L’arrivée au pouvoir d’un ultralibéral à visage fasciste n’est pas le fruit du hasard, mais bien le résultat de choix de politiques économiques imposés par la droite, soutenue par le Fonds monétaire international.
Un saut dans le vide ? Le leader de l’ultradroite Javier Milei s’est imposé, ce dimanche, au second tour de l’élection présidentielle avec 55,7 % des voix, soit 11 points de plus que le ministre-candidat Sergio Massa. Ainsi, étouffés par une crise qui pousse 40 % de la population sous le seuil de la pauvreté, une majorité d’Argentins – souvent motivés par l’espoir suscité par des promesses de campagne plus démagogiques les unes que les autres – vient d’élire comme prochain président le candidat dont le programme suit pourtant la voie de politiques économiques largement discréditées.
Le même chemin qui a déjà mené la troisième puissance économique latino-américaine dans le précipice, après la terrible période déjà traversée en ce début de siècle. Si ce n’est en pire : jamais auparavant quelqu’un d’aussi extrémiste n’avait été élu à la tête d’un pays d’Amérique du Sud. Une situation qui n’est en rien le fruit du hasard.
Non, Javier Milei ne sort pas de nulle part. Le chef du parti La liberté avance (LLA) est le pur produit d’une crise capitaliste alimentée par des années de politiques conservatrices, avec la bénédiction de son plus puissant promoteur : le Fonds monétaire international.
Une victoire sur fond de crise
Dette, rigueur, programmes d’ajustement structurel : c’est bien la droite de Mauricio Macri, président de 2015 à 2019, qui a créé les conditions de l’arrivée de Milei à la Casa Rosada (maison rose), avec l’aide de l’organisme financier siégeant à Washington.
En doublant le poids de la dette publique extérieure (69 % du PIB) et en signant, fin 2018, le prêt le plus important jamais accordé par le FMI à un pays (56 milliards de dollars), le gouvernement Macri s’est plié aux recettes du FMI et a plongé l’économie dans une spirale récessionniste. En effet, la stratégie de « l’austérité expansionniste » promue par le programme de réajustement du FMI n’a en rien fonctionné.
Ce que prédisaient déjà à l’époque nombre de détracteurs de l’accord. « Si le gouvernement s’en tient aux objectifs de ce programme, des millions d’Argentins connaîtront des souffrances et des difficultés accrues à mesure que le chômage et la pauvreté augmenteront avec la récession », prévenaient, fin 2018, les économistes Mark Weisbrot et Lara Merling.
Ainsi, avec son couteau placé sous la gorge de la banque centrale argentine, le FMI n’a fait qu’accentuer ses difficultés macroéconomiques. Fuite de capitaux, dépréciation du peso, hausse du poids des devises étrangères dans la dette, croissance du déficit de la balance courante…
L’« assainissement budgétaire » et le resserrement monétaire, appliqué à la lettre par le gouvernement de droite, ont piégé le pays dans le bourbier d’une dette ingérable, alimentée par une spirale inflationniste et dépréciative au coût humain catastrophique.
Au terme du mandat de Macri, la pauvreté a augmenté de 50 % et l’inflation atteint les 54 %. Seuls vrais gagnants de ce désastre économique : les fonds vautours états-uniens, véritables charognards des marchés financiers, n’hésitant pas à traîner le pays devant les tribunaux américains pour empocher des milliards de dollars, après avoir racheté pour une bouchée de pain des parts de la dette extérieure de Buenos Aires.
Fernandez : pieds et poings liés par le FMI
Fin 2019, la gauche péroniste reprend les rênes du pays. Mais, dans ces conditions, il est bien difficile pour le président Alberto Fernandez (centre gauche) de redresser la barre. Avec son ministre de l’Économie, Sergio Massa, il hérite d’une situation exécrable et la renégociation d’une partie du prêt du FMI, ramené à « seulement » 44 milliards, n’y changera rien, bien au contraire.
Contrairement à Néstor Kirchner (2003-2007) et à Cristina Fernandez de Kirchner (2007-1015), qui avaient réussi à relever le pays après la terrible crise de 1998-2002 qui avait poussé 65 % des Argentins en dessous du seuil de pauvreté, lui est pieds et poings liés par un FMI qui se retrouve en position de force, accentuée par un défaut de paiement dès mai 2020.
