Une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques, consacrée au pouvoir d’achat en France entre 2019 et 2023, révèle la faible contribution du salaire à l’amélioration du niveau de vie. L’économiste Mathieu Plane, l’un des auteurs de cette analyse, dévoile ici les ressorts principaux de cette dynamique, pendant les deux chocs massifs du Covid et de la crise inflationniste.
Quels sont les ressorts qui influent sur le pouvoir d’achat ? C’est l’une des questions à laquelle l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFSE) tente de répondre, à travers son étude publiée le 15 février. Intitulée « De la crise Covid au choc inflationniste : une analyse macro/micro du pouvoir d’achat en France », elle confronte l’analyse macro-économique à celle des situations individuelles, démontant au passage nombre d’idées reçues sur la « valeur travail », en révélant la part dérisoire du salaire dans l’amélioration du niveau de vie entre 2019 et 2023.
Cette période marquée par deux crises majeures : le Covid et la crise inflationniste, aurait a contrario, comme le démontre ici l’économiste Mathieu Plane, l’un des auteurs de l’étude (aux côtés d’Ombeline Jullien de Pommerol, Raul Sampognaro et Pierre Madec), vu une dynamique très forte pour les revenus du patrimoine, notamment les revenus financiers. Ils auraient contribué au pouvoir d’achat à hauteur de 390 euros par an et par unité de consommation, soit plus de six fois plus que les revenus du travail.
Qu’est-ce qui a motivé cette étude macro et microéconomique du pouvoir d’achat en France entre 2019 et 2023 ?
Le pouvoir d’achat constitue l’une des préoccupations les plus importantes pour les Français. En analyser la dynamique nous est apparu à cet égard essentiel. Cette étude, que l’on réalise chaque année, se justifie aujourd’hui d’autant plus que l’on vit, depuis quatre ans, une période très particulière, marquée par deux chocs successifs : un choc Covid suivi par un choc énergie-inflation.
L’idée est de dissiper une certaine confusion qui entoure les questions liées au pouvoir d’achat. Quand on parle des chiffres uniquement macro, on est assez loin du ressenti général sur les questions de pouvoir d’achat. On a ainsi voulu opérer des distinctions afin de mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre en mettant en évidence ce qui tire ou pas le pouvoir d’achat sur les deux périodes.
L’intérêt de ce travail était aussi de montrer l’hétérogénéité autour des moyennes car si la macroéconomie est intéressante pour comprendre les grandes tendance, elle éclaire en revanche peu sur les situations individuelles. Or, plus les chocs sont importants, plus l’hétérogénéité est importante.
L’idée de ce travail est donc de remettre en perspective l’analyse macro à la lumière d’une analyse micro, en sondant les disparités, par exemple dans l’exposition à l’inflation, qui ne sera pas la même si l’on vit en zone rurale ou urbaine, si l’on possède des revenus du patrimoine, ou pas, si l’on est retraité, etc. L’idée novatrice est donc de donner un schéma d’ensemble cohérent de ce qui se joue depuis quatre ans.
Quels sont les principaux enseignements de cette confrontation entre la macro-économie et l’analyse des situations individuelles sur la dynamique du pouvoir d’achat ?
D’abord, globalement, le pouvoir d’achat depuis quatre ans augmente malgré tout, quand on le ramène aux unités de consommations, plus vite que le produit intérieur brut. Ce qui signifie qu’il y a quand même des transferts visant à soutenir ce pouvoir d’achat. Il y a en effet eu beaucoup de mesures budgétaires pendant le Covid ou l’inflation, que ce soit le chômage partiel, le fonds de solidarité, la prolongation du « quoi qu’il en coûte », les boucliers tarifaires… Tout cela a donc permis de limiter les effets négatifs des deux chocs.
« La hausse du pouvoir d’achat n’est pas liée à la hausse du revenu du travail »
L’autre enseignement est qu’il y a une divergence entre l’évolution des revenus du patrimoine et ceux du travail. Cette période a été marquée par des revenus du patrimoine très dynamiques, notamment les revenus financiers, à travers les versements de dividendes qui ont été importants ces dernières années ou la remontée des taux qui permettent d’avoir des rendements du capital plus élevés, malgré l’inflation. On voit que les revenus du travail contribuent assez peu aux évolutions, en réalité. Pendant les différentes périodes, c’est assez stable, mais assez proche de zéro, en fait.
Donc, la hausse du pouvoir d’achat n’est pas liée à la hausse du revenu du travail. De plus, la relative stabilité des revenus du travail n’est pas liée au fait que les salaires se stabilisent. En fait, il y a deux mouvements divergents dans les revenus du travail : les salaires réels diminuent, et contribuent négativement au pouvoir d’achat parce qu’ils augmentent moins vite que l’inflation, mais une partie macro-économiquement de cette baisse des salaires réels dans le pouvoir d’achat a été compensée par beaucoup de créations d’emplois.
Les 1,1 million d’emplois créés entre 2021 et 2023 n’ont pas joué sur la fiche de paie individuelle de chaque salarié, mais ont gonflé les revenus du travail à l’échelle du pays.
« La plupart des salaires ont augmenté moins vite que l’inflation »
En d’autres termes, il y a un gain de pouvoir d’achat pour des gens qui sont sortis d’une période d’inactivité, mais ceux qui étaient déjà dans l’emploi, eux n’ont pas vu leur pouvoir d’achat s’améliorer parce que la plupart des salaires ont augmenté moins vite que l’inflation. On en arrive à la conclusion que le travail finalement ne paie pas.
Cette baisse de pouvoir d’achat a été en partie amortie par les finances publiques, par les mesures budgétaires exceptionnelles, mais tout cela a été tiré globalement par les revenus du patrimoine dynamique —, or, tout le monde n’en a pas —, et par les créations d’emplois. Les plus perdants sont les habitants des zones péri-urbaines ou rurales parce qu’ils consomment plus d’énergie et le poids de l’alimentaire est plus important, soit deux composantes très fortes de l’inflation.
Quelles perspectives envisagez-vous pour 2024 ?
Notre étude s’arrête, pour les cas individuels, à 2023. Sur cette période, les retraités notamment apparaissent perdants. Or, les tendances citées dans l’étude n’intègrent pas la forte revalorisation de 2024. Les prestations sociales, même si elles sont censées être indexées sur l’inflation, sont décalées dans le temps, et se font en début d’année en fonction de l’inflation observée l’année précédente.
Il y a donc un décalage dans les revalorisations et un choc négatif sur le pouvoir d’achat. Nos prévisions anticipent donc un petit rattrapage des pertes sur les salaires en 2024, en raison de ce décalage entre la dynamique des salaires et les prix. Il y aura certainement des gains de pouvoir d’achat, mais décalés.
On voit aujourd’hui par ailleurs un nombre croissant de personnes au Smic, ainsi qu’un phénomène de tassement des salaires vers le bas. Les gens qui n’ont que leurs salaires pour vivre voient leur situation se dégrader car la plupart des revalorisations sont bien en deçà de l’inflation.
L’analyse de cette période a mis au jour la question fondamentale de la redynamisation des salaires. La perception des gens en termes de pouvoir d’achat est à cet égard très proche de la réalité. La question est aujourd’hui de savoir si les effets économiques du Covid et de l’inflation sont temporaires et s’il faut attendre ou pas un rattrapage progressif.
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