macronie. Après y avoir touché, elle ne peut plus s’en passer », fustige Sébastien Jumel. Soixante-cinq ans après la rédaction de la Ve République, la démocratie française est arrivée au paroxysme de ce qui était prévu : un président sans majorité peut imposer sa loi. Preuve que de Gaulle et Michel Debré n’ont pas retenu les leçons de Machiavel, qui invitait à toujours écrire une loi en anticipant ses effets néfastes et ce que pourraient en faire des esprits mal intentionnés.

 


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