Dans son rapport thématique consacré au premier degré publié mardi 20 mai 2025, la Cour des comptes livre une analyse sévère de l’état de l’école primaire en France et qualifie la semaine de 4 jours de « néfaste« . « Pour améliorer ses performances, notre système scolaire doit réexaminer son organisation actuellement en décalage avec les besoins de l’enfant », avertit-elle dès l’introduction du document.

Dans un contexte de baisse démographique, des résultats scolaires alarmants et du lancement d’une Convention citoyenne sur les temps de l’enfant, ce rapport de la Cour des Comptes relance un débat de fond sur le fonctionnement de l’école et de sa gouvernance, dans une approche… comptable.Des performances décevantes malgré un temps d’apprentissage élevé

« Le système scolaire est aujourd’hui en situation d’échec » lit-on dans le rapport de la cour des comptes consacré à l’enseignement primaire. Le rapport de la Cour des comptes pointe les inégalités socio-scolaires et de genre de réussite, et le mauvais classement des élèves dans les études internationales, notamment la dernière place en mathématiques pour les élèves de CM1.  « En français, la situation n’est guère plus satisfaisante : après une baisse continue depuis 2001, les performances des élèves ont stagné entre 2016 et 2021, dates des dernières études, et notre pays reste à l’antépénultième place des 18 pays de l’UE ayant participé à ces évaluations » précise le rapport.

Les inégalités et écart de réussite selon l’origine sociale s’aggravent malgré la politique éducative mise en place et les dédoublements. La cour des comptes souligne le résultat paradoxal des élèves français au vu du nombre d’heures supérieur des élèves français à passer du temps sur les fondamentaux depuis les réformes de 2017.

Rythmes scolaires : la semaine de 4 jours en accusation

Le rapport cible également l’organisation du temps scolaire, en particulier la semaine de quatre jours, largement adoptée depuis l’échec de la réforme de 2014. « Se pose avec acuité l’organisation du temps scolaire », insiste la Cour. Elle s’appuie notamment sur un rapport de l’Académie de médecine, qui dénonce « le rôle néfaste de la semaine dite de quatre jours sur la vigilance et les performances des enfants les deux premiers jours de la semaine lié au week-end prolongé ». Pour la Cour, cette organisation nuit à la régularité des apprentissages et au bien-être des élèves. elle rappelle que la réforme des 4,5 jours a été mise en place de manière hétérogène et qu’elle n’a pas fait l’objet d’évaluation.

Des moyens inégalement répartis et mal évalués

Pour la Cour des comptes, la dépense consacrée aux écoles est en hausse (2% du PIB). Côté finances, le rapport chiffre à 20,1 milliards d’euros la contribution de l’État à l’enseignement primaire en 2022, auxquels s’ajoutent 19 milliards de dépenses des collectivités territoriales et 8,9 milliards pour les pensions des enseignants. Pourtant, la Cour souligne que « la France dépense moins pour l’enseignement élémentaire que les pays de la moyenne de l’OCDE et moitié moins que pour le second degré ». Elle estime par ailleurs que les dépenses des collectivités sont « vraisemblablement sous-estimées » et marquées par d’importantes disparités territoriales.

La profession enseignante en perte d’attractivité

Autre constat sans appel : « La nécessité de développer l’attractivité du métier d’enseignant dans le premier degré est aujourd’hui reconnue par tous les acteurs ». La Cour évoque les difficultés de fidélisation sur certains postes, les inégalités géographiques et le manque d’incitations à la mobilité. Elle plaide pour une meilleure formation initiale et continue, une gestion des ressources humaines plus souple, et une intégration plus cohérente du numérique dans les pratiques pédagogiques.

Gouvernance locale, regroupement et statut de directeur

Le statut du directeur d’école est également au cœur des préoccupations : « Le système éducatif est trop centralisé et n’intègre pas suffisamment tous les acteurs », déplore la Cour, qui recommande la création d’un statut de directeur ou « à défaut, de généraliser une décharge totale ».

