NDLR de MAC: Les convergences entre la droite et l’extrême droite sont visibles au plan local. A Moissac, la droite est atone devant le RN au pouvoir dans la ville? A Castelsarrasin, les tractations vont bon train pour tenter de prendre la ville avec une coalition RN/LR/REconquête. La question du rapprochement n’est pas une vue de l’esprit, elle est en cours pour le plus grand bénéfice des idées intolérance et de rejet. De nombreux exemples en atteste: tracts contre la création de logements, procession religieuse sur la voie publique avec participation du maire, absence d’expression de la droite, révisionnisme…
Incapable de formuler une proposition politique autonome, le parti « Les Républicains » mise sur une rhétorique d’extrême droite pour tenter de retrouver son influence électorale. Ce faisant, l’organisation crée les conditions d’une convergence avec le Rassemblement national.

Les 17 et 18 mai, les adhérents des « Républicains » (LR) sont appelés à élier leur prochain président. Dominant à droite avant 2017, le parti concurrencé par le centre et l’extrême droite s’est depuis effondré électoralement. L’actuel ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et l’ancien président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez, qui sont en lice, tiennent des discours proches de ceux de l’extrême droite, au point d’interroger sur ce qui sépare encore LR et le RN.
La tripartition du champ politique observée lors des législatives est-elle pérenne ?

Emmanuel Négrier, Directeur de recherche en science politique à l’université de Montpellier
Ses équilibres sont mouvants. Entre 2022 et 2024, le bloc central s’est affaibli. La transformation du champ politique en cours ne plaide pas pour une pérennité de cette tripartition.

Émilien Houard-Vial, Docteur en science politique, chercheur associé à Sciences-Po
L’équilibre entre les différentes parties est suspendu au quinquennat finissant d’Emmanuel Macron et au fait que le RN aura finalement ou non la possibilité d’accéder au pouvoir. La situation peut évoluer, mais il est peu probable que l’on retrouve celle d’il y a une dizaine d’années.

Pierre Wadlow, Doctorant en science politique au Ceraps, université de Lille
Il y a toujours eu plusieurs blocs dans l’histoire politique. Ce qui est nouveau, ce n’est pas l’apparition du centre, mais c’est le poids qu’il a pris. La structuration du champ politique est différente de ce qu’ont en tête les électeurs et les électrices. Le clivage gauche-droite reste un élément assez structurant sur lequel ils continuent majoritairement à se situer. Cela suggère que la tripartition peut être amenée à bouger.
Renaissance peut-il survivre à Emmanuel Macron ?
Émilien Houard-Vial Par le passé, des partis, comme le gaullisme, qui ont émergé un peu soudainement, ont réussi à se faire une place durable. La question est de savoir si le macronisme a une existence institutionnelle propre, un programme et un fonctionnement partisan important. Renaissance a essayé de sortir du « mouvementisme ». Certains à droite pensent qu’il va s’effondrer une fois Emmanuel Macron parti, mais une force qui capte encore 15 à 20 % des électeurs peut aussi ne disparaîtra pas comme ça.
Que visent les tenants d’une fusion entre Renaissance et le Modem ?
Émilien Houard-Vial Renaissance et le Modem ont conscience de partager les mêmes origines et le même électorat. Leur grande difficulté est d’exister. Y aura-t-il à l’avenir un centre indépendant ou va-t-on retrouver un centre rattaché à la droite, comme ce fut le cas de l’UDF ?
Emmanuel Négrier Nous assistons au retour d’une logique politico-partisane assez traditionnelle plutôt qu’à la persistance de la promesse de 2017 : engendrer un nouveau personnel politique et un autre lien entre politique et société. Comme à gauche avec LFI, le « mouvementisme » a largement échoué à restructurer l’offre politique, et cela quelle que soit la faiblesse de la structuration partisane en France.
Le manque de structuration est-il une faiblesse ?
Emmanuel Négrier Cela n’est pas vrai de la même manière pour tous les partis. Le RN prospère sans enracinement territorial fort. En revanche, les autres ont besoin de cette structuration et de produire un récit et une logique d’articulation entre la société et la politique.
Dans quelle situation se trouve LR ?
Émilien Houard-Vial LR est en phase avec ses électeurs. Le parti est particulièrement anti-immigration, pro-autorité, sécuritaire et très libéral économiquement. En termes de vision, il continue de croire à la capacité de la droite à se maintenir. Sans doute ces responsables continuent de penser que les raisons de la défaite ou de la victoire se situent à leur droite, en dépit de certaines évidences comme la fuite de leur électorat vers Emmanuel Macron.
Sans doute est-ce aussi parce que Bruno Retailleau ou Laurent Wauquiez se sont construits sur ce créneau-là. Ils croient que les Français veulent ça, mais cela traduit aussi une vision court-termiste de la politique. Les discours s’élaborent au jour le jour en fonction de l’actualité législative ou de la partie adverse. Ce qui manque à LR, c’est une capacité à exister en tant qu’institution en lien avec la société et dotée une réflexion plus profonde.