Le Fonds continue ainsi d’imposer des coupes à la hache dans les dépenses publiques et sociales. Le contexte mondial ne joue pas en la faveur de l’Argentine, avec d’abord les conséquences économiques de la pandémie de Covid, puis une sécheresse exceptionnelle qui a diminué de 20 % les recettes du secteur des exportations agro-industrielles, pilier de l’économie nationale.
4,9 milliards d’euros d’« aide » ont été de nouveau débloqués, en avril dernier. En échange de ces crédits, le FMI impose baisse du déficit budgétaire et politique de contrôle des dépenses, avec, par exemple, une suspension des subventions sur l’énergie. « Ce sont des usuriers, ils nous asphyxient avec les intérêts de l’argent qu’ils nous ont prêté », dénoncera plus tard le président Fernandez, conspuant des positions aussi inflexibles qu’« idéologiques ». Le pays est alors traversé par des mouvements sociaux contre l’austérité et l’inflation qui conspuent autant le FMI et sa dette « illégitime » que le gouvernement qui met en place ses exigences.
Finalement, avec des taux d’inflation frôlant tous les records, les classes populaires subissent une précarisation accélérée et le bilan des années Fernandez est – forcément – mauvais. C’est dans ce contexte que surgit Javier Milei. Quoi de plus simple pour lui que de s’en prendre à l’« establishment », de surfer sur le mécontentement populaire et, au final, de remporter la mise, avec le soutien de la droite qui lui aura préparé le terrain.
Avec des mesures d’austérité que la gauche n’a pas été en mesure de résilier, la droite a en effet ouvert la porte à l’arrivée de l’extrême droite, ce qui s’est d’ailleurs confirmé après le premier tour. En effet, entre le maintien au pouvoir du centre gauche et l’arrivée d’un néofasciste, celle-ci n’a pas longtemps hésité à se prononcer en faveur de Milei.
Après sa qualification pour le second tour, celui-ci a en effet reçu le soutien de Patricia Bullrich (22 % au premier tour), candidate malheureuse de la droite traditionnelle, ainsi que de l’ancien président Mauricio Macri en personne.
Prêt à applique « à la lettre » ses promesses de campagne
Saluée sur X par Donald Trump, Elon Musk ou encore par Jair Bolsonaro, la victoire de Milei, dimanche dernier, n’indique en rien que les problèmes des Argentins se résoudront de sitôt. « Les changements dont notre pays a besoin sont drastiques, il n’y a pas de place pour les demi-mesures ; tout ce qui peut être entre les mains du secteur privé passera entre les mains du secteur privé », a déclaré après sa victoire celui qui se définit déjà comme le « premier président libéral-libertaire de l’humanité ».
Lors de son discours de victoire, le président élu a réaffirmé sa volonté de privatiser l’entreprise énergétique d’État YPF ainsi que les médias publics (télévision, radio et agence de presse). Mais il a surtout assuré être prêt à appliquer « à la lettre » ses promesses de campagne, comme dollariser l’économie et fermer la banque centrale.
Des projets qui pourraient provoquer un véritable chaos économique. Comment réagirait la population, alors que Milei a aussi précisé qu’il n’hésiterait pas à réprimer toute manifestation visant à dénoncer ses futures décisions ?
Durant sa campagne basée sur la haine et la peur, celui qui a maintes fois qualifié la justice sociale comme une « aberration socialiste », et pour qui toute action de l’État représente une entrave à la liberté, n’avait pas hésité à annoncer l’élimination de onze ministères sur dix-neuf actuellement.
Notamment ceux du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, de l’Éducation, de la Santé, des Femmes, de la Culture ou encore de l’Environnement. Il avait aussi annoncé coupes budgétaires plus importantes encore que celles exigées par le FMI.
La droite le soutiendra-t-elle dans ses aventures extrémistes ? Trop faible au sein du Congrès, le parti LLA devra compter sur le clan de Macri pour mettre en œuvre son projet ultralibéral. « Un avenir spectaculaire nous attend, a rapidement exprimé l’ancien président, celui de la croissance, du travail et de la liberté », alors que les tractations politiques ont d’ores et déjà débuté autour de la formation du nouveau gouvernement. La victoire consommée, l’heure est à la répartition du gâteau, main dans la main avec cet « establishment » tant décrié par Milei il y a encore quelques jours.
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Une réflexion sur « Argentine : Javier Milei, la victoire du FMI »