Un jour après la cohue autour d’Emmanuel Macron, Jordan Bardella a, lui, pu s’offrir un bain de foule. Une opération de communication rodée qui fait des convertis, même si de nombreux agriculteurs ne sont pas dupes.
Terrifiant retournement de situation. Voyant l’attroupement autour de Jordan Bardella, Jean-Michel, éleveur berrichon de 55 ans, essaie d’atteindre les oreilles du président du Rassemblement national (RN) : « Facho ! Tu n’as rien à faire au salon ». Aussitôt, une dizaine de personnes, badauds et paysans, lui intiment de « dégager » : « C’est à toi de partir, gauchiste ! » « Tu dis n’importe quoi, va-t’en. »
Au même endroit où, en 2002, Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national, avait écourté sa visite sous les huées (et où, samedi, Emmanuel Macron a eu besoin de CRS pour entrer dans le salon), la tête de liste du RN aux européennes est accueillie par des « Jordan président ». Ce dimanche, ils sont même des centaines à jouer des coudes pour lui arracher une photo ou une poignée de main.
Des enfants sur les épaules que Jordan Bardella vient embrasser, et beaucoup de jeunes qui lui témoignent leur admiration. « C’est notre sauveur, il n’y a que lui pour nous sauver de la racaille des banlieues. À Moissac (Tarn-et-Garonne – NDLR), on le kiffe tous », salue Romain dans un sourire glaçant.
La Coordination rurale en phase avec le RN
C’était l’objectif de cette journée pour le RN : la « stratégie du selfie », assumée par le service de communication. Montrer la popularité nouvelle du président du parti d’extrême droite qui, depuis un mois qu’a éclaté la crise agricole, rêve de récupérer cette colère. Sur son chemin, plusieurs paysans le remercient ainsi de ses prises de position. Charlotte, membre des Jeunes Agriculteurs (JA), en pleure carrément : « Pour moi, c’est lui qui va nous aider, il n’est pas méprisant comme Macron », raconte-t-elle.
Quelques casquettes et bonnets jaunes de la Coordination rurale (CR) tentent aussi de s’approcher de lui. C’est ce syndicat qui, la veille, a organisé le violent comité d’accueil d’Emmanuel Macron, lequel avait accusé les manifestants d’avoir « un projet politique qui est de servir le Rassemblement national ».
« On est grands, on n’a pas besoin de recevoir des ordres, même si c’est vrai que beaucoup d’entre nous vont voter Bardella aux européennes », veut rétablir Sylvie Jérôme, sweat-shirt CR sur les épaules. « Est-ce que ce sont eux qui ont été récupérés par le RN ou le contraire ? En tout cas, ils sont en phase autour des mêmes credo : moins de normes. Mais pour une seule chose… La loi du plus fort ! » remarque Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne.
En sortant du cortège qui entoure le candidat d’extrême droite, sa popularité est toutefois moins flagrante. Beaucoup ne sont pas dupes de l’opération de communication. « Au Parlement européen, il n’a jamais eu de propositions, il vote comme les macronistes. Et d’un coup il deviendrait le sauveur des paysans ? C’est une insulte, estime Pierre, 42 ans, éleveur de Salers. Comment des agriculteurs peuvent tomber dans ce panneau ? » À ses côtés, Sylvain, fermier dans le Puy-de-Dôme, le coupe : « Ils oublient ce que nous sommes et ce qu’ils sont. Nos valeurs de paysans, c’est le partage, l’entraide… Je m’en fous de ses propositions sur l’agriculture à Bardella, je connais son projet politique. »
Bardella est le pire ennemi du monde agricole
Tout au long de sa journée, lors de ses échanges avec des agriculteurs ou sur le plateau de BFMTV, qui lui a consacré une heure de temps d’antenne, Jordan Bardella a recraché ses éléments de langage. Comme son appel à un « patriotisme économique », fustigeant « le rôle de l’UE dans l’aggravation spectaculaire du malaise du monde agricole », alors qu’il a lui-même voté pour la PAC 2023-2027, tout en s’opposant aux amendements en faveur d’une meilleure redistribution des aides, aujourd’hui calculées en fonction de la taille des exploitations.
« Le RN soutient des politiques productivistes qui poussent à agrandir toujours plus les exploitations sans penser aux inégalités entre agriculteurs et à l’avenir des terres », souligne Sylvie Colas, qui rappelle les votes du RN en faveur des OGM, de l’usage des pesticides ou des méga-bassines.
« Ils suivent exactement les mêmes politiques libérales que le groupe macroniste et les LR, Bardella est le pire ennemi du monde agricole, abonde Yannick Plazanet, éleveur en Haute-Vienne et membre du Modef. Je trouve ça lamentable que certains agriculteurs se laissent influencer par ce discours totalement démagogique. »
Des mots d’ordre populistes qui s’enchaînent dans la bouche de Jordan Bardella quand il s’insurge « contre l’idéologie de l’écologie punitive, comme le pacte vert qui prévoit la baisse des rendements et du nombre de cheptels ». Pour Michel, producteur de lait dans l’Orne, le président du RN joue ainsi « la carte du monde rural contre le monde urbain pour attiser des haines entre les deux ».
« L’erreur, c’est d’opposer agriculture et environnement, il faut fournir une alimentation sans dégrader nos ressources, répond Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne. Appliquer une nouvelle norme est forcément dur à vivre, mais la solution est d’agir sur les prix et l’accompagnement des politiques publiques, pas de continuer à aller dans le mur. »
Jordan Bardella sera à nouveau au Salon de l’agriculture ce lundi, avec cette fois l’objectif de discuter avec « tous les syndicats ». Le Modef, n’ayant pas de stand, en sera épargné, tandis que la Confédération paysanne, pour qui « l’opposition à l’extrême droite fait partie de (sa) lutte pour une meilleure société », a prévu de laisser ses chaises vides au moment de la venue du président du RN.
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