Lors de la manifestation dimanche pour contester la condamnation de Marine Le Pen à cinq ans d’inéligibilité, le président du Rassemblement national Jordan Bardella a cherché à donner des gages à l’institution judiciaire.

© JULIEN DE ROSA / AFP
La stratégie de la « cravate » laisse la place aux attaques contre les toges. Ce dimanche place Vauban à Paris, le Rassemblement national (RN) tenait meeting pour « sauver la démocratie » et attaquer les « juges tyrans qui exécutent l’État de droit », selon les mots du député Jean-Philippe Tanguy, non loin de la place de la Concorde, où déjà, le 6 février 1934, ses prédécesseurs menacèrent la République.
C’est Louis Aliot, maire RN, qui a lancé les hostilités devant seulement quelques milliers de sympathisants. « Selon que vous serez puissant ou misérable les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », a-t-il lancé, citant Jean de La Fontaine. Voilà l’héritière du château de Montretout dépeinte en misérable.
Si en 1934 il s’agissait pour les ligues factieuses d’instrumentaliser la corruption illustrée par l’affaire Stavisky, en avril 2025, il s’agissait de blanchir l’affaire Le Pen : l’utilisation des assistants du Parlement européen pour le seul compte du RN. Le 31 mars, Marine Le Pen a été condamnée en première instance à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec exécution provisoire, qui pourrait l’empêcher de concourir à l’élection présidentielle de 2027. « La justice est utilisée à des fins partisanes et politiques », attaque Louis Aliot.
Dénoncer une « décision politique »
Les différentes interventions ont servi à distiller les arguments pour donner au jugement un caractère politique. Il ne concerne que « 10 des 200 collaborateurs employés par le parti entre 2004 et 2016 », relativise Louis Aliot. Les sommes en cause ne représenteraient que « 5 % de la dotation globale des députés », ajoute-t-il.
Un discours qui vise à dénoncer une « décision politique » et qui rencontre un écho parmi les personnes venues assister au meeting. « On a quelque chose qui devient dangereux pour la démocratie, s’inquiète Gilles, 74 ans qui vient d’adhérer au RN. On ferme une chaîne de télévision. » Une allusion à la perte du canal TNT par C8, qui ne respectait pas le cahier des charges.
« Et maintenant, on interdit à Marine Le Pen de se présenter parce qu’on sait qu’elle peut gagner l’élection. Aujourd’hui Coluche serait mis en prison », croit-il. « Ce que Marine Le Pen a, elle le mérite, mais tout le monde l’a fait », reconnaît cet « ancien RPR », montrant la croix de Lorraine qu’il arbore au cou. Enzo, 24 ans, est venu « soutenir l’élan patriote ».
« Tout est beau, Marine Le Pen devant les Invalides, c’est un moment historique », s’emporte-t-il. « François Bayrou était au cœur du même système que la justice a établi entre guillemets (sic) pour Marine Le Pen et il a été relaxé. » Il souhaite une justice « qui ne soit plus laxiste avec la criminalité », visiblement pas en col blanc.
Pour autant, le parti de Marine Le Pen ne veut pas mettre à mal la stratégie de dédiabolisation menée ces dernières années pour mettre fin aux sulfureuses années de son père Jean-Marie Le Pen. « Il ne s’agira jamais pour nous de mettre en accusation ou de jeter le discrédit sur l’ensemble des juges ou de l’ensemble de l’institution judiciaire. Jamais notre mouvement ne remettra en cause la séparation des pouvoirs ou l’indépendance de la justice qui sont les garanties de l’État de droit », a déclaré Jordan Bardella, président du RN.
Chassez le naturel, il revient au galop
Chassez le naturel, il revient au galop. Jordan Bardella s’est livré, comme Marine Le Pen après lui, à une charge contre le Syndicat de la magistrature « auquel se rattachent un tiers des magistrats » et qui a appelé à faire barrage « par tous les moyens au RN lors du second tour des dernières législatives ». Marine Le Pen s’offusquera même de la peine requise dans le cadre du procès du financement libyen de sa campagne électorale contre Nicolas Sarkozy. Lui aussi est un misérable.
Toute honte bue!
La condamnation de Marine Le Pen met en échec la stratégie de dédiabolisation. Celle-ci avait déjà été ébréchée aux dernières élections législatives de juin 2024. Le passé de plusieurs candidats avait été épinglé : l’une pour avoir jadis braqué une mairie, l’autre pour avoir utilisé un casque de la Waffen-SS comme couvre-chef.
Ses alliés internationaux n’aident pas à donner une image dédiabolisée du parti. Juste avant le rassemblement, Marine Le Pen s’est adressée aux militants de la Ligue, parti italien pro-Trump et pro-Poutine, réunis en congrès. Elle s’est comparée à Martin Luther King se battant pour les « droits civiques » des Africains-Américains privés de vote.
L’extrême droite européenne au chevet du RN
Par vidéo, le leader de la Ligue Matteo Salvini est intervenu en retour, se faisant applaudir quand il dit avoir été lui-même condamné à « six ans de prison pour avoir défendu les frontières », en réalité pour avoir comme ministre de l’Intérieur empêché d’accoster un bateau de migrants sauvés en mer.
Deux dirigeants du FPÖ, parti fondé par des néonazis autrichiens, y sont allés d’un message de soutien, tout comme le leader des néofranquistes espagnols Santiago Abascal et le premier ministre hongrois Viktor Orban qui, après avoir réhabilité l’allié d’Hitler, Miklos Horthy, interdit maintenant aux homosexuels et aux lesbiennes de manifester.
Pour l’heure, le RN semble s’atteler à consolider et souder sa base. 200 militants du RN du Vaucluse se sont réunis à Pernes-les-Fontaines vendredi et ont tourné une vidéo en criant « Vive Marine ! » à l’invitation du député Julien Odoul, condamné, lui, à huit mois de prison avec sursis. Les premières enquêtes d’opinion montrent que cela pourrait fonctionner. Le sondage Elabe crédite Jordan Bardella de 31 à 35,5 % d’intentions de vote selon les hypothèses pour 2027. Par ailleurs, le parti vante 10 000 adhésions nouvelles.
Mais cette stratégie pourrait faire des dégâts pour une droite et une extrême droite qui n’ont de cesse de manipuler à tout-va le mot « républicain » pour en faire un synonyme d’ordre. Principal allié du Rassemblement national, Éric Ciotti a déposé une proposition de loi (d’un rare laxisme chez cet individu) pour en finir avec l’exécution provisoire des peines d’inéligibilité pour les seuls élus. En outre, des magistrats ayant participé au jugement sont sous le coup de menaces.
La séquence pourrait aliéner à l’extrême droite une partie de ses électeurs potentiels dans la perspective d’un second tour. À moins que la radicalisation du RN devant le bâtiment des Invalides ne fonctionne comme carburant électoral. L’assaut du Capitole n’a pas empêché l’élection de Donald Trump, qui a apporté son soutien à Marine Le Pen.
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