Vice-président du Sénat, le communiste Pierre Ouzoulias a déposé une proposition de loi visant à conditionner l’aide publique aux établissements privés à des critères sociaux.
Selon la Cour des comptes, 13 milliards d’euros d’argent public sont versés chaque année aux établissements privés, soit l’équivalent du budget de la Justice… Sur cette somme, environ 8,5 milliards proviennent de l’État, le reste des collectivités. Une part sur laquelle nous n’avons pas beaucoup d’indications et pas de contrôle. Depuis la réforme avortée de Savary, en 1984, les établissements privés relèvent de la direction financière et non de la direction générale de l’enseignement scolaire. Cela en dit long sur la nature de leur lien avec l’État.
Certains de ces établissements dégagent des bénéfices…
Pierre Ouzoulias
Sénateur PCF, vice-président du Sénat
Parfois constitué en sociétés anonymes et non en associations, leur taux de rentabilité dépasse 10 % et l’instruction religieuse n’y est pas toujours une priorité. Pour eux, l’objectif est clairement de faire de l’argent et le secteur de l’éducation est un marché comme un autre.
Ça a commencé par le supérieur ; c’est en train de gagner les autres niveaux avec, derrière, de l’enrichissement personnel, des détournements de fonds, des petits arrangements. L’Éducation nationale ferme les yeux. Elle ne veut pas se mêler de la gestion de ces établissements. Il y a une forme d’omerta dont le fondement tient en une phrase : « Ne pas relancer la guerre scolaire. » Un argument qui permet au privé de faire n’importe quoi.
Quelle forme de contrôle faudrait-il instaurer ?
Le même que pour les établissements publics. Or, comme le montre l’affaire Stanislas, on en est très loin. Catéchèse obligatoire, contenus de cours illégaux, modes d’expression homophobes ou sexistes qui tombent sous le coup de la loi : tout cela était pourtant connu. Il faut reconnaître à Pap Ndiaye (ministre de l’Éducation de mai 2022 à juillet 2023 – NDLR) le mérite d’avoir diligenté une inspection, ce qui lui a sans doute coûté son poste.
Stanislas est-il représentatif de l’ensemble de l’enseignement confessionnel français ?
Non. En Bretagne, par exemple, où les établissements privés accueillent presque 50 % des élèves, il est évident qu’on n’applique pas les méthodes de Stanislas, sinon cela ne marcherait pas. Stanislas est plutôt représentatif d’une volonté sécessionniste, celle de s’ouvrir à des classes sociales très privilégiées, où l’on cultive l’entre-soi. Amélie Oudéa-Castera le dit elle-même : elle n’est pas catholique, elle veut juste que ses enfants se retrouvent avec ceux de ses amis.
« Pour eux, l’objectif est clairement de faire de l’argent et le secteur de l’éducation est un marché comme un autre. »
Avec ces établissements, on a affaire à une contre-société, ancrée dans des idées de l’ancien régime, qui refuse les apports de la Révolution française. C’est exactement la même stratégie politique que celle de Bolloré avec les médias. Une forme de conservatisme très militant, qui crée des points d’appui dans des institutions pour faire son travail « gramscien » de conquête des esprits. Là-dessus, il y a un combat de classe à mener, un combat républicain. Il faut être dur, arrêter de penser qu’on peut laisser ces gens-là s’organiser.
Comment agir ?
Ma proposition de loi, signée par l’ensemble des communistes, des écologistes et une grande partie des socialistes, considère que l’État et les collectivités pourraient – ce n’est pas une obligation, on ne va pas très loin quand même – moduler leurs subventions en fonction de plusieurs critères, dont le premier serait social.
À partir du moment où vous ne faites aucun effort pour accueillir des gamins des classes populaires, on diminue vos subventions. Si on arrive à récupérer ne serait-ce que 1 milliard d’euros sur les 13 donnés au privé, c’est toujours ça de plus pour l’enseignement public.
Certains parlementaires voudraient qu’il n’y ait plus du tout d’enseignement privé. Qu’en pensez-vous ?
C’est beau, c’est radical, mais c’est totalement irréaliste. L’enseignement privé, c’est 2 millions d’élèves et 140 000 enseignants. Si on leur enlève l’argent public, ils deviennent quoi ? On en fait quoi ? Ce qu’il faut, c’est doter l’État et les collectivités de moyens de pression et de contrôle, en s’appuyant sur la modulation de la subvention, une hausse des inspections, et un contrôle identique dans le privé et le public.
Stanislas, est-ce l’arbre qui cache la forêt ?
C’est un révélateur, en tout cas. Et ce, grâce au talent politique absolu de notre nouvelle ministre, qui a toujours vécu dans sa bulle, met les pieds dans le plat et, chaque jour, en remet une couche. Quand on vit dans un quartier difficile, vouloir échapper à un établissement compliqué, je peux le comprendre, je ne juge pas les parents. Mais le jour où on lâche l’école publique, tout une partie de notre idéal républicain disparaît.
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