En cas de victoire le 7 juillet, le RN pourra sans doute compter, dans les ministères, sur la haute administration, où les consciences sont désormais rares à envisager une démission pour raisons politiques et républicaines. Mais le casse-tête pourrait se poser pour la constitution des cabinets ministériels.
Dans cette grande succession de digues qui tombent, le Rassemblement national (RN), aux portes du pouvoir, en est déjà à ses derniers dominos.
D’une part, en tentant depuis plusieurs mois de séduire le patronat qui, dans cette campagne, se montre beaucoup moins véhément envers lui que par le passé et pourrait choisir l’extrême droite plutôt que la gauche. D’autre part, en essayant d’attirer dans son camp des hauts fonctionnaires pour former des équipes en position de gouverner et de garder actifs les services de l’État.
Que se passera-t-il dans la haute administration, en particulier celle des ministères, en cas de majorité absolue du RN le 7 juillet ? « Avant, beaucoup disaient vouloir démissionner en cas de victoire du RN. Ce n’est plus du tout le cas. Plus personne ne dit ça. Il y a une acclimatation forte », tranche un haut fonctionnaire d’un ministère régalien.
« On se pose beaucoup de questions »
Pour l’un de ses homologues au ministère de l’Économie et des Finances, « les hauts fonctionnaires sont obéissants, c’est la règle générale. Tant que le RN n’était pas une option envisageable, tout le monde se disait Jean Moulin, un peu comme lorsqu’on se dit : » Moi, en 1940, j’aurais été résistant.”. Quand il est aux portes du pouvoir, ils se dégonflent. Face à la prégnance des ambitions personnelles, le choc d’une victoire de l’extrême droite ne pèsera pas lourd ».
Bien que, dans des ministères davantage marqués à gauche, comme la Culture et l’Environnement, « on se pose beaucoup de questions. L’idée serait plutôt de rester dans un premier temps, ne pas les laisser faire n’importe quoi, mais de partir si nécessaire », glisse un haut fonctionnaire du ministère de la Culture.
Déjà, en coulisses, sans afficher de préférence à l’extrême droite, certains se préparent à travailler pour elle, et pour le pays.
La haute fonction publique suit le patronat
Président de l’association Servir, qui réunit des anciens élèves de l’ENA et de l’Institut national du service public, Daniel Keller l’assume ouvertement dans un entretien au site Opinion internationale : « Tout le monde devra se rassembler pour permettre à la France de se redresser et au pays d’aller mieux dans les trois années à venir. ». Il faut dire que ce membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese), bien qu’appelant au barrage à l’extrême droite, ne « croi (t) pas que les libertés fondamentales ni les grandes valeurs républicaines seront menacées demain ».
Comme dans le patronat, déçu par la politique d’Emmanuel Macron, les hauts fonctionnaires sont aussi prêts à servir un gouvernement RN du fait de leur ras-le-bol de la politique macroniste depuis sept ans. « Macron est détesté : il a accru la dette, perdu l’Afrique, fichu le bazar dans le Pacifique, constate l’un d’entre eux. Le RN, lui, s’est normalisé. La plupart des hauts fonctionnaires pensent qu’à force de se dire républicain, il va finir par le devenir. Le problème, c’est que les ponts entre le RN et l’ultradroite, qui sont officiellement coupés, fonctionnent en réalité toujours. ».
Les rancœurs des hauts fonctionnaires exploitées par le RN
En 2021, la réforme de la haute fonction publique voulue par le président de la République, impliquant des changements de statut, a elle aussi nourri une colère sourde, que Marine Le Pen a cherché à exploiter. Dans une lettre adressée aux préfets, elle jure ainsi croire « au modèle administratif français ». Aux agents du ministère des Affaires étrangères, privés par ce texte du statut diplomatique, elle promet de rétablir « un statut de diplomate fondé sur le mérite et l’intérêt national ».
Du côté du ministère de l’Intérieur, si la Macronie n’est pas le RN, Gérald Darmanin aurait « créé un climat d’accoutumance, désarmé les petits scrupules qu’il pouvait y avoir », tandis qu’à Bercy, personne ne croit au scénario d’un chamboulement de la politique économique : « Jordan Bardella ne gênera pas le patronat, il suivra les services du ministère, y prédit une source. Ils savent que leur travail ne changera pas vraiment si le RN arrive au pouvoir. »
Opération séduction pour pouvoir former des cabinets
Toutefois, il est nécessaire de distinguer, dans les ministères, deux types de hauts fonctionnaires : ceux qui sont rattachés à l’administration et qui devraient massivement continuer à servir l’État quoi qu’il arrive, et les membres des cabinets – 400 à 500 personnes dont le rôle est plus politique.
« On se demande comment ils vont recruter. Les collaborateurs sont souvent jeunes, et en général ils adhèrent un minimum au projet politique du gouvernement en place, explique un haut fonctionnaire rattaché à l’administration. Cela peut beaucoup dépendre d’un accord entre LR et RN. Si LR suit, beaucoup de monde attend depuis Sarkozy de retourner dans un cabinet. ».
C’est d’ailleurs dans cette optique que Marine Le Pen cherche à séduire les hauts fonctionnaires. Cela n’est pas tout à fait nouveau. C’est pour donner une vitrine de sérieux au RN et achever sa mue technocratique que Marine Le Pen avait placée en 2012 l’énarque Florian Philippot à la vice-présidence de son parti.
Des ralliements déjà actés
Même objectif, avec les candidatures, aux élections européennes, de Fabrice Leggeri, ex-patron de Frontex, de l’énarque Pierre Pimpie et de l’ancien préfet Christophe Bay. Mais ces ralliements s’expliquent aussi par les casseroles qu’ils traînent.
Fabrice Leggeri a été poussé à la démission en 2022 par l’Office européen de lutte antifraude qui demandait l’ouverture d’une procédure disciplinaire pour plusieurs centaines de cas de refoulement illégal de migrants à la frontière gréco-turque. Il est depuis visé par une plainte pour complicité de crimes contre l’Humanité et torture.
Quant à Christophe Bay, il a été démis de ses fonctions préfectorales pour des dizaines de milliers d’euros d’argent public dépensés en whisky et achats personnels, a révélé le Monde.
Ce dernier a auparavant été un membre actif des Horaces, un discret conclave de hauts fonctionnaires chargés de développer le programme de Marine Le Pen mais aussi d’attirer au RN de nouvelles « élites ».
Les événements s’accélèrent mais les législatives anticipées arrivent peut-être trop tôt pour permettre au RN de bâtir une équipe de cadres politiques et de « technos » suffisamment solide pour gouverner. À moins que l’opportunisme ne finisse par faire nombre ?
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