La domination de Retailleau ou Wauquiez sur LR n’est-elle pas le résultat du rétrécissement de sa base sociologique à sa composante la plus conservatrice ?
Émilien Houard-Vial C’est le résultat du discours de la droite. Quand Nicolas Sarkozy a fait son virage à l’extrême droite, la droite se portait bien électoralement. Il a enclenché une demande de radicalisation. Si LR était guidée par les logiques électorales de récupération de l’électorat qui est parti vers le macronisme, je ne suis pas sûr que ces représentants tiendraient des discours aussi peu rationnels.
Emmanuel Négrier Retailleau et Wauquiez incarnent deux segments assez classiques de la droite. D’un côté, l’alliance du sabre et du goupillon avec Bruno Retailleau et, de l’autre côté, Laurent Wauquiez, conservateur issu d’un milieu d’industriel, a fait ses premières armes au sein de la démocratie chrétienne. Ils ont tendance à converger vers quelque chose de peu structuré idéologiquement et se proposent de faire fructifier un capital politique sur le courant porteur du moment plutôt que sur une base idéologique qui permettrait de construire un projet politique autonome d’un certain centre, de la gauche et évidemment de l’extrême droite.
La droite est empêtrée depuis longtemps dans ces difficultés. On l’a vu dans les années 1980 et 1990 avec des alliances plus opportunistes qu’idéologiques avec l’extrême droite pour se maintenir au pouvoir coûte que coûte. On le voit aujourd’hui avec la difficulté de se positionner sur des bases autonomes.
En Pays de la Loire, la présidente, Christelle Morançais, tourne complètement le dos à la tradition d’intervention culturelle inaugurée par Malraux, à l’inverse de ce que fait Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France. Deux visions s’opposent radicalement sur un domaine à haute valeur symbolique.
Pierre Wadlow Penser qu’il suffit de radicaliser son discours sur l’immigration pour récupérer l’électorat de l’extrême droite est un pari risqué. Les électeurs peuvent toujours préférer l’original à la copie. Lutter contre l’abstention implique de proposer une offre politique très identifiée, comme le fait le RN.
L’offre politique de la droite n’est pas particulièrement lisible. L’électorat populaire d’extrême droite n’est pas constitué uniquement d’anciens électeurs de droite. Une partie de l’électorat du RN est critique de la mondialisation à laquelle la droite et son électorat sont attachés. Le FN est devenu un des partis les plus interclassistes. Derrière la géographie électorale, il y a une géographie sociale, avec des populations différentes qui réagissent différemment aux mêmes discours.
Quelle différence entre les projets politiques de Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez ?
Emmanuel Négrier J’aurais pu vous répondre si vous m’aviez interrogé sur la différence entre celui de Jacques Chirac et celui de Valéry Giscard d’Estaing. Ils exprimaient des différences assez significatives sur leur rapport à l’État ou encore au libéralisme.
Émilien Houard-Vial Les adhérents n’ont pas à choisir une ligne politique, mais entre deux rapports différents à la participation gouvernementale et deux personnalités. Les alternatives au consensus radical à droite peinent à émerger.
Pierre Wadlow Si des politistes peinent à établir des différences entre ces personnalités, rien d’étonnant donc que cela soit compliqué pour les électeurs et électrices.
Émilien Houard-Vial Le discours de la droite s’adresse à des personnes politisées. Sa grande difficulté est de s’adresser à ceux qui regardent la politique de plus loin.
Pierre Wadlow Une partie de la droite a fait du « wokisme » son ennemi principal. La droite surestime l’importance de ces questions dans l’électorat populaire.
L’électoral RN a été décrit comme constitué d’une composante populaire dans le Nord et l’Est, et une plus aisée dans le Sud. Est-ce encore pertinent ?
Emmanuel Négrier La thèse d’Arnaud Huc a montré que l’électorat FN puis RN était constitué d’une sociologie plus populaire au nord et une plus classe moyenne dans le Sud-Est. Un électorat au capital scolaire peu élevé, et que l’on retrouve très fort dans les secondes couronnes périurbaines, souvent confrontées à des difficultés économiques indicibles et à un réel problème de reconnaissance et de lien social. La tendance actuelle à la centralisation sociologique de l’électorat RN se traduit par une forme d’embourgeoisement au nord et de popularisation au sud. Il y a une convergence de ces électorats.
Pierre Wadlow Au sein même du Nord, il y a des logiques sociales distinctes derrière le vote RN. Des profils sociaux assez semblables peuvent abriter des logiques de vote RN différentes. Le bassin minier est assez homogène socialement, mais recèle des trajectoires de socialisation politique très différentes. Dans ce bassin, les petites élites économiques sont une minorité sociale, mais portent le discours du RN. Le fait que l’électorat RN soit populaire ne doit pas conduire à ignorer le rôle central des élites économiques dans la diffusion des idées frontistes.
