Est-ce que la Cour des Comptes apportera un coup fatal au SNU ? « Les ambitions du dispositif ne sont pas atteintes », peut-on lire. Dans son rapport, publié le 13 septembre 2024, la cour critique le Service National Universel (SNU) et ses 5 à 10 milliards d’euros dépensés. Le dispositif du SNU déployé depuis 2019 sur la base du volontariat est jugé coûteux. Dans un contexte de rigueur budgétaire, la généralisation du dispositif prévue en 2026 verra-t-elle le jour ? Le rapport dénonce les aspects budgétaires comme les insuffisances et les impensés du déploiement du SNU mené dans l’urgence.
Le SNU est porté par une politique volontariste menée par l’Elysée et Matignon. En revanche, les personnels éducatifs, leurs organisations syndicales, les organisations lycéennes et étudiantes et les partis politiques du NFP exigent son abrogation au profit d’un investissement dans les associations de l’éducation populaire. Ces derniers rejettent une vision militariste et non éducative et émancipatrice de la jeunesse et dénoncent les nombreuses dérives observées.
« Un dispositif dont les objectifs demeurent à ce jour incertains »
La synthèse du rapport de la Cour des comptes est claire : « un dispositif dont les objectifs demeurent à ce jour incertains » et « force est de constater qu’en matière de mixité sociale comme d’engagement, les ambitions du dispositif ne sont pas atteintes ».
Un objectif quantitatif non atteint
Le SNU se déploie en trois phases : un séjour de cohésion de 12 jours, une mission d’intérêt général puis un engagement facultatif pendant 3 mois dans une association ou institution publique.
Le nombre de participants aux séjours reste inférieur à l’objectif fixé dans la loi de finances initiale et l’offre des missions d’intérêt général insuffisante. Le taux de désistement a augmenté en 2023 avec 28% contre 19% en 2022. L’objectif quantitatif n’est donc pas atteint, comme l’objectif qualitatif, l’ambition de mixité sociale et territoriale, de cohésion nationale, d’engagement. Pour les rapporteurs, « certains objectifs restent d’ailleurs difficiles à saisir concrètement : ainsi en est-il de la cohésion nationale, à laquelle chacun ne peut qu’adhérer mais qui demande à être précisée pour trouver son sens en pratique. Ils sont en outre peu mesurables et évaluables ».
« Deux objectifs clés non atteints : la mixité sociale et l’engagement »
Le rapport souligne la constance depuis 2019 de la sur-représentation des participants issus de familles de corps en uniforme (46% d’entre eux) et de catégories socio-professionnelles favorisées. Il s’agit d’élèves majoritairement scolarisés en filières générales et technologiques, avec 84%. Parmi eux, 66% ont de «bons » résultats scolaires et 23% d’ »excellents » ou « très bons ». 5% des participants sont issus des Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV). Les moyens mis en œuvre par l’Etat pour le SNU dans la perspective de mixité, bénéficient à une catégorie plutôt favorisée et culturellement proche de l’engagement ou de l’uniforme.
« Un coût largement sous-estimé »
Le rapport critique « un dispositif sans pilotage budgétaire » et « dont le coût est sous-estimé ». Il dénonce et explique la dépense inférieure au prévu par une « sous-exécution systématique des crédits budgétaires inscrits en loi de finances ». Cette sous-exécution a conduit au redéploiement de montants vers d’autres dispositifs.
Le rapport dénonce « un coût par jeune largement sous-estimé » et une méthode de calcul contestable. La Cour affirme « obtenir des clarifications suffisantes pour permettre d’établir avec précision le coût par jeune des séjours de cohésion pour les exercices budgétaires passés ». Pour les rapporteurs, « l’ampleur des erreurs et omissions identifiées en la matière conduit à mettre en doute la fiabilité des coûts par jeune », jugés aux alentours de 2300 euros, que la Cour juge plutôt aux alentours de 2900 euros. Le calcul prend en compte la phase 1 et le programme 163 pour le séjour de cohésion. La Cour estime que le coût s’élève à« un total de 3,5 à 5 milliards d’euros, sans compter les coûts d’investissement à venir dans les centres d’hébergement, les éventuels surcoûts liés au changement d’échelle et les coûts portés par les autres financeurs publics. »
« Une montée en charge à marche forcée malgré d’importantes difficultés de déploiements » et « une généralisation du dispositif non préparée à ce stade »
Le rapport souligne le pilotage budgétaire incertain malgré « un coût aujourd’hui largement sous-estimé ». Il pointe les dysfonctionnements du dispositif bien qu’il s’agisse d’une politique prioritaire du gouvernement. Pour les rapporteurs, les parties prenantes telles que les structures d’éducation populaire ou sportives ne sont pas suffisamment associées par manque de gouvernance. Le rapport pointe que l’administration centrale « ne dispose pas d’une vision consolidée des conventions conclues par les services déconcentrés » et que la « Cour n’a ainsi pas pu obtenir la liste complète de ces conventions. » Le rapport souligne les encadrants « trop peu accompagnés et formés » comme « des obstacles nombreux sur le plan opérationnel », notamment pour les structures d’hébergement.
Le rapport du sénateur Eric Jeansannetas (PS) daté de mars 2023 soulignait déjà les difficultés pointées par ce rapport de la Cour des comptes. Le rapporteur spécial recommandait de « surseoir au projet de généralisation du séjour de cohésion » : « Cette suspension devra permettre de lever des incertitudes et d’obtenir plus d’informations sur la généralisation du service national universel ». Le rapport de la Cour des comptes confirme l’échec des objectifs « de représentativité sociale » du SNU et ses « difficultés majeures en termes d’encadrement et d’hébergement ».
La Cour des comptes juge la généralisation du SNU « non préparée » et « à marche forcée », une marque de fabrique des réformes du Ministère de l’Éducation nationale du président E Macron ?
Djéhanne Gani
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