« Engager la réforme du statut de directeur d’école en généralisant progressivement la fonction de directeur à temps complet en commençant par les écoles regroupées« , comme à Paris où les directions sont déchargées depuis 1982.  La suspension de la décharge était à l’ordre du jour et a été suspendu après une mobilisation ce printemps. L’exemple de Lyon est cité: « la ville a élaboré un « programme type » qui oriente les travaux de construction, de restructuration et de fermeture d’écoles jugées trop petites. Sont ainsi privilégiés les groupes scolaires d’une capacité de 14 classes (six classes maternelles et huit classes élémentaires), pour lesquels la décharge de direction est totale ». Plus loin, le rapport précise: »Seuls ces regroupements permettraient, à terme de généraliser la fonction de directeur d’école à temps complet ».

La Cour propose également l’introduction de « contrats d’objectifs et de moyens négociés » pour donner plus de marges de manœuvre aux équipes pédagogiques et aux territoires. Elle appelle à un changement du statut du directeur d’école vers celui du manager dans l’esprit de la loi Rilhac de 2023. La loi Rilhac indiquait déjà le pilotage et une « autorité » du directeur d’école, le distinguant des professeurs. Le décret stipule que le directeur « a autorité sur l’ensemble des personnes présentes dans l’école pendant le temps scolaire« . La Cour envisage de rapprocher le statut du directeur d’école à celui du directeur dans les écoles privées. La réponse à la baisse démographique conjuguée à un objectif d’économie de moyens est le modèle du privé, la mutualisation de moyens et un management. C’est un changement culturel qui accompagne la destruction du service public et son esprit.

Recrutement, mobilité, direction : des leviers RH pour transformer l’école primaire

Pour répondre à la pénurie d’enseignants dans certaines zones, la Cour des comptes recommande d’adapter les modalités de recrutement, en privilégiant une affectation à l’échelle départementale plutôt qu’académique. Cette évolution permettrait de mieux cibler les besoins locaux et de rendre certains postes plus attractifs. Selon la juridiction, le mode de recrutement actuel, centré sur l’académie, constitue « l’un des freins majeurs pour les candidats », notamment en raison du manque de lisibilité sur le lieu d’affectation. La Cour suggère également de faciliter la mobilité géographique pour améliorer la répartition des enseignants sur le territoire. La question étant : la mobilité et la répartition des professeurs rendront-elles des territoires et le métier plus attractifs?

Repenser l’école à l’aune des défis à venir

Enfin, la Cour considère que la baisse des effectifs dans le premier degré peut devenir un levier d’amélioration si elle est accompagnée de réformes structurelles. Elle recommande de systématiser les regroupements d’écoles dans les territoires confrontés au déclin démographique, de renforcer les coopérations entre acteurs éducatifs, de favoriser la transition écologique et de développer le numérique éducatif.

Une critique « comptable »

Pour Guislaine David, co-secrétaire générale du SNUipp-FSU, ce rapport est avant tout « un rapport comptable de la Cour des comptes qui tire à boulets rouges sur l’école ». Elle pointe notamment une part du PIB en baisse consacrée à l’éducation, et la persistance d’une gouvernance trop centralisée, qui bride l’autonomie locale et la réactivité des établissements.

Le rapport conclut sur un appel à transformer en profondeur l’école primaire, non seulement pour répondre aux attentes éducatives, mais aussi pour mieux prendre en compte le rythme et les besoins réels des enfants. « La qualité de l’enseignement est de loin le premier levier qui peut influer sur la réussite et l’épanouissement à long terme d’un élève », rappelle la Cour.

Et sur le comment atteindre la qualité de cet enseignement, en termes de formation continue, rémunération,  qualité de vie au travail en lui redonnant du sens, il n’en est pas question dans cette approche… comptable et managériale. Deux ingrédients qui soulèvent bien des critiques et un malaise dans le corps des professeurs, comme des chefs d’établissement du secondaire, dont le métier perd aussi en attractivité.

 Djéhanne Gani