Quels sont les ressorts du vote RN ?
Pierre Wadlow Dans le Nord, la question du pouvoir d’achat est souvent la première préoccupation, mais arrive très rapidement la question de l’immigration. Comme l’a montré Félicien Faury, ce qui tient ensemble un bourgeois de l’Ouest parisien, un membre des classes populaires du Nord et un membre des classes moyennes du Sud, c’est le racisme et l’islamophobie. L
e racisme est un rapport social transversal et structurel, mais la façon dont il va être exprimé est assez spécifique selon qu’on est membre des classes populaires du Nord ou un bourgeois de l’Ouest parisien et suivant le fait qu’on est challengé sur le marché de l’emploi ou sur le marché immobilier.
Emmanuel Négrier Félicien Faury a montré qu’émerge de l’électorat un besoin de protection qui n’est pas satisfait par l’offre politique classique. Lors de mes enquêtes, j’ai moi-même constaté que l’électeur du RN explique son vote par un traumatisme ou un problème, et très rarement par une conviction personnelle « positive » ou le soutien à un programme précis.
Benoît Coquard a montré que le vote RN s’est installé. Dans les communes, les patrons de bar ou les encadrants du club sportif, qui étaient hier les piliers d’un vote classique de gauche ou de droite, sont devenus ceux du vote RN. Quand vous vivez dans une commune où le vote RN atteint 10 %, vous ne revendiquez pas ce vote. Quand il atteint 60 %, cela devient une certaine normalité.
Le soutien des élites locales dispense-t-il de se doter d’un appareil partisan ?
Emmanuel Négrier Le dégoût de la politique est un moteur paradoxal du vote en faveur du RN. La croissance du vote RN s’appuie à la fois sur une politisation et une dépolitisation. C’est sans doute pour cela que le RN hésite toujours entre une stratégie d’enracinement, qui implique un vrai travail de terrain, et un leadership tribunicien, pyramidal et personnalisé.
Pierre Wadlow Voter RN quand il devient majoritaire, c’est se conformer. C’est aussi se mettre du côté des gagnants. Une grande partie de la politisation à l’extrême droite passe sous les radars. Les sociabilités privées jouent un rôle très important, alors que les lieux de sociabilité traditionnels, en particulier syndicaux, associatifs et culturels, qui sont des remparts au RN, diminuent. Cela aboutit à ce qu’un ouvrier soit plus solidaire de son patron, parce qu’il le connaît, que de l’ouvrier d’à côté.
Quelles peuvent être les conséquences d’une non-candidature de Marine Le Pen ?
Émilien Houard-Vial Le Vote RN est ancré. La seule disparition de Marine Le Pen n’actera pas celle du RN. Le RN a su mettre en avant plusieurs personnalités. Il a permis à Jordan Bardella d’acquérir un capital auprès des électeurs, semblable à celui de Marine Le Pen. Cela étant, le RN reste une organisation foncièrement dépendante de sa cheffe qui conserve une capacité d’incarnation. Cela peut conduire une frange des électeurs qui y étaient très attachés à éprouver des doutes.
Ce que fait Donald Trump peut-il nuire au RN ?
Émilien Houard-Vial Si le RN ne s’en dissocie pas, cela peut dissuader une frange minoritaire et hésitante de l’électorat parce qu’elle adhère un minimum aux institutions démocratiques.
Pierre Wadlow Le discours de Trump, qui prétend renverser la table, est à rebours de ce qu’essaie d’incarner le RN. Plutôt qu’un vote pour tout changer, le vote RN est plutôt conservateur, voire réactionnaire. Ses électeurs sont en recherche d’ordre.
Une alliance entre LR et le RN est-elle à l’ordre du jour ?
Émilien Houard-Vial Le RN fait plus ou moins des appels du pied à LR. L’autonomie concédée à Éric Ciotti vise à cela, tout comme les rappels sur le fait que la politique de Bruno Retailleau sur l’immigration s’inspire de celle du RN. On constate une convergence. D’un côté, le RN cherche à donner l’image d’un parti républicain. De l’autre côté, LR a fait le chemin inverse en poussant les feux de la supposée « menace wokiste », de l’islamisme, la rhétorique de l’ennemi intérieur, etc. L
es seuls arguments de LR contre l’alliance ont trait au programme économique du RN, qui n’a pourtant rien de socialiste. L’obstacle le plus important relève de la socialisation politique. La droite se vit comme l’héritière naturelle et compétente du pouvoir dans la Ve République.
Éric Ciotti n’a été suivi par personne d’important. Localement, il n’y a pas eu véritablement d’alliance depuis le début des années 1990. L’alliance avec la Macronie s’enracine. Le cordon sanitaire tient, mais cela ne veut pas dire qu’il tiendra éternellement.
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