Dix ans plus tard, le Rassemblement national continue d’instrumentaliser l’attentat contre Charlie Hebdo – qui lui était farouchement hostile – pour mieux propager son islamophobie. Le 7 janvier 2015 marque une étape décisive dans son ascension progressive.
La lutte contre le fascisme fait partie de l’ADN de tous ceux tués par les frères Kouachi au matin du 7 janvier 2015. Le journal avait même lancé, en 1995, une pétition pour la dissolution du Front national. Ce qui n’empêche pas les lepénistes d’instrumentaliser l’attentat et l’hebdomadaire, comme chaque année au 7 janvier : « Neuf ans après les attentats contre Charlie Hebdo, nous continuons d’honorer la mémoire de ceux qui sont tombés, tués par des islamistes. La vérité est que la lutte contre l’islamisme n’a pas été engagée et celui-ci continue d’avancer. Il est plus que temps de la mener », tweetait Marine Le Pen en 2024.
Pour les tenants de l’extrême droite, l’attentat de Charlie Hebdo accrédite leur vision du monde où immigration et violence, islam et terrorisme seraient liés. Un refrain entonné depuis après chaque attentat par Marine Le Pen, qui agrémente presque toujours ses messages du hashtag #CharlieHebdo, comme en 2020 après le meurtre d’un policier à Paris : « Combien de victimes aurait-on évitées en contrôlant strictement notre politique d’immigration, en expulsant systématiquement les clandestins, en faisant la chasse à l’islamisme ? La lâcheté politique n’est plus possible ! #CharlieHebdo ».
Une arme politique
Invoquer la mémoire des dessinateurs tués pour avoir exercé leur liberté d’expression et de caricature est aussi devenu pour l’extrême droite une arme politique, un argument massue. Comme lorsqu’en octobre dernier l’eurodéputée France insoumise Rima Hassan reproche à BFMTV sa ligne éditoriale sur Gaza, Jordan Bardella répète de plateaux en plateaux la même rhétorique : « Madame Rima Hassan met une cible sur des journalistes, dans le pays qui a connu l’attentat de Charlie Hebdo, c’est inacceptable. »
Marine Le Pen se targue même, en 2022, d’être à la tête du « premier parti à défendre la laïcité », autoproclamé garant de « l’esprit Charlie » et « dernier rempart pour protéger le droit au blasphème et à la caricature ». De l’opportunisme : la cheffe de file du RN était tout sauf « Charlie » avant que celui-ci ne se fasse attaquer par des islamistes, portant plainte plusieurs fois contre l’hebdomadaire, comme en 2012 pour un dessin de Charb la représentant en étron.
Mais en 2015, elle a senti le coup électoral à jouer – contrairement à son père Jean-Marie Le Pen qui, le lendemain de l’attentat, déclarait : « Je ne vais pas, moi, me battre pour défendre l’esprit de Charlie qui est un esprit anarcho-trotskyste parfaitement dissolvant de la moralité politique. »
Une opportunité pour normaliser le RN
Au-delà de l’instrumentalisation, à chaque attaque, Marine Le Pen s’est servi de l’émoi général des attentats de 2015, particulièrement celui de Charlie Hebdo pour ce qu’il charrie de défense des valeurs républicaines et de la liberté d’expression, pour se normaliser.
Accentuant son discours sur la « défense de la laïcité » pour ne plus faire reposer son discours islamophobe sur la seule défense de valeurs chrétiennes, reprenant, selon le politologue Olivier Roy, « un thème et un ton qui ont été développés très largement au centre, par Manuel Valls (alors premier ministre – NDLR) en particulier ». « Elle s’est ralliée à ce que j’appelle la laïcité autoritaire, qui vise plutôt l’islam que ce qui reste du catholicisme de France. (…) Depuis 2015 – c’est très largement une conséquence des attentats –, ce glissement a ouvert la droite et le centre à Marine Le Pen », poursuit le chercheur au CNRS.
« À partir de 2015, les forces politiques dominantes et les grands médias ont commencé à accorder une place centrale aux questions de l’immigration et de l’islam, mais surtout à présenter systématiquement les immigrés et les musulmans comme un « problème » pour « l’identité nationale » », abonde le sociologue Ugo Palheta.
Selon les études de sociologie électorale réalisées ces dix dernières années, l’attentat de Charlie Hebdo n’a pas eu, à court terme, un impact direct sur l’évolution du vote RN. Mais, pour Félicien Faury, auteur du livre enquête Des électeurs ordinaires (Seuil, 2024), « c’est pour beaucoup d’électeurs le point de départ d’un certain racisme antimusulman, alimenté par les cadrages médiatiques et les discours politiques. Une islamophobie qui est désormais un des principaux moteurs du vote RN ».
Et s’il s’agissait là de la première victoire des terroristes du 7 janvier 2015 ? Pour le théoricien proche d’Al-Qaida Abou Moussab Al Souri, commettre des attentats en Occident aurait pour premier but la stigmatisation des musulmans, qui les pousserait à terme vers les mouvements djihadistes. Le RN ne s’est pas fait prier.
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