À l’appel des organisations syndicales, les agriculteurs poursuivent leur mobilisation cette semaine. Ils revendiquent de pouvoir vivre décemment de leur travail.
Les agriculteurs se sentent abandonnés et estiment que leur dignité est bafouée. Ils exigent une meilleure rémunération.
Arnaud Gaillot
Président des Jeunes Agriculteurs
Depuis des années, nous n’avons cessé d’alerter sur la colère grandissante du monde agricole. Nous avons besoin d’un cap. Grâce à la mobilisation, fin 2023, de tous nos départements qui dénonçait les incohérences de nos politiques, nous avons pu obtenir de premières avancées. Mais trop de sujets demeurent en suspens et la colère persiste. Un mouvement inédit s’est amorcé pour faire entendre notre voix encore plus fort.
Que ce soit la réduction de nos moyens de production, la multiplication des accords multilatéraux, la fragilisation de notre élevage, des revenus trop faibles ou la surtransposition des normes, la coupe est pleine. Elle a même débordé !
Nous exigeons un cap clair, sans ambiguïté, avec des moyens ambitieux pour atteindre les objectifs que nous nous fixons. Il est impératif de rétablir la cohérence entre les discours et les actes, avec des mesures immédiates et concrètes. Un cap clair qui nous permette aussi de relever le défi de compenser les départs à la retraite. Il y a trois besoins.
D’abord, de la dignité dans l’exercice de notre métier. Cette crise est avant tout morale. Les agriculteurs se sentent abandonnés. Faut-il rappeler que notre fin sera votre faim ! Il faut conforter les agriculteurs par des politiques française et européenne cohérentes, et un soutien renouvelé des citoyens pour relever ensemble les challenges qui se présentent.
Surtout, une juste rémunération de notre travail, indispensable pour vivre, mais aussi pour continuer de s’adapter. Nous ne pourrons pas investir sans une situation économique solide et stable. Cette problématique de longue date doit trouver sa réponse dans l’application pleine et entière des lois Egalim. Trop d’acteurs de l’aval tentent en permanence des contournements. Cela doit cesser ! Protéger notre prix passera aussi par l’arrêt total de l’importation de produits ne respectant pas les mêmes normes.
Enfin, rétablir des conditions d’exercice du métier acceptables en mettant fin à l’accumulation des normes et à leur surtransposition par rapport à nos collègues européens, c’est se tirer une balle dans le pied. Cela interroge sur la volonté de nos dirigeants. Nous attendons des décisions stratégiques claires qui donnent une visibilité de long terme. Il faut en finir avec les décisions déconnectées du terrain, souvent contradictoires.
Dans un moment décisif pour nos agricultures, c’est une approche globale à revoir pour inscrire durablement le secteur sur la bonne voie. Celle du maintien de notre agriculture par le renouvellement d’une génération vieillissante, celle de la souveraineté alimentaire, celle de la lutte et de l’adaptation au changement climatique, et celle d’une agriculture durable et prospère pour les générations futures. Ces questions cruciales sont posées aujourd’hui au gouvernement par des agriculteurs mobilisés partout en France et en Europe. Ne nous trompons pas dans les solutions, sinon, aucun doute que nous le regretterons amèrement.
Les bas salaires et le fait de travailler seul nourrissent un sentiment de solitude et d’impuissance, mais l’attachement au métier demeure.
Olivier Morin
Secrétaire national du Modef
La traite du soir est finie. Les vaches sont repues et le tank à lait est plein. Le camion du laitier passera dans la nuit le vider dans sa citerne. En s’endormant, le paysan pense à sa journée de travail commencée tôt et terminée tard, à la traite du lendemain matin et, surtout, au prix auquel l’industrie laitière va lui payer son lait. Pas assez pour recouvrer ses coûts de production, pas assez pour rémunérer toutes ses heures de travail, pas assez pour ne pas avoir peur du lendemain.
Nos collègues qui vendent de la viande ont ce même sentiment, corroboré par les chiffres implacables des exercices comptables annuels successifs. Pareil pour les légumes, les œufs, le vin, etc., y compris les céréales, particulièrement ces derniers temps quand ils sont cultivés en agriculture biologique. Même les paysans qui sont en circuit court peinent à vendre leur production aux citoyens, eux aussi pressurisés par des salaires gelés et des pensions de retraite qui n’augmentent pas.
Dans le même temps, on apprend que les industries du lait font gagner des bénéfices record à leurs propriétaires, Emmanuel Besnier, patron de Lactalis, en tête. On écarquille les yeux en découvrant que les prix des tracteurs ont augmenté de 12 % entre 2020 et 2022. Autant de valeur ajoutée produite par le travail patient et rigoureux des paysans et qui est extorquée d’une façon ou d’une autre par l’amont et l’aval de la production agricole. Reste le paysan, qui, au milieu des factures qui semblent ne jamais s’arrêter de croître, des règlements de sa production qui stagne et des investissements obligatoires à réaliser, demeure la seule profession qui ne peut pas répercuter ses coûts de production sur son prix de vente.
Ce malaise paysan, le Modef (Confédération syndicale agricole des exploitants familiaux) ne le connaît que trop bien pour le dénoncer depuis des années. Ce sont en effet les petites et moyennes exploitations agricoles qui disparaissent le plus vite à cause de revenus insuffisants. L’agricultrice et l’agriculteur sont également des citoyens comme les autres, ils subissent aussi l’augmentation du coût de la vie : hausse des tarifs de l’énergie, des produits alimentaires, etc.
Et comme on travaille souvent seuls dans nos exploitations, que les fermes autour de nous disparaissent les unes après les autres et que le syndicalisme paysan recule, le sentiment de solitude et d’impuissance face à une montagne grandissante de soucis peut être parfois funeste.
Mais ce tableau sombre ne doit pas cacher l’attachement qu’ont les exploitants agricoles à leur métier, à leurs bêtes, à leur terre. La volonté de transmettre des savoir-faire et des fermes viables et vivables, et la nécessité d’avoir des paysans nombreux sur les territoires. Au Modef, nous nous réjouissons que nos revendications d’un revenu décent pour les paysans soient reprises dans les mobilisations. Cela ne pourra passer que par la fixation de prix planchers rémunérateurs garantis par l’État et non par la loi du marché